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ZIMBABWE-ETHIOPIE


 Ces attaques qui laissent perplexe 

A quelques heures  d’intervalles, l’Ethiopie et le Zimbabwe ont vécu, le week-end écoulé, les mêmes scènes d’horreur. En effet, alors que des dizaines de milliers d’Ethiopiens étaient amassées sur la place Meskel  au Centre de la capitale Addis Abeba pour écouter et soutenir le tout nouveau Premier ministre, Abiy Ahmed, qui prononçait, pour la première fois, un discours public depuis sa prise de fonction, un homme a lancé une grenade dans la foule. Le bilan provisoire de cette attaque fait état de deux personnes tuées  et de 150 autres hospitalisées dont 8 dans une situation grave, à en croire le ministre de la Santé. Quelques heures plus tard,  à quelques kilomètres plus au Sud, au Zimbabwe, dans la ville de Bulawayo, c’est une autre attaque qui intervenait en plein meeting électoral du président Emmerson Mnangagwa. 

A qui profite le crime ?

Si le président a échappé à l’explosion, l’on déplore cependant plusieurs victimes, y compris des officiels et des membres du gouvernement. En pareilles circonstances, la question que l’on se pose est la suivante : à qui profite le crime ?

En Ethiopie, deux hypothèses sont privilégiées. La première attribue l’attentat aux anciens maîtres du pays, c’est-à-dire l’élite tigréenne qui  s’est juré de faire tomber Abiy ou, à tout le moins, de rendre son gouvernement inefficace. L’actuel chef du gouvernement éthiopien est, en effet, issu de l’ethnie Oromo (35%)  qui était en conflit ouvert avec celle des Tigréens qui, depuis 1991, détenaient tous les leviers du pouvoir, en particulier sécuritaire, militaire et économique. En rappel, les Tigréens, c’est cette minorité ethnique (6 % de la population) qui, à travers le Front de libération des peuples du Tigré (FLPT), était parvenue à chasser du pouvoir le dictateur Mengistu, vers les années 90. Depuis lors, cette organisation exerçait son hégémonie sur le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), le parti au pouvoir. Les rivalités entre les deux communautés ont été à l’origine d’épisodes sanglants, comme celui de décembre dernier où le projet d’extension de la capitale sur fond d’accaparement des terres des populations Oromo, avait suscité des contestations réprimées dans le sang. La  difficile accession à la primature, en mars 2017, après d’interminables négociations, d’Abiy Ahmed, patron de l’Organisation démocratique des peuples Oromo (OPDO), l’un des quatre partis de la coalition au pouvoir a marqué la fin de l’hyperpuissance tigréenne.  Cette fin n’est pas, pour autant, synonyme  d’enterrement de la hache de guerre,  tant les ressentiments sont encore profonds et le désir des Tigréens de s’accrocher à leurs privilèges, encore tenaces.  Mais la piste d’une revanche de l’élite tigréenne est peu probable, selon les spécialistes qui estiment que si tel avait été le cas, l’attaque aurait été plus professionnelle et plus dramatique. 

La seconde hypothèse  est celle qui pointe un doigt accusateur sur un groupe de desperados, c’est-à-dire des gens mécontents des réformes engagées par le nouveau Premier ministre dont, entre autres, le rapprochement avec l’ennemi juré de tous les temps, en l’occurrence le voisin érythréen, la réforme du système sécuritaire  et surtout la libéralisation de pans entiers de l’économie. Dans l’un ou l’autre cas, ce qui semble visé, ce sont les réformes entreprises par le nouveau chef du gouvernement. 

Le Zimbabwe reste une démocratie militaire

Mais Abiy Ahmed ne devrait pas céder à la peur car si ses adversaires ne peuvent pas agir à visage découvert, c’est bien la preuve que leurs mobiles ne peuvent se défendre sur la place publique. L’Ethiopie qui ressemble, en Afrique, à un colosse  au pied d’argile, ne peut asseoir sa stabilité que dans un environnement sous- régional pacifié et surtout avec  un partage équilibré du pouvoir et des richesses dans un pays où les monstres de « l’ethnicisme » ne dorment que d’un œil. Et c’est en cela que la politique du Premier ministre mérite du soutien.

Quant au cas zimbabwéen, alors que les coupables semblent tout désignés, en l’occurrence les partisans de l’ancien dictateur déchu, Robert Mugabe, avec en tête sa femme, Grace Mugabe, il n’en est pas moins complexe. L’attentat a eu pour théâtre d’opération la ville de Bulawayo, bastion de l’opposition, mais surtout la région de l’ethnie Ndebele qui a fait, dans les années 80, l’objet d’une terrible répression qui s’était soldée par des dizaines de milliers de morts sous le commandement de   Emmerson Mnangagwa. Il n’est donc pas exclu que les populations de cette partie du pays aient voulu faire rendre gorge au président, candidat à sa propre succession. Il n’est cependant pas impossible non plus, comme il se susurre, que le tombeur de Robert Mugabe ait planifié cet attentat contre lui-même, pour bénéficier de la sympathie de l’opinion nationale et internationale qui n’est pas forcément acquise à sa cause et surtout pour se donner un prétexte pour opérer des purges contre ses ennemis politiques. Cela dit, quels que soient les auteurs et les mobiles de cet attentat, celui-ci vient rappeler   que la déchéance de Mugabe n’a pas suffi à transformer entièrement la nature du Zimbabwe né à l’ombre de la guerre et qui reste encore entre les mains des vétérans. Pour tout dire, le Zimbabwe reste une démocratie militaire. En tout état de cause, cet incident constitue un sérieux coup de semonce pour Emmerson Mnangagwa qui aurait tort de se replier sur lui-même dans un régime répressif, mais qui a plutôt tout intérêt à œuvrer à l’avènement d’une vraie démocratie et d’une véritable réconciliation nationale. Il doit surtout œuvrer à éviter le long règne de son prédécesseur, car tous ces signes de mécontentement tendent à montrer que s’il se laisse gagner par la tentation d’un pouvoir à vie, sa présidence risque d’être tout  sauf un  fleuve tranquille.

« Le Pays »           


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