ASSASSINAT DE THOMAS SANKARA : « Le doute est levé sous réserve du test ADN », dixit Me Sankara
Hier, la Justice militaire a procédé à la présentation des résultats des rapports de l’autopsie de l’ex-président Thomas Sankara et de ses compagnons d’infortune assassinés le 15 octobre 1987. Preuve que la chose était très attendue, les médias se sont fortement mobilisés dans les locaux de la Justice militaire et y ont fait le pied de grue pendant de longues heures. Et même quand le Directeur de la Justice militaire, Sita Sangaré, leur fait remarquer qu’il ne s’agit pas d’une justice spectacle et que les journalistes ne sont pas convoqués ce matin, ceux-ci font mine de ne rien entendre. Quand il leur a dit qu’une conférence de presse est prévue le vendredi matin, les représentants des médias n’ont pas bougé, préférant braver la faim et la soif, guettant la fin du huis-clos pour soutirer quelques mots. Et c’est finalement à partir de 13h que les hommes aux robes noires ont commencé à pointer le nez, mais les premiers ont pratiquement refusé de parler de ce que voulaient entendre les médias. Finalement, c’est Me Sankara, un des conseils de la famille Sankara, qui va donner les « bonnes» nouvelles. Du moins, on peut s’en contenter en attendant. Les familles, leurs conseils et même des bourreaux, ont pu découvrir le contenu de deux rapports : le rapport balistique et le rapport d’autopsie. De 9h à 13h, le juge d’instruction, François Yaméogo et son greffier, ont fait une présentation des conclusions et laissé un délai de 15 jours pour d’éventuelles observations. Nous avons recueilli les propos de Me Sankara.
Avez-vous effectivement reçu les résultats de l’autopsie ?
Je peux vous confirmer que le juge d’instruction, assisté de son greffier, a livré aux différentes familles qui étaient là, assistées de leurs avocats respectifs, les résultats du rapport balistique et les résultats du rapport d’autopsie. Ce sont des rapports qui sont arrivés dans des enveloppes fermées qui ont été ouvertes devant tout le monde et le juge a tenu à préciser qu’il en prenait connaissance pour la première fois, au même titre que nous. Mais il n’a pas “délaissé” copie du document à chacun parce que ce sont des documents qui restent dans la confidentialité de l’instruction. Par contre, il a fait lire pour chaque famille, les différentes conclusions des deux rapports dont chacun a pris note des résultats. Il a aussi précisé que les parties avaient 15 jours pour faire toute observation et même si elles estiment que les rapports tels que faits ne conviennent pas, elles peuvent demander une contre-expertise.
Quelle était l’ambiance lors du dépouillement des résultats pour ces familles qui ont tant attendu ?
C’était une ambiance d’austérité et aussi d’angoisse. L’angoisse demeure dans l’affaire de Thomas Sankara et de ses compagnons qui ont été assassinés. Surtout à quelques heures du 15 octobre. Les familles se souviennent toujours du jeudi noir du 15 octobre 1987. C’était une salle quasi silencieuse ; tout le monde était là, à l’écoute. Il y en avait aussi qui posaient des questions puisque le juge d’instruction permettait de poser des questions d’éclaircissement. Il était vraiment très ouvert. Mais quand certains ont su qu’il y avait dans la salle, des inculpés, il y en avait quatre, ils ont estimé que ce n’était pas moralement acceptable ni soutenable. Mais le juge a fait régner le calme. Je pense que les intéressés d’ailleurs sont arrivés incognito et sont repartis en catimini. Je précise que de toute façon, les droits de la défense sont vraiment garantis.
Qui a invité les bourreaux ?
C’est la règle de droit. C’était leur droit d’être là.
Concernant les résultats, quels sont les premiers enseignements qu’on peut tirer ?
Le premier enseignement, c’est que le rapport d’autopsie, à ce stade, permet déjà, avec les objets trouvés dans les tombes (les ossements, les habits, des cartes militaires, des tee-shirts qui sont encore intacts…), de certifier et d’attester que c’est la tombe de telle ou telle personne. Bien sûr qu’on attend que les tests ADN viennent confirmer de façon indubitable, mais ça se profile déjà. On connaît à peu près l’identité des restes. Ensuite, il est permis de savoir que certaines victimes ont été criblées de balles. En ce qui concerne le président Sankara, on a noté que des orifices ont été faits au niveau de la poitrine, des cuisses, des bras et sous les aisselles. Ça veut dire qu’il a été criblé de balles. Pratiquement, si vous faites le décompte, on relève plus d’une dizaine d’impacts de balles. Ça, c’est important. Le rapport balistique va maintenant certifier que c’est par exemple des balles et donner la nature de ces balles. Ensuite, on verra qu’elles correspondent à certaines catégories d’armes à feu. A partir de là, le juge peut avoir beaucoup d’éléments pour faire son travail.
A-t-on une idée des armes qui ont été utilisées ?
On peut citer par exemple la kalachnikov, les fusils G3, des pistolets automatiques et même des grenades si je ne me trompe pas. Les balles traceuses sont revenues plusieurs fois. Ce qui est sûr, beaucoup de projectiles ont été recensés et plusieurs types d’armes utilisées dans l’assassinat du président Sankara et de ses compagnons.
Est-ce que les mêmes éléments se retrouvent chez l’ensemble des victimes ?
Oui, mais pas avec la même ampleur qui varie d’un cas à un autre.
Si l’on doit comparer les impacts de balles sur le président Sankara et les autres, que peut-on dire ?
Moi je dirais que le président Sankara a reçu plus de projectiles.
Est-ce qu’aujourd’hui le doute est levé sur la tombe de Sankara ?
Le doute est levé mais sous réserve des tests ADN qui seront fournis plus tard. Mais au regard des objets qu’on a déjà pu identifier, tout semble indiquer que la tombe présumée est celle de Thomas Sankara, sous réserve du test ADN.
Qu’est-ce qu’on a trouvé précisément dans la tombe de Sankara ?
On a trouvé des vêtements, un pantalon et un haut, un tee-shirt blanc qu’il portait, des chaussettes de couleur verte, des impacts de projectiles, du métal… On a trouvé des traces de brûlures…. Tout cela arrive à la conclusion que la mort de Sankara était d’origine criminelle et l’hypothèse des armes à feu est avérée.
Parmi ceux qui sont soupçonnés, y a-t-il déjà des noms ?
Oui ; il y a 8 ou 9 personnes qui sont inculpées. Et si ma mémoire m’est fidèle, je peux citer Ouédraogo Nabonswendé, Nacoulma Wampasba, le medecin-colonel, Guébré Alidou, celui-là qui a signé l’acte de décès portant mort naturelle, Hyacinthe Kafando…
Peut-on s’attendre à d’autres noms ?
Il y en a encore mais c’est le début de la procédure. Il y a des auditions, des confrontations, des témoignages.
Est-ce que Gilbert Diendéré a été cité ?
Je n’ai pas pour le moment d’éléments concernant Gilbert Diendéré. Si dans la procédure, Gilbert doit être cité, il le sera, et ce d’autant plus qu’il n’est plus aux affaires, et qu’il fait déjà l’objet d’une procédure criminelle ; ça facilite le travail du juge.
Et la suite?
Dans les 15 jours, nous avons la possibilité de faire des observations ; donc on va aviser. Et après, je pense qu’on sera immédiatement convoqué pour les résultats. Mais quand on aura tous ces résultats, on restera à l’écoute du juge.
MICHEL NANA
Ouedraogo
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14 octobre 2015