HomeA la uneMANIFS CONTRE BECHIR : Khartoum sera-t-elle comme Alger ?

MANIFS CONTRE BECHIR : Khartoum sera-t-elle comme Alger ?


 

Au Soudan, des manifestants de plus en plus nombreux, sont vent debout contre le régime du président Omar El Béchir. Au départ organisées pour protester contre la hausse du prix du pain, ces manifestations qui durent depuis plus d’un trimestre, semblent avoir pris une autre tournure. En effet, rassemblés, le 7 avril dernier, en très grand nombre, au-delà même des attentes des organisateurs, devant le siège de la Grande muette soudanaise pour la deuxième journée consécutive, « les manifestants, selon un témoin, ont réussi à délivrer leur message à l’armée, qu’ils ne veulent pas que ce régime reste en place ». Et ce, malgré la présence des forces de sécurité qui ont tenté d’empêcher ce regroupement, mais qui ont été débordées par l’ampleur de cette manifestation sans précédent au pays de Omar El Béchir.

Tant que Béchir continuera de bénéficier du soutien de la Grande muette, l’alternance risque de demeurer une ligne d’horizon pour les Soudanais

Un appel du pied au changement qui s’inspire, selon certains analystes, de la situation en Algérie où le président Abdelaziz Bouteflika a été contraint par la rue à la démission, après vingt ans au pouvoir. C’était le 2 avril dernier, après six semaines de mobilisation populaire. Mais cela a pu être rendu d’autant plus possible que l’armée algérienne a fini par lâcher le chef de l’Etat non sans lui donner un ultimatum pour rendre le tablier. Ce qui fut fait. Alors question : Karthoum sera-t-elle comme Alger ? Rien n’est moins sûr. En effet, alors que du côté de l’Algérie, l’armée s’est montrée, peut-on dire, républicaine en ne versant pas dans la répression systématique ni aveugle, au Soudan, les forces de sécurité se montrent intraitables vis-à-vis des manifestants. C’est donc, en toute logique qu’au pays de Omar El Béchir, les jets de pierres des contestataires ont répondu aux gaz lacrymogènes des forces de l’ordre, dans un contexte de forte tension. L’accès au siège de l’armée qui est l’un des symboles forts du pouvoir et qui se présente comme une forteresse inexpugnable, est déjà une victoire pour le peuple soudanais et la preuve de sa détermination à en finir avec le régime trentenaire de Khartoum. Mais dans le même temps, le peuple est conscient que tant que le président Béchir continuera de bénéficier du soutien de la Grande muette, l’alternance à laquelle il aspire, risque de demeurer une ligne d’horizon pour les Soudanais. C’est pourquoi l’on n’est pas surpris que près de quatre mois après le début des manifestations, les Soudanais soient encore loin de voir le bout du tunnel là où les Algériens ont réussi en bien moins de temps, à se débarrasser de leur dictateur. C’est aussi la preuve qu’en Afrique subsaharienne, si les peuples sont souvent impuissants face aux satrapes, c’est parce que ces derniers savent souvent s’assurer de la fidélité d’un allié de poids comme la soldatesque, pour se maintenir au pouvoir, même contre la volonté du peuple. Il n’y a qu’à voir comment les choses se passent au Tchad, au Burundi, au Togo, au Congo Brazzaville, en Ouganda et on en oublie, où tout est fait pour maintenir les dictateurs au pouvoir. En revanche, l’on peut faire le constat que si le vent du changement voulu par le  peuple dans la plupart des pays arabes comme l’Egypte, la Tunisie et plus récemment l’Algérie, a emporté les princes régnants dans les conditions que l’on sait, cela est moins dû à la détermination de ces peuples qu’à l’attitude de la Grande muette qui a su, à bien des égards, se montrer républicaine et plutôt proche du peuple. Ce qui est loin d’être le cas au Soudan où l’armée n’a pas fait, hier encore, dans la dentelle devant des manifestants qui appelaient à la démission du président Béchir.

Le drame de nos démocraties, c’est cette tendance de l’armée à prendre le parti du dictateur contre le peuple

C’est pourquoi l’on a des raisons de croire que Karthoum ne sera pas Alger. En tout cas, si la Grande muette soudanaise ne change pas de paradigme, il sera difficile pour les Soudanais de réaliser l’exploit des Algériens. D’autant plus que dans les deux cas de figure, l’on peut trouver bien des similitudes entre Boutef et Béchir, notamment en termes de longévité au pouvoir et de volonté de s’y éterniser. Seulement, le chef de l’Etat soudanais ne semble pas pour le moment lâché par les siens, surtout la Grande muette, alors que son homologue algérien est déjà passé à la trappe, après que le chef de l’armée eut haussé le ton.  En tout état de cause, nul n’ignore le rôle primordial de l’armée dans une démocratie. Mais le drame de nos démocraties bananières, c’est cette tendance de l’armée à prendre le parti du dictateur contre le peuple, bien souvent pour pouvoir jouir des avantages matériels que ce dernier offre à la hiérarchie, en contrepartie de sa fidélité. Et c’est la porte ouverte à toutes sortes d’abus et de dérives autocratiques ! C’est pourquoi il faut savoir, en toute chose, dépasser les intérêts personnels en mettant les intérêts du peuple devant. C’est à cela que l’on reconnaît les grands dirigeants, y compris au sein de la Grande muette. Et si le peuple en vient à demander le soutien de l’armée, c’est que les politiques ont échoué parce qu’ils ne mènent pas le bon combat, au profit de leur peuple. L’armée n’a donc pas le droit de décevoir.

« Le Pays »


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