HomeA la uneNEWTON AHMED BARRY, PRESIDENT DE LA CENI : « Me faire taire par rapport à quoi ? »

NEWTON AHMED BARRY, PRESIDENT DE LA CENI : « Me faire taire par rapport à quoi ? »


C’est le 22 décembre 2016 que le président de la CENI, Newton Ahmed Barry, nous a reçus dans son bureau. Cinq mois après son élection à la tête de l’institution, l’homme entend bien, avec son équipe, relever le défi car, a-t-il reconnu, en rapport avec le cycle électoral passé, la CENI du Burkina est de celles qui comptent sur le continent. Ses actions sont déjà consignées dans un document intitulé « Notre mandat », qui comporte tous les éléments de son programme et les termes de référence de leur réalisation. Au cours de nos échanges, Newton Ahmed Barry est revenu sur les grandes lignes de ce programme avec, comme menu principal, la participation au vote des Burkinabè de l’étranger. Mais, le journaliste chroniqueur ne s’est pas prononcé sur les questions d’actualité, « devoir de réserve oblige », comme le dirait quelqu’un. Un devoir de réserve qui, dans son entendement, n’est pas à confondre avec « bâillonnement ». A ceux donc qui pensent qu’il a été porté à la tête de la CENI pour le faire taire, NAB, comme on aime à l’appeler, répond : « Personne n’oblige personne à faire quoi que ce soit ». Lisez !

« Le Pays » : Comment vous sentez-vous dans vos habits de président de la CENI ?

Newton Ahmed Barry : Je suis chargé de diriger la CENI. Je pense que c’est une lourde responsabilité et un redoutable honneur. Nous sommes en train de nous approprier l’institution, car il y a à peine 3 mois de cela que nous avons été porté à la tête de la CENI.

Dans quel état avez-vous trouvé la CENI à votre arrivée ?

En rapport avec le cycle électoral passé, la CENI du Burkina a marqué le paysage électoral africain de façon positive. Le cycle électoral a donné des résultats relativement  probants. Ce qui a fait de la CENI du Burkina Faso une de celles qui comptent sur le continent. Nous pouvons donc affirmer qu’on a trouvé un héritage valorisant à notre arrivée.

Quelles sont les priorités sur lesquelles vous travaillez actuellement ?

Nous avons trouvé un certain nombre d’actions que nous sommes obligés de conduire. Il y a également des actions qui sont liées au programme que nous voulons mettre en place durant les 5 années de notre mandat. Parlant de ce que nous avons trouvé sur place, il y a la nécessité de reprendre les élections municipales dans certaines communes. Il y a 3 communes où les élections n’ont pas pu se tenir. Il y a aussi certaines communes qui n’ont pas pu mettre leur Exécutif en place. Il faut donc reprendre les élections. Dès notre prise de service, nous nous sommes engagés dans ce processus. Nous attendons maintenant que le gouvernement acte. Le 2e élément que nous avons trouvé et avec lequel il va falloir composer, c’est le vote des Burkinabè de l’étranger. C’est une décision qui a été prise depuis 2009, mais qui n’a pas pu être mise en œuvre dans les cycles électoraux passés et dont nous héritons. Depuis 2015, la loi dit expressément que le vote des Burkinabè de l’extérieur est entré en vigueur. C’est dire qu’aujourd’hui, par rapport à cette disposition de la loi, l’article 265 notamment, s’il y a un vote national, les Burkinabè de l’extérieur devraient y prendre part. Voilà des obligations que nous avons trouvées. Quant aux éléments de notre programme, le premier est relatif à la question de la soutenabilité du processus électoral lui-même. Le cycle électoral passé, c’est-à-dire la présidentielle, les législatives et les municipales passées, ont coûté environ 40 milliards de F CFA. C’est beaucoup d’argent pour un pays comme le Burkina Faso. Il faut donc ramener les choses dans des proportions qui sont soutenables par le contribuable. C’est le processus dans lequel nous nous sommes engagés. Et dans ce domaine, il y a des actions prioritaires qu’il faut mener. Il y a un principe important, celui de revoir comment nous faisons nos prévisions annuelles du fichier électoral. Aujourd’hui, quand on engage cette opération, il faut dépenser, sans compter l’acquisition des solutions technologiques, entre 8 et 9 milliards de F CFA, sans compter le scrutin lui-même. Nous pensons qu’il est possible de réfléchir sur la manière de faire des révisions du fichier électoral sans que  cela ne coûte autant. D’autant que d’autres pays le font moins cher. L’autre élément, c’est de revoir le document de vote. Nous sommes de plus en plus enclins à penser que ce n’est pas nécessaire de multiplier les documents de vote. Avec la technologie et le travail formidable qui est abattu par une institution telle que l’Office national d’identification (ONI), il est possible d’utiliser la Carte nationale d’identité burkinabè (CNIB) comme carte d’électeur. Cela permet d’économiser beaucoup de milliards de F CFA et de ne pas renchérir les coûts de révision du fichier électoral. Voilà un certain nombre de pistes de réflexion que nous engageons sur la problématique de la soutenabilité du processus électoral. Il y a d’autres éléments de notre programme, qui consistent à travailler à l’accomplissement d’une des missions que la loi confie à la CENI, mais que l’on n’a jusque-là pas mise en œuvre : c’est l’éducation citoyenne. Nous pensons qu’il faut commencer par le bas, c’est-à-dire l’école primaire. Très prochainement, à l’horizon 2018, nous pensons mettre en place dans chacune des écoles primaires, ce que nous appelons la Commission électorale indépendante d’école. Cela permettra de préparer les enfants au processus électoral, à la démocratie et au choix démocratique. Lorsque l’on dit que la carte d’électeur est une arme, il faut que les enfants l’apprennent depuis le bas âge. Ils ne doivent pas le découvrir en devenant adultes. La responsabilité et les choix, il faut que les gens apprennent à les faire de façon démocratique, dès l’école.

Pensez-vous que la CENI pourra relever le défi du vote des Burkinabè de l’extérieur ?

Nous n’avons pas d’autre choix que de tenir le pari du vote des Burkinabè de l’extérieur. Il y a des modalités sur lesquelles nous travaillons et que nous allons divulguer dans les jours à venir, après ce que nous avons fait comme processus d’apprentissage dans les missions d’études dans les pays qui nous ont devancés et qui étaient à peu près au même niveau que nous pour ce qui est du vote de leurs ressortissants à l’étranger. Puisque  la loi dit de façon claire que c’est à la CENI de moduler le processus de la mise en œuvre du vote des Burkinabè, nous allons travailler de sorte à être prêts au moment opportun.

Quelles sont les actions concrètes que vous menez dans le sens d’être prêts au moment opportun ?

Tout d’abord, nous avons essayé de comprendre le processus, c’est-à-dire comment on opérationnalise le vote des ressortissants à l’étranger, comment le mettre en œuvre, etc. Quelles sont les dispositions de la loi ? Qu’est-ce qui paraît opérationalisable sur le terrain ? Parce qu’entre les dispositions de la loi et ce qui se fait sur le terrain, il y a parfois des GAP qu’il faut combler. Ce sont des choses sur lesquelles nous travaillons. Il y a également l’évaluation du processus en termes de coûts financiers.  Le vote des Burkinabè de l’extérieur a un rapport de 1 à 7. Certains parlent d’un rapport de 1 sur 10. C’est-à-dire que si le vote d’un Burkinabè sur le territoire national coûte 1 franc, celui d’un ressortissant burkinabè à l’extérieur doit coûter 10 fois plus. Les coûts sont donc énormes. Nous avons déjà fait ce processus d’évaluation. A partir de 2017, nous allons apporter des modifications, des éléments pour que le ministère en charge de l’Administration territoriale qui doit porter le projet électoral, puisse introduire les amendements nécessaires dans le Code électoral afin que le vote puisse se tenir. Nous allons également faire des tournées de sensibilisation sur un certain nombre de données qui doivent figurer dans la loi. Ce sont des questions de seuil. On doit se demander si on pourra organiser les élections dans toutes les ambassades ou s’il faut tenir compte d’un seuil. C’est-à-dire, s’il y a un seul Burkinabè dans une zone donnée, est-ce qu’il sera opportun de dépenser des milliards de F CFA pour y aller et le faire voter ? En outre, lorsque l’on parle de Burkinabè résidant à l’étranger, il y a lieu de se demander aussi ce qui fonde le caractère de résident. Dans les lois internationales, il y a une définition qui en est faite. Mais, chez nous, quel critère doit-on considérer ? Est-ce l’immatriculation à l’ambassade ou est-ce que l’on doit avoir recours à d’autres documents ? Au Sénégal, le problème est réglé par l’utilisation de la carte consulaire ou un titre de résidence. Le Mali et le Niger font fi également de la carte consulaire. Mais le Canada définit la question autrement. Pour les Canadiens, un résident à l’étranger, c’est celui qui part pour une courte période et qui n’a pas coupé les ponts avec le pays d’origine. Peut-on demander à un Burkinabè qui a fait 50 ans au Ghana et qui n’est jamais revenu au pays, d’influer sur des actions importantes du Burkina Faso ? C’est quand même deux élections importantes, à savoir le choix du président du Faso et le référendum sur des questions importantes pour notre pays. Donc, ce sont là des questions importantes sur lesquelles nous devons nous entendre. Par ailleurs, il y a un budget qui a été élaboré et qui a été soumis au gouvernement, sur lequel nous sommes en discussion pour que dès 2018, si toutes les questions ont trouvé un consensus, nous puissions constituer, pour la première fois, le fichier électoral des Burkinabè de l’étranger. Une fois que le fichier est constitué, 3 mois avant le scrutin, nous allons installer les démembrements.

« Pour la première opération, il faudrait probablement prévoir environ 30 milliards de F CFA »

A combien peut s’élever, en termes de coût, la participation au vote des Burkinabè de l’étranger ?

Il faut se baser d’abord sur nos projections. Au regard de la diaspora que nous avons, nous pensons que d’une manière globale, en Côte d’Ivoire, nous avons plus d’un million d’électeurs. Pour le reste de la CEDEAO, nous pensons pouvoir avoir 750 000 personnes. Pour le reste du monde, nous espérons avoir 250 000 électeurs. Quand on fait la sommation, on se retrouve avec près de 3 millions d’électeurs. C’est autour de ces chiffres que les évaluations financières se font. Sur la base de ces projections et rien que pour le recensement, nous sommes autour de 18 milliards de F CFA. L’opération de vote pourra aussi se réaliser autour de cette somme. Si nous partons donc de ce postulat, pour la première opération, il faudra prévoir environ 30 milliards de F CFA. Si c’est en 2020, il va aussi falloir faire voter les Burkinabè de l’intérieur également sur une élection couplée présidentielle et législatives. Alors, pour le tout, le budget avoisinera les 50 milliards de F CFA pour tout le processus.

 Pouvez-vous nous dire si déjà les petits plats sont mis dans les grands pour la bonne tenue du référendum constitutionnel ?

Nous nous préparons et attendons que les politiques décident. Nous sommes un organisme de gestion des élections, mais nous ne décidons pas du calendrier des élections. C’est au niveau du gouvernement que les choses se décident. Donc, nous sommes dans l’attente. Si une date est trouvée pour les élections, nous sommes prêts. Seulement, nous avons des obligations relatives à la loi, entre autres, la révision du fichier électoral. Pour cette opération, il faut trois mois. C’est la seule contrainte que nous avons.

Pour terminer, que répondez-vous à ceux qui insinuent que vous avez été porté à la tête de la CENI parce que l’on voudrait vous faire taire ?

Me faire taire par rapport à quoi ? C’est vrai, le fait d’avoir accepté de diriger la CENI m’impose un devoir de réserve mais, personne n’oblige personne à faire quoi que ce soit. On ne m’a pas obligé à accepter le poste. J’ai accepté ce poste et la servitude doit s’appliquer à moi. Mais, de là à dire que c’est la raison pour laquelle « on m’a mis » à la tête de la CENI … D’ailleurs, je ne sais pas si « on m’a mis ». On devait postuler et au niveau de la communauté musulmane, nous étions une dizaine à le faire. Ma candidature a été finalement retenue. Alors, est-ce que la communauté musulmane visait déjà à me faire taire ? Je n’en sais rien. Il y a quand même un système non-dit qui consiste à faire succéder à la tête de la CENI et d’une manière consensuelle, les structures. Fortuitement, c’était le tour des musulmans. C’est tout ce que je peux dire.

Interview réalisée par Thierry Sami Sou et Adama SIGUE

 


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