HomeA la uneSAMADOU COULIBALY, MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE L’ALPHABETISATION :« Le continuum n’a rien de mauvais »

SAMADOU COULIBALY, MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE L’ALPHABETISATION :« Le continuum n’a rien de mauvais »


Samadou Coulibaly, le Ministre de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation, drapé d’une tenue Faso Dan Fani, nous a reçu environ une heure d’horloge, le lundi 03 août 2015, dans son cabinet. Sans langue de bois, l’homme nous a retracé son parcours universitaire et professionnel, avant de s’appesantir sur les chantiers de son département. Il a apprécié positivement les résultats scolaires 2014-2015. Quant à l’épineuse question du continuum qui défraie la chronique, Samadou Coulibaly a donné sa vision sur sa mise en œuvre, qui nécessite de gros moyens financiers et une volonté politique. Homme politique, il affirme sa foi en l’idéal sankariste. Il termine son propos par un appel à tous les acteurs du monde éducatif pour bouter l’analphabétisme hors du Burkina Faso.

Nous vous invitons à découvrir davantage les recettes thérapeutiques de Samadou Coulibaly.

 

« Le Pays » Quel bilan faites-vous de la session 2015 des examens et concours  scolaires?

 

Samadou Coulibaly : La session 2015 s’est très bien déroulée, en ce sens que nous n’avons rencontré aucun problème majeur pendant tout le déroulement des examens et du concours d’entrée en sixième. La session s’est déroulée du 9 au 18 juillet 2015. Nous avons eu un total de 310 000 candidats au Certificat d’études primaires (CEP), dont 227 000 admis, soit un taux de succès de 73%. Il a fallu mobiliser pour cela près de 17 000 correcteurs et 3 000 agents de secrétariat, pour un coût total d’environ 3 milliards 300 millions de F CFA. Comme je le disais tantôt, nous n’avons pas eu de problème, ni pendant le déroulement des épreuves, ni pendant les corrections. C’est un bilan très satisfaisant de notre point de vue.

 

Qu’est-ce qui explique la baisse du nombre de candidats pour cette session par rapport à la précédente?

 

En ce qui concerne les résultats du CEP session 2013, nous avons eu à peu près 62% d’admis. A celui de 2014, le pourcentage des admis est passé à 82% et en même temps il y a eu cette décision qui enjoignait le MENA de faire transiter quasiment la totalité de ces admis en 6; ce qui a obligé l’ouverture d’un grand nombre de collèges. Finalement, avec cette transition, le nombre d’admis au concours d’entrée en 6e a augmenté par rapport aux autres années. C’est ce qui fait que le nombre de candidats pour le CEP session 2015, pour l’une des rares fois, a régressé par rapport au nombre de candidats de l’année passée, tout simplement parce qu’il n’y avait pas assez de redoublants. Tous les admis au CEP ont transité en 6e et c’est cela qui explique cette baisse.

 

« Il y a des temples qui ont servi d’écoles de même que des centres d’alphabétisation qui avaient été réquisitionnés »

 

L’option de rationnaliser les admis au concours d’entrée en 6e suffira-t-elle à juguler le problème de places?

 

Nous sommes partis d’une réalité simple. Sans tenir compte des capacités d’accueil dans les classes de 6e, il a été demandé au ministère, l’année dernière, de faire transiter vers la 6e tous les admis au CEP. Tout le monde a pu constater la pagaille que cela a créée. Les enfants ont été affectés dans des établissements qui n’existaient pas. Quand nous sommes arrivés aux affaires, il a fallu nommer d’abord des directeurs dans la plupart de ces CEG qui, à leur tour, devraient chercher des salles de classes où abriter les élèves et commencer les cours. Pour nous, tout cela ne concourrait pas à la qualité de l’éducation, avec tous les problèmes d’enseignants que cela a posés par la suite. Nous nous sommes dit que pour cette année scolaire 2015-2016 qui s’annonce, il fallait à tout prix éviter cette pagaille, une situation qui peut s’apparenter à une non-école pour un certain nombre d’enfants. Pour cela, nous allons partir sur la base des capacités réelles d’accueil dont nous disposons dans les classes de 6e et nous allons recruter le nombre d’admis en 6e en fonction de ces places disponibles. Maintenant, s’il se trouve que dans nos projections de constructions, tel que cela peut se lire dans le budget 2016, il y aura d’autres possibilités d’extension, autant que faire se peut, nous supplémenterons ce nombre d’admis à l’entrée en 6e en tenant compte de ces possibilités, de telle sorte que des enfants n’aillent pas se retrouver sous des arbres comme ce fut le cas avec la promotion précédente.

Il y a des temples qui ont servi d’écoles de même que des centres d’alphabétisation qui avaient été réquisitionnés. Cela a posé un problème pour le démarrage de la campagne d’alphabétisation 2015, puisque les salles de classes étaient occupées par les élèves. C’est dire que cette option ne suffit pas à juguler le problème. C’est un problème d’infrastructures. Même en procédant tel que nous envisageons de le faire, nous ne pourrons pas résoudre le problème définitivement. Il ne pourra être résolu qu’à travers la réalisation d’infrastructures en quantité suffisante pour accueillir tous les admis au CEP. C’est la solution la plus durable.

 

Y a-t-il désormais quelque chose de prévu pour faciliter l’insertion des élèves en situation de handicap dans les classes de 6e?

 

Le gouvernement est sensible à la cause des enfants en situation de handicap. La création de la Direction de l’éducation inclusive participe de cette prise de conscience de la nécessité d’offrir des opportunités de s’instruire et de pouvoir jouer leur partition dans la vie de leur pays. Plus près de nous, nous avons été alertés, il y a quelque temps, par un média qui a parlé d’un problème d’élèves dans la localité de Houndé, dans le Tuy. C’était un problème lié à la vision. Nous avons dépêché une équipe technique pour aller s’enquérir de la réalité du phénomène. Nous sommes en train de voir ce que nous pouvons faire pour accompagner ces élèves qui sont en nombre assez important. Pour revenir à la question, le ministère pose un certain nombre d’actes pour permettre aux élèves en situation de handicap de prendre part aux différents examens et de pouvoir transiter vers le post-primaire. A titre illustratif, ceux qui sont malentendants par exemple, lorsqu’on leur fait la dictée comme les autres enfants, cela leur pose problème. Nous avons donc pensé à une autre forme de dictée : l’élève reçoit une dictée de laquelle quelques mots ont été sautés ; et pendant que ses camarades recopient la dictée dans son entièreté, ceux qui sont en situation de handicap devront se concentrer simplement à écouter et à distinguer les mots qui ont été sautés. C’est cette formule qui a été trouvée au niveau de la dictée. Concernant les élèves malvoyants, il est difficile de leur demander de faire des dessins, une carte ou des appariements. Il faut trouver d’autres formules de questionnaires qui reprennent ces mêmes épreuves ; ce que nous appelons des questions ouvertes ou fermées. Il y a pas mal de choses qui ont été imaginées pour permettre aux enfants en situation de handicap de pouvoir composer les épreuves sereinement et de pouvoir transiter vers le post-primaire.

 

Où en est-on avec la reconversion des enseignants du primaire vers le post- primaire?

 

Pour la rentrée 2015, le ministère entendait recruter 2500 enseignants du post-primaire dont 1500 en recrutement direct et 1000 enseignants du primaire qui devaient être reconvertis en enseignants du post-primaire. Le test a donné des résultats qui n’ont pas été satisfaisants. Au finish, 2 profs dans les 2 groupes, ce qui nous a laissé un gros GAP. Cette année, le test sera reconduit et nous voulons 900 professeurs de CEG pour le recrutement direct et la reconversion de 800 instituteurs titulaires de diplômes universitaires en enseignants du post-primaire. Le test sera bientôt lancé en collaboration avec le ministère en charge de la Fonction publique et nous espérons que cette fois -ci, nous aurons assez d’admis pour occuper les postes vacants.

 

Notre système éducatif a expérimenté plusieurs méthodes : de la Méthode syllabique à la Méthode ‘’ lire au Burkina ‘’, le constat semble implacable : la qualité de l’enseignement est en chute libre. Que préconisez-vous pour rehausser le niveau?

 

La qualité de l’enseignement peut chuter suite à la conjugaison de plusieurs facteurs. Cela peut être une question de méthode qui n’est plus en phase avec l’évolution des mentalités. Cela peut être un facteur de blocage qui va entraîner la chute de la qualité de l’éducation. La chute de la qualité de l’éducation peut également provenir des enseignants. S’ils ne sont plus motivés, si la profession perd de sa valeur telle que la tendance actuelle le démontre, cela peut aboutir à une baisse de rendement. Il y a également un certain nombre de réalités telles que le nombre de candidats par classe. Il y a quelques années de cela, il était inimaginable d’avoir une centaine d’élèves dans une classe, ce qui est courant de nos jours. Il y a des classes de 150 élèves dans ce pays. Dans ces conditions, le ratio élèves-enseignants étant très élevé, la qualité de l’enseignement ne peut que prendre un coup. Ce ne sont donc pas les méthodes seules qui sont à la base de la baisse de la qualité de l’enseignement, d’autres facteurs liés à la formation des encadreurs, leurs conditions de vie et de travail y participent également. Il y a, par exemple, le cas des écoles sous paillotes. Actuellement, il y en a plus de 3000 et cela a un impact très négatif sur la qualité de l’enseignement, en ce cens que ces classes ne peuvent pas couvrir tout le volume horaire de l’année scolaire, compte tenu des intempéries. Il y a autant de facteurs qui, mis ensemble, concourent à la baisse de la qualité de l’enseignement.

 

D’aucuns estiment insuffisant le niveau de formation des enseignants du primaire. Quel est votre avis sur la question?

 

Je ne partage pas totalement cet avis. En fait, les enseignants sont très bien formés dans les Ecoles nationales des enseignants du primaire (ENEP). Les formateurs qui y dispensent les cours ne sont pas formés au hasard. Il y a une certaine rigueur qui est imprimée, aussi bien pendant la formation que pendant les examens de sortie. Ce qu’il faut plutôt incriminer, c’est la formation continue. Très souvent, à la sortie de l’école, vous croyez connaître vos cours. Mais, lorsque vous êtes face à la réalité sur le terrain, il y a des situations qui vous donnent la preuve qu’en réalité, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre. Et c’est à travers la formation continue que les insuffisances de la formation théorique peuvent être corrigées progressivement, pour que l’enseignant soit performant. Mais si la formation continue n’est pas suivie de façon systématique, n’est pas organisée de façon à avoir un impact qualitatif sur l’enseignant, au bout de quelques années, celui-ci ne peut pas être performant. Ce n’est donc pas la formation initiale qu’il faut remettre en cause, mais c’est plutôt la formation continue.

 

« Les écoles privées de formation des enseignants du primaire sont en train de se développer à un rythme effréné »

 

Des syndicats d’enseignants du primaire ont dénoncé la mauvaise qualité du matériel didactique et le retard dans sa livraison. Quelles solutions envisagez-vous pour éviter de fâcheux incidents à l’avenir?

 

Il y a effectivement beaucoup de problèmes que nous avons notés au niveau de l’acquisition du matériel didactique. Il y a des commandes de matériel didactique qui ont été passées en Tunisie, pendant qu’on pouvait trouver ici sur place des entreprises capables de fournir le matériel et dans les délais. Le matériel a été commandé en Tunisie et a été convoyé par bateau. Imaginez le temps que cela va prendre. Aussi, vous n’avez pas la possibilité de voir le matériel ; des spécimens n’ont pas été produits au départ pour s’assurer de la qualité du matériel. Lorsque le matériel arrive, les gens sont devant le fait accompli et compte tenu du retard dans la livraison, on est obligé d’envoyer du matériel défectueux dans les classes. Il y a des choses de ce genre qui se sont produites dans ce pays, qu’il faut mettre à l’actif de l’impunité qui a régné à un certain moment. Au niveau des transferts des fonds aux collectivités territoriales pour l’acquisition de certains matériels, il y a également eu des retards venant du niveau central. Celui-ci n’a pas alloué à temps les fonds pour acheter par exemple le cartable minimum. A ce niveau aussi, les critères de qualité n’ont pas toujours été respectés. Les syndicats ont eu parfaitement raison de dénoncer la mauvaise qualité du matériel.

 

Parlant de commandes de matériels faites en Tunisie, cela a-t-il échappé au contrôle du MENA?

 

Vous savez bien comment le pays était géré. Il y a même des contrefaçons de certains documents pédagogiques qui relèvent du MESS ou du MENA, qui nous reviennent de certains pays. Il y a des gens qui obtiennent des marchés et qui viennent vous imposer leurs documents, parce qu’ils ont pu les imprimer moins cher et le plus souvent avec des erreurs. C’est le cas de certains livres. Il y avait une situation nationale qui favorisait ce genre de pratiques.

 

La multiplicité d’écoles privées de formation des enseignants du primaire n’impacte-t-elle pas négativement la qualité de la formation des élèves?

 

Effectivement, les écoles privées de formation des enseignants du primaire sont en train de se développer à un rythme effréné. Il y en avait 65 d’actives en 2014-2015, contre 7 ENEP publiques. Nous avons eu à signer plusieurs dizaines d’agréments pour la création d’écoles privées de formation des enseignants du primaire. Certes, il y en a un grand nombre, mais le ministère a mis toutes les chances de son côté. Quand vous demandez l’agrément pour la création d’une école privée de formation des enseignants du primaire, nous vous le délivrons au regard d’un cahier de charges. Après la formation des élèves maîtres, ceux-ci sont soumis à leur sortie à un examen national organisé par le MENA. Ceux qui n’ont pas été bien formés ne peuvent pas être admis. Nous n’avons donc pas de craintes à ce niveau. Si c’étaient les écoles mêmes qui certifiaient les élèves-maîtres sortants, il y aurait de quoi s’inquiéter.

 

En votre double qualité d’inspecteur du 2nddegré et d’homme politique, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le continuum éducatif?

 

Le continuum éducatif est une réforme qui est introduite dans le système éducatif du Burkina Faso, qui vise à faire en sorte que l’enfant qui entre au préscolaire à l’âge de 3 ans, puisse continuer sans difficultés majeures jusqu’au post-primaire, c’est-à-dire en classe de 3e. Qu’il puisse être gardé à l’école de l’âge de 3 ans à 16 ans. Du préscolaire au primaire, on a une simple transition, sans accroc majeur. Du primaire également au post-primaire, on devrait arriver à un taux de transfert de 100%. Du CM2, les élèves devraient pouvoir passer en 6e sans trop de difficultés, d’où l’idée du continuum. C’est un élément dans une réforme globale, comme je le disais tantôt, qui comprend l’obligation scolaire et la réforme des curricula. Nous sommes dans un monde qui évolue, le pays évolue et il faut un citoyen situé dans le monde. Il faut que les curricula répondent à la formation d’une telle personne. Pris sous cet angle, le curriculum ne peut pas être mauvais. C’est un système dédié à garder les enfants au maximum à l’école, jusqu’à l’âge de 16 ans ; ce qui permet de les prémunir contre un certain nombre de dangers, notamment la délinquance s’ils venaient à être exclus du système éducatif.

De ce point de vue, le continuum n’a rien de mauvais. Ce qui est dommage, c’est la précipitation dans la généralisation de la transition du primaire vers le post-primaire qui a entraîné un certain nombre de désagréments lors de la rentrée scolaire 2014-2015. Ce qui est à déplorer également, c’est que les moyens conséquents ne sont pas mis à la disposition du MENA pour encadrer le continuum comme cela se doit. Pour revenir à votre question, je n’ai personnellement rien contre le continuum. Je trouve même que c’est une bonne chose. En outre, il faut se rappeler que l’idée du continuum tel que nous le vivons aujourd’hui, avait déjà effleuré les esprits. En 1986, il y a eu un projet de réforme du système éducatif qui n’était pas différent du continuum que nous avons. Mais ces deux réformes n’ont pas été abordées de la même façon. Pour celle de 1986, lorsque l’avant-projet de réforme était prêt, il a été soumis à débats au niveau des Comités de défense de la révolution. Lorsque le bureau national des Comités de défense de la révolution (CDR) d’université a reçu le document, il a demandé au bureau du comité de l’Université de  Ouagadougou de faire le travail au nom du bureau national des étudiants. Celui-ci a, à son tour, demandé aux différents responsables à la formation politique des 10 écoles et instituts de l’Université de Ouagadougou de se pencher sur le document et de faire des propositions. J’étais à l’époque responsable à la formation politique de l’Institut supérieur des langues, des lettres et des arts. Et à ce titre, j’ai travaillé sur ce document avec un certain nombre de camarades dont  Omar Soma, Jean Zida, François Compaoré, le Directeur des enseignements Secondaire et supérieur du Centre, Bénéwendé Sankara qui était à l’époque le responsable à la formation politique de l’Ecole supérieure de Droit. Au finish, nous avons rejeté la réforme pour un certain nombre de raisons. Premièrement, il était inscrit dans le document que la population du pays était à 90% paysanne. L’axe de la réforme n’apparaissait pas parce qu’il n’était pas dit ce qui devait être fait pour qu’au finish, on ait 90% d’enfants de paysans à l’université. La réforme disait également qu’il n’y aurait pas de certification. Nous, nous avons estimé qu’on ne pouvait pas vivre en autarcie. On est obligé de sortir, d’aller à la rencontre des autres nations et on ne peut le faire sans avoir quelque chose qui atteste notre niveau de formation. Le coût de la réforme posait également problème. Telle que proposée, elle devrait coûter autour de 78 milliards de FCFA. Nous nous sommes demandé si nous avions cette somme pour qu’il n’y ait pas une demi-application mortelle pour l’ensemble du système éducatif. Ce n’est que quelques années plus tard que quelqu’un de très fiable m’a certifié qu’à l’époque, les 78 milliards de FCFA étaient effectivement disponibles pour engager la réforme et que l’aide venait de Cuba. La quatrième raison pour laquelle nous nous avons abandonné la réforme, c’est qu’avec le volet enseignement technique, nous sommes demandé comment acquérir progressivement la matière d’œuvre pour les différents ateliers. Comment les outils qui allaient être fabriqués par ces élèves, les tables et autres, allaient ils être écoulés? La réforme ne disait rien sur cet aspect. C’est donc pour ces raisons que nous l’avons abandonnée.

 

Quelles sont les actions entreprises pour faciliter son opérationnalisation et quelles sont les difficultés rencontrées jusque-là? Qu’est-ce qui divise fondamentalement la communauté des enseignants par rapport au continuum éducatif?

 

La grosse difficulté est qu’il a été demandé à des acteurs d’appliquer ce qui ne leur a pas été expliqué. Lorsque je suis arrivé à la tête de ce ministère en novembre 2014, il y avait plusieurs directeurs provinciaux et régionaux, des inspecteurs et des maîtres qui ne comprenaient pas ce qu’était le continuum. Il en est de même pour les acteurs au niveau des collectivités territoriales, des gouverneurs, des préfets, qui, très souvent, sont nos relais. Ce sont des gens qui devraient recevoir une formation idoine sur le contenu de la réforme et particulièrement sur le continuum. C’est à tous ces gens-là qu’on demande d’appliquer quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Dans ces conditions, il y a un problème. Comment mettre en œuvre quelque chose dont on ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants ? Lorsque nous avons constaté cela sur le terrain, nous avons demandé qu’on organise des séances de communication sur le continuum pour réunir les populations et leur expliquer le contenu de la réforme, particulièrement la partie du continuum. Diverses séances d’échanges sur le continuum ont été tenues avec les populations à la base. Le Directeur de presse et de communication ministérielle (DCPM), les techniciens et moi-même avons organisé des sorties dans les régions et nos échanges duraient 4 h au moins, parce qu’il fallait expliquer de long en large. Nous sortions ragaillardis des échanges parce que les gens nous confiaient qu’ils ne comprenaient pas en fait le continuum, que cette réforme n’avait rien de mauvais, et qu’il fallait plutôt l’accompagner.

 

« Le continuum est mieux compris à ce jour qu’il ne l’était hier »

 

Avez-vous, à ce jour, le sentiment que le message sur le continuum est passé?

 

Honnêtement, le continuum est mieux compris à ce jour qu’il ne l’était hier.

Et tous ceux qui ont participé aux échanges sur la question adhèrent complètement à l’idée du continuum. Bien sûr, il y a toujours des réticents, du fait des moyens d’opérationnalisation du continuum. Si nous devons continuer ainsi, aura-t-on les moyens d’encadrer tout ce flux que nous recevons au post-primaire ? Est-ce qu’on aura les moyens de construire les infrastructures de façon systématique pour accueillir le flux des élèves? Je pense que les réticences sont plus au niveau des moyens disponibles pour la conduite de la réforme que pour l’idée même de la réforme. Ce n’est pas que les gens pensent qu’elle va échouer en tant que telle. Si elle venait à échouer, ce serait véritablement par manque de moyens.

 

Novembre 2000-juin-2002, le département de l’Education était dirigé par un Sankariste. Novembre 2014, un autre Sankariste bon teint dirige le département jusqu’à ce jour. Est-ce un fait de hasard ou est-ce parce que c’est un département de prédilection pour les Sankaristes?

 

Je pense que c’est purement et simplement un fait du hasard. De 2002 à 2014, le MENA a été dirigé et avant 2002, il l’a également été. Et il n’a pas toujours été dirigé par des Sankaristes. Depuis 1960, ce ministère a été dirigé. Je pense que c’est un fait du hasard.

 

Parlons du Sankarisme… est- ce pour vous un concept, une idéologie ou tout simplement un outil de propagande politique?

 

Il peut être tout, sauf un outil de propagande politique. Le considérer comme un outil de propagande politique voudrait dire que si vous vous réclamez sankariste, c’est pour vous faire de la publicité ou c’est considérer que c’est un concept creux, qui n’a pas une emprise réelle sur la conduite d’un Etat sur le chemin du progrès. Alors que le Sankarisme, ce n’est pas cela. Nous considérons le Sankarisme comme un concept qui se fonde sur un certain nombre de valeurs. Le premier aspect du Sankarisme, c’est d’affirmer l’indépendance du pays et la défendre à tout prix. Si vous ne pouvez pas faire cela, vous ne pouvez pas vous réclamer Sankariste, car c’est le point de départ du Sankarisme. Si vous n’êtes pas prêt à cela, vous ne pouvez pas réussir. En effet, affirmer l’indépendance de votre pays et la protéger à tout prix vous oblige à défendre les ressources de votre pays contre l’exploitation étrangère. Cette protection va certainement vous créer des ennuis, mais c’est le prix à payer. Si vous n’êtes donc pas prêt à défendre l’indépendance de votre pays, vous ne pouvez pas prendre de mesures économiques salvatrices pour son développement. Par exemple, il faut du courage pour interdire certaines importations, pour résister à certaines impositions des puissances qui vous sont supérieures. La meilleure façon d’assurer l’indépendance de votre pays, c’est aussi de travailler à être réellement indépendant. C’est-à-dire à compter sur votre propre force et si vous ne le pouvez pas, à ce moment, vous serez amené à faire appel à l’étranger. Mais au départ, il faut que vous ayez mis la main à la pâte et travaillé à réunir tout ce qui peut concourir à votre véritable indépendance; c’est réaliser l’effort populaire d’investissement. Avant que des gens viennent vous aider, il faut que vous vous investissiez vous-mêmes, que vous ayez investi votre argent, vos moyens et votre technicité pour réaliser quelque chose. A titre d’exemple, nous avons eu, ici, le Programme populaire d’investissement qui nous a amenés à concevoir des choses par nous-mêmes au niveau des bases. Et nous avons réuni les moyens pour les réaliser. Il y a eu aussi l’Effort populaire d’investissement (EPI), qui nous a permis d’acheter 45 ambulances sur le coup. En plus de cela, il faudrait travailler à valoriser les produits locaux. Vous ne pouvez pas continuer à importer des vêtements qui sont faits à base de votre propre coton.

 

« C’est une assimilation active que nous faisons des différentes théories économiques que nous recevons »

 

C’est ce qui explique votre tenue traditionnelle d’aujourd’hui (Ndlr : le jour de l’interview)?

 

(Rires). Thomas Sankara a eu à dire que nous n’allons plus continuer à importer des chaussures en cuir parce que le cuir vient de la vache et que la vache vient de chez nous. C’est une véritable aberration que de voir des Burkinabè payer des chaussures en cuir à des milliers de francs alors que ces cuirs proviennent de leurs vaches. C’est le Burkinabè qui devrait exporter des chaussures en cuir. Donc, lorsqu’on est Sankariste, on essaie de penser le développement de son pays en affirmant d’abord son indépendance, en la défendant et en protégeant les intérêts nationaux contre toutes formes d’exploitation. C’est concevoir son développement par soi-même et non par des théories imposées. Nous, nous prenons les théories et nous les déroulons sur nos réalités socioéconomiques et culturelles et nous appréhendons ensuite les transformations nécessaires que nous devons apporter au niveau de ces théories pour servir les causes de notre environnement social et économique. C’est une assimilation active que nous faisons des différentes théories économiques que nous recevons et non une assimilation passive. Donc, oser inventer la roue, c’est tout cela mis ensemble qui fonde le concept sankariste.

 

Avez-vous quelque chose à ajouter?

 

Effectivement, je voudrais revenir sur les salles de classes sous paillotes. Là-dessus, j’ai présenté un rapport sur la situation en Conseil des ministres. Nous avons évalué la situation et nous nous sommes rendu compte que pour résorber le problème en accompagnant ces écoles avec des infrastructures, il nous faut environ 58,2 milliards de F CFA. En plus de présenter cette stratégie de résolution du problème des salles de classes sous paillotes, nous avons, toujours en Conseil de ministres, présenté un rapport sur l’impact négatif des salles de classes sous paillotes sur la qualité de l’éducation. Dans une localité comme Batié où les pluies commencent en avril et s’étendent jusqu’en fin octobre, si vous avez des salles de classes sous paillotes, à partir du 30 mars, il n’y a plus de cours. En plus, il faut, à ce moment, que les cours commencent en novembre. C’est dire que l’année scolaire s’étend du 1er novembre au 30 mars. Donc, dans les salles de classes sous paillotes, les déperditions par an tournent autour de 2 mois au minimum. Cela influence négativement la qualité de l’éducation.

 

Interview réalisée par Salifou PARKOUDA (collaborateur)

[email protected]

 

 

 

ENCADRE

 

Qui est le ministre Samadou Coulibaly? Pouvez-vous mieux vous présenter à nos lecteurs

 

Je m’appelle Samadou Coulibaly, né en 1959. Je suis professeur d’anglais. Par la suite, je suis devenu encadreur pédagogique d’anglais. J’ai travaillé à l’inspection d’anglais, aussi bien à Ouagadougou qu’à Bobo-Dioulasso, mais à un certain moment, je n’ai pas pu résister à l’ambiance des salles de classes. J’ai demandé à y repartir et ce fut à l’Université polytechnique de Bobo-Dioulasso que je fus envoyé. C’est de là que je suis devenu ministre de l’Education nationale et de l’alphabétisation (MENA).

 


Comments
  • Bien vrai que c’est vraiment la précipitation dans la mise en oeuvre du continuum, sans les moyens conséquents pour l’encadrer qui vont entraîner son échec si l’on y prend garde. Mais il faut surtout insister sur la non disponibilité du personnel d’encadrement. Figurez-vous que certains élèves de 6è du continuum ont passé toute l’année scolaire sans faire ni aucun cours de math ni aucun cours d’anglais. Résultat, aucune évaluation dans ces matières, donc pas de bulletin de fin d’année. Ces enfants sont considérés comme ayant fait une année blanche. Et ces cas, il y en a à la pelle. Si à partir de la 6è on doit vivre ce que vivent les étudiants à l’université, l’avenir scolaire de ces enfants n’est pas rose. Ne prenons donc pas le problème du continuum à la légère, prenons le à bras le corps afin qu’il y ait des solutions adéquates pour ne pas hypothéquer l’avenir de nos enfants.

    19 août 2015
  • Merci cher Professeur (votre étudiant en licence de physique à Nasso en 2013), il faut dire que je me suis délecté de cette interview. J’ai vécu votre nomination comme une récompense à la vérité, à l’honnêteté et surtout au travail…et oui qui a dit que l’honnêteté et la vérité ne payent plus dans ce pays là. Voilà un exemple qui servira de repère à la jeunesse.
    Pour ma part, je vous remercie pour votre patience à mon égard quand je devais passer devant vous pour soutenir mon exposé en anglais et que pour des raison professionnelles (fonctionnaire en service à Dédougou) j’étais en absence prolongée; un mois plus tard vous acceptiez de me recevoir, seul à seul, pour mon exposé. Grand merci et que le Seigneur bénisse la suite de votre vie.

    19 août 2015

Leave A Comment