JOHN KERRY AU SOUDAN DU SUD ET EN RDC
Le secrétaire d’Etat américain prêche-t-il dans le désert ?
Après le Soudan du Sud et la République Démocratique du Congo (RDC), John Kerry s’est retrouvé en Angola hier dimanche, dernière étape d’une tournée africaine. Le secrétaire d’Etat américain, qui aime à cracher certaines vérités à ses hôtes, aurait pu agir de même dans la plupart des capitales africaines, tant la mal gouvernance prospère.
Il y avait des étapes essentielles à cette tournée du secrétaire d’Etat.
John Kerry a soutenu que l’actuel chef de l’Etat congolais ne doit pas briguer en 2016 un troisième mandat présidentiel
L’étape de la RDC s’imposait, ce pays étant le plus vaste, le plus riche, mais aussi le plus fragile en raison de l’instabilité qui y règne depuis des décennies. Les choses peuvent dégénérer, surtout si le président Joseph Kabila persiste à s’accrocher au pouvoir. Mais, avant de quitter Kinshasa, John Kerry, dans une déclaration-choc, a soutenu que l’actuel chef de l’Etat congolais ne doit pas briguer en 2016 un troisième mandat présidentiel. Cela lui est interdit par la Constitution congolaise. Le secrétaire d’Etat américain s’exprimait ainsi à l’issue d’une rencontre avec son hôte.
En RDC, le débat porte en effet sur une éventuelle candidature de Joseph Kabila à la prochaine présidentielle. L’actuel chef de l’Etat congolais en est à son deuxième et dernier mandat présidentiel.
En ce qui concerne le Soudan du Sud, le principe de l’obtention du tête-à-tête de la part des frères en guerre, en vue d’imposer la paix, constitue une obligation morale. En effet, les Etats-Unis ont été le principal artisan de l’accession du Soudan du Sud à l’indépendance en 2011. Cela, après plus de deux décennies (1983-2005) d’une sanglante guerre civile contre Khartoum. Ayant soutenu le 54e Etat africain à coût de milliards de dollars, Washington semble aujourd’hui se lasser de cette guerre fratricide qui a fait probablement des dizaines de milliers de morts, et contraint au moins 1,2 million de Sud-Soudanais à quitter leurs ménages.
Depuis mi-décembre, la lutte pour le pouvoir entre Salva Kiir, qui accuse de tentative de coup d’Etat Riek Machar, et ce dernier qui dénonce un prétexte inventé par le président pour éliminer des rivaux politiques, est exacerbée par de vieux antagonismes entre peuples Dinka et Nuer, dont sont respectivement issus les deux hommes.
Le diplomate américain avait échangé avec les deux belligérants du Soudan du Sud, les enjoignant de faire la paix, de préserver les vies humaines, et de conjuguer leurs efforts pour sortir leur pays de la détresse actuelle. Mais, faut-il vraiment s’attendre à voir se concrétiser l’accord obtenu de John Kerry ? En tout cas, pas dans des délais brefs. D’ailleurs, les divergences refont surface.
La perspective d’un face-à-face avec le président Salva Kiir n’enthousiasme vraiment pas le chef des rebelles au Soudan du Sud, à en croire certains observateurs. Apparemment, l’appel de John Kerry se heurte à un mur d’incompréhensions tant les agendas sont différents entre les anciens compagnons d’armes. Les rebelles qui se sentent puissants, ne semblent pas vouloir revenir en arrière. Ils semblent sûrs de pouvoir conquérir le reste du territoire. Que feraient les Etats-Unis s’ils poursuivaient leur avancée intrépide ? Certes, les Américains bandent les muscles. Le secrétaire d’Etat américain a ainsi eu à brandir la menace de sanctions ciblées (saisie d’actifs, interdiction de visa) contre Machar et Kiir, s’ils ne se décidaient pas à mettre fin au conflit. Mais, iront-ils jusqu’au bout, vu l’importance des intérêts géo- stratégiques ? A supposer même que l’accord se matérialise, combien de temps les belligérants vont-ils donner à la trêve ? Les divergences s’accentuant, faut-il s’attendre à les voir composer de sitôt un gouvernement d’union nationale ? Les sanctions prévues pourraient les y aider sans doute.
Le Soudan du Sud et la RDC, constituent assurément des exemples de pays mal gouvernés. Mais, on pourrait considérer comme discriminatoires et sélectives les pressions américaines envers les pays visités et indexés. Car l’Afrique, dans sa quasi-totalité, a mal à son processus démocratique. Pourquoi ne pas s’occuper des autres ? Par exemple, tout autour de la RDC, dans d’autres régions du continent, partout la barque tend à chavirer.
Des vérités doivent être dites à des gouvernants africains, aujourd’hui devenus de véritables canards boiteux de la démocratie
Ils sont légions sur ce continent où la soif du pouvoir personnel l’emporte de loin sur les intérêts des peuples en proie à la misère et à l’abandon par des élites aussi irresponsables que cupides. Puisque John Kerry ne peut aller partout, il faut espérer qu’en plus de Washington, les autres capitales occidentales multiplient les pressions sur les dirigeants irrespectueux envers leurs peuples et leurs propres serments. Il faut absolument aider les peuples africains à se débarrasser de la vermine qui empêche toute avancée démocratique, et à terme le progrès social. Le drame, c’est que l’Union africaine (UA) semble avoir capitulé devant les puissances étrangères. En dépit des efforts de ses représentants ou médiateurs, l’UA est devenue si aphone qu’elle perd de sa crédibilité et de son intérêt.
Le secrétaire d’Etat américain, lui, prêche-t-il dans le désert ? Probablement pas, certains dirigeants ayant besoin d’être tancés, sans forcément être humiliés ! Des vérités doivent être dites à des gouvernants africains, aujourd’hui devenus de véritables canards boiteux de la démocratie. Les performances macroéconomiques vite brandies par certains dirigeants africains, ne doivent pas faire oublier que leurs concitoyens souffrent de l’absence du minimum, et que jamais les privations en matière de liberté et de démocratie ne feront le bonheur des peuples. Il est donc de bon ton que le secrétaire d’Etat américain adresse des messages forts partout sur le continent. Il faut certes, encourager les efforts en faveur de la paix. Mais, la promotion de la démocratie, pensons-nous, ne doit pas s’arrêter à quelques pays du continent. Tous sont concernés.
« Le Pays »