DR ADJAHOURABOU BATABABON, GYNECOLOGUE ET OBSTETRICIEN : « Tous les fibromes ne nécessitent pas de traitement»
Bien que qualifié de mal bénin par les gynécologues, le fibrome est un mal qui répand la terreur auprès de la gent féminine. Car capable de rendre une femme stérile. Pour en savoir davantage sur ce mal silencieux, notamment ses manifestations cliniques, ses causes, ses complications, son ampleur au Pays des hommes intègres, nous sommes allé à la rencontre du docteur Adjahourabou Batababon, gynécologue et obstétricien à l’hôpital Blaise Compaoré. S’il qualifie le fibrome de mal bénin parce que tous les cas de cette pathologie ne nécessitent pas de traitement, il révèle cependant les complications que peut entraîner cette maladie muette qui fait souffrir 20 à 40% des femmes âgées de 25 à 40 ans à travers le monde. Lisez plutôt.
« Le Pays » : Qu’est-ce que le fibrome?
Docteur Adjahourabou Batababon alias Dr Bata: le fibrome peut se définir comme une tumeur bénigne, c’est-à-dire une tumeur qui n’est pas cancéreuse, qui se développe à partir du muscle de l’utérus ou alors des tissus fibreux de l’utérus. C’est en quelque sorte une masse plus ou moins arrondie, dure, qui peut se situer à n’importe quelle partie de l’utérus.
Quelles en sont les manifestations cliniques ?
Plus de la moitié des fibromes n’ont aucune manifestation. C’est-à-dire que ce sont des fibromes asymptomatiques encore dits muets. Et quand des signes existent, ils sont multiples et variés en fonction de la localisation du fibrome au niveau de l’utérus, du nombre de fibromes ou encore de leur taille. Si bien que la femme peut se faire consulter pour une simple augmentation du volume de l’abdomen ou pour des règles anormales, c’est-à-dire des règles abondantes, irrégulières, prolongées ou alors une irrégularité du cycle. Ces saignements mêmes peuvent survenir en dehors des règles. L’un des signes les plus importants et fréquents, c’est la douleur pelvienne ou simple pesanteur pelvienne. Ces signes sont généralement dus aux fibromes volumineux ou alors à la multitude de fibromes qui occupent tout le pelvis. Il y a également des signes comme la fertilité. Les fibromes, lorsqu’ils sont gros ou du fait de leur position, peuvent entraîner une hypofertilité, c’est-à-dire que la femme a des difficultés à concevoir. Il y a aussi des signes comme ceux digestifs, dus à la taille et à la position du fibrome. Ce dernier ayant un effet mécanique, un effet compressif sur les organes de voisinage c’est-à-dire le tube digestif qui est situé derrière l’utérus, ceci peut engendrer des ballonnements abdominaux ou une difficulté d’aller aux selles, autrement dit, des constipations. Il en est de même pour les fibromes qui sont situés en avant, à côté de la vessie qui recueille les urines. La patiente peut se plaindre de difficultés à émettre des urines, ou une miction très fréquente ou même une impossibilité d’uriner. Il y a également des signes neurologiques. Il peut y avoir névralgie par compression de nerfs qui passent à côté ou alors des signes hémorroïdaires par compression de vaisseaux sanguins, les veines qui passent de part et d’autres de l’utérus. On peut noter également la douleur pendant les rapports sexuels, encore appelée dyspareunie. La patiente peut consulter pour le simple fait de la stérilité. Et c’est au vu de ces signes, plus l’examen que le médecin pratique et d’autres examens complémentaires, que l’on peut confirmer l’existence ou non de fibrome.
Quelles sont les causes des fibromes?
Les causes de cette pathologie ne sont toujours pas bien claires. Il faut plutôt parler de facteurs de risques. Et à ce niveau, il y a plusieurs facteurs qui interviennent dans la survenue de fibrome. Il y a d’abord un facteur hormonal. Il faut-dire que le cycle de la femme est modulé par deux hormones. Ce sont des hormones stéroïdes que sont l’estrogène et la progestérone. Les estrogènes favorisent le développement des fibromes tandis que la progestérone freine leur croissance. Le facteur âge intervient dans la survenue des fibromes. Plus la femme est avancée en âge, plus elle est exposée car les femmes qui développent plus de fibromes, sont celles qui sont dans la quarantaine. Il y a aussi la précocité des premières règles. Les femmes qui voient leurs premières règles avant leur 12e année, auront plus tendance à développer la maladie car plus la période d’activité des organes sexuels féminins est longue, plus le risque de développer la maladie est grand. Cela, parce que le facteur hormonal a un effet plus prolongé sur l’utérus. Les femmes qui accouchent très tard ou n’ont pas d’enfant, c’est-à-dire la nulliparité (zéro grossesse) développent plus de fibromes.
« La population noire fait plus de fibromes que la population blanche »
Il en est de même pour les femmes stériles. A ces facteurs, s’ajoute celui racial. La population noire fait plus de fibromes que la population blanche. Il s’agit de fibromes de grande taille, de multiples fibromes. Toujours chez la race noire, le fibrome survient beaucoup plus à un âge plus jeune que chez la race blanche. Il y a aussi le facteur familial. La femme se présente à l’interrogatoire et on découvre qu’au niveau de ses grandes sœurs ou sa maman, il y a eu cette notion de fibrome utérin. Ce sont essentiellement les facteurs qui interviennent dans le développement du fibrome. Mais si l’on parle de facteur favorisant, il faut aussi parler de facteur protégeant la femme.
Les multipares, c’est-à-dire les femmes qui accouchent beaucoup d’enfants et celles dont l’âge de la dernière grossesse est tardif, c’est-à-dire l’âge de la ménopause est prolongé, ont moins de chances de développer le fibrome. L’activité sportive est également un facteur protecteur. Il y a aussi un facteur dont on parle peu : c’est le tabac qui a un effet anti-estrogénique qui bloque l’hormone favorisant le développement de fibromes.
Pourquoi la population noire fait-elle plus de fibromes que la population blanche ?
La raison est essentiellement génétique, c’est-à-dire chromosomique.
Quelles sont les complications de cette maladie ?
Le fibrome peut évoluer à bas bruit, c’est-à-dire sans signe clinique, sans jamais se manifester jusqu’à la ménopause. A partir de cette période, le fibrome n’a plus de pouvoir d’expression, du moment où la femme ne secrète plus d’hormone. Il reste comme tel, il peut régresser sans jamais se manifester. Par contre, le développement peut aboutir à des complications qui sont essentiellement liées aux signes que j’ai cités plus haut. C’est par exemple les hémorragies abondantes et permanentes qui peuvent conduire à une anémie sévère qui peut parfois nécessiter une transfusion sanguine. Il y a également la douleur qui peut être liée à une insuffisance de vascularisation du fibrome. C’est ce qu’on appelle la nécrobiose aseptique. C’est une complication majeure qui survient souvent par douleur brutale associée parfois à une fièvre ou à un état de choc. Lorsque le fibrome est suspendu libre dans l’abdomen, il peut tourner autour de lui-même et entraîner une torsion. C’est ce qu’on appelle la torsion du fibrome. C’est très douloureux et insupportable. Il y a également des complications liées à la position du fibrome et à sa taille, c’est-à-dire la compression des organes de voisinage. Tous les organes qui sont autour de l’utérus peuvent être sujets à des complications. Ainsi, au niveau de la vessie, on peut avoir une incontinence urinaire, on peut avoir des troubles neurologiques, des signes digestifs tels que les hémorroïdes, les constipations, etc.
Quels sont les risques pour une femme enceinte ?
Parlant de fibrome et grossesse, d’abord le fibrome peut être cause d’infertilité. Lorsqu’il y a un fibrome pendant que la femme est enceinte, tout dépend de la position et de la taille de ce fibrome. Ceci dit, la grossesse elle-même a un effet néfaste sur le développement du fibrome. Elle peut conduire beaucoup plus rapidement à des complications douloureuses du fibrome telles que la nécrobiose qui est plus fréquente chez la femme enceinte. Pendant que la grossesse a un effet sur le fibrome, ce dernier aussi a un effet sur la grossesse. C’est essentiellement la stérilité, parce que le fibrome ayant occupé la place de la grossesse, il va sans dire que c’est impossible de concevoir. S’il y a la grossesse, les fausses couches précoces, c’est-à-dire dès le premier trimestre, sont fréquentes soit du fait du volume du fibrome qui comprime la grossesse soit du fait de la position du fibrome qui occupe la place de la grossesse. Il y a également les avortements tardifs, c’est-à-dire après que la grossesse eut dépassé les 3 ou 4 mois. Ce sont des avortements tardifs dus à la présence du fibrome. Il y a également les accouchements prématurés. La grossesse peut se développer jusqu’à terme, mais plus la grossesse évolue, plus l’enfant grandit en n’ayant pas assez d’espace pour se développer. Ceci aboutit parfois à des accouchements avant terme, qu’on appelle accouchements prématurés. Ce sont essentiellement les effets du fibrome sur la grossesse.
Comment traite-t-on ce mal ?
Il faut dire que tous les fibromes ou myomes ne sont pas symptomatiques et tous les fibromes ne nécessitent pas de traitement. Environ 25% des fibromes nécessitent un traitement ou une prise en charge. Le traitement qui existe a essentiellement pour objectif de soulager la patiente, de lui donner un confort de vie améliorée et au besoin, de rétablir la fertilité. Pour ce faire, nous disposons de plusieurs moyens. Il y a l’abstention qui constitue un traitement. C’est vrai que les femmes n’aiment pas entendre dire qu’on s’abstient et qu’aucun traitement, n’est nécessaire. Mais c’est un moyen de traitement, parce que tous les fibromes ne nécessitent pas de traitement médicamenteux. En plus donc de ce moyen, il y a les moyens médicamenteux, c’est-à-dire l’utilisation des médicaments et les moyens radicaux, à savoir la chirurgie qui constitue à agir directement sur le fibrome.
Quels sont les médicaments disponibles actuellement?
Les médicaments disponibles actuellement sont, entre autres, des hormones. Ce sont de simples pilules qu’on peut utiliser pour arrêter le saignement. Ces médicaments aussi interviennent dans le traitement de la douleur. Il y a également des anti-douleur qu’on administre à une patiente, lorsque celle-ci se plaint de douleurs. Parfois la correction de l’anémie par l’apport en fer est nécessaire chez les femmes ayant saigné beaucoup. Ce sont des moyens qui consistent à soulager la malade. C’est un traitement symptomatique, c’est-à-dire traiter simplement les signes. Mais il y a également les moyens chirurgicaux qui consistent à agir directement sur le fibrome. Mais cela a des indications bien précises. Et chaque cas est différent de l’autre. Une patiente peut nécessiter un traitement chirurgical tandis qu’une autre non. Et les moyens dont on dispose, c’est de juste enlever le fibrome et conserver l’utérus lorsque ces fibromes ne sont pas très nombreux ou ne sont pas très gros. C’est généralement le cas des femmes qui ont moins ou ont la quarantaine et qui ont le besoin de procréer. Dans d’autres cas, c’est un traitement radical qui consiste à enlever et les fibromes et l’utérus qui les contient. C’est cela que l’on appelle hystérectomie. Quant aux types de chirurgies, il y a la chirurgie conventionnelle à ciel ouvert, la coelio-ochirurgie et l’hystéroscopie. Mais les indications sont fonction de la forme clinique, c’est-à-dire de la localisation du fibrome, de sa taille et du contexte. Il y a également des traitements qui ne sont pas encore développés ici. C’est le traitement au laser. Là également, les indications sont un peu restreintes, l’électrocoagulation et l’embolisation.
Quelle est l’ampleur de cette pathologie au Burkina?
Il faut dire que c’est une pathologie très fréquente, surtout chez les femmes en âge de procréer. Au niveau mondial, elle représente 20 à 40% chez les femmes de 25 à 40 ans. En Afrique, elle est également fréquente. Elle constitue la première cause de masse utérine. Elle constitue en Afrique la première cause des hystérectomies, c’est-à-dire l’ablation de l’utérus.
« Au Burkina, la fréquence du fibrome est de 39% chez les femmes en âge de procréer »
Au Burkina, sa fréquence est de 39% sinon au-delà, chez les femmes en âge de procréer. Elle constitue environ 2% des hospitalisations au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo.
Est-ce que le traitement est coûteux?
Le coût du traitement varie en fonction des moyens utilisés et en fonction du nombre de jours d’hospitalisation de la patiente. Quand il s’agit d’utiliser des médicaments, le traitement n’est pas cher car il s’agit de simples pilules de contraception. Mais s’il s’agit des moyens chirurgicaux, c’est-à-dire d’un traitement radical, cela peut avoir un coût plus élevé, mais il reste toujours accessible. Dans la prise en charge, il faut partir des examens à réaliser avant d’arriver à l’acte opératoire. Et après l’opération, il y a des médicaments à prendre et qui varient en fonction des patientes et de la durée de leur hospitalisation. Mais globalement, des examens diagnostics jusqu’aux examens préopératoires à l’intervention, une somme de 200 000 F CFA devrait permettre de prendre en charge une patiente dans les centres publics de santé.
Quelles sont les conséquences sociales de cette maladie?
Vu sa fréquence, sa représentation sociale et sa population cible, le fibrome crée une certaine psychose au sein des populations, surtout féminines. Dès qu’on parle de fibrome au sein d’un couple qui a des difficultés à concevoir, la cause du fibrome est généralement pointée du doigt et la femme en est le plus souvent victime. Sur le plan de la fertilité, le fibrome crée pas mal de problèmes au sein des couples. Il y a également la qualité de vie de la patiente qui est détériorée du fait des douleurs permanentes, des saignements et la qualité des rapports sexuels prend également un coup. En plus de cela, la performance au travail est aussi affectée à cause de l’absentéisme au travail ou à l’école, en raison des complications. Les activités de la ménagère ne sont pas épargnées. Car, une femme qui saigne sans arrêt, qui a toujours mal, ne peut exécuter convenablement ses activités ménagères. Chez certaines femmes, du fait de l’augmentation du volume de l’abdomen, elles sont obligées de revoir le choix de leurs vêtements.
Y a-t-il un aspect que nous n’avons pas abordé et que vous aimeriez évoquer ?
L’aspect sur lequel je voudrais insister, c’est surtout la prise en charge. Le plus souvent, les patientes n’admettent pas que l’on ne leur propose rien comme traitement. Je voudrais qu’elles comprennent que s’il n’y a pas de traitement, c’est juste parce que leur cas ne nécessite pas de traitement. Comme je l’ai dit plus haut, ce ne sont pas tous les cas de fibromes qui nécessitent un traitement médicamenteux. Du reste, on a coutume de dire qu’un fibrome qui ne fait rien, il ne faut rien lui faire aussi. Sauf dans les situations de fertilité où parfois, on pense que le fibrome peut être mis en cause. Il est bon de savoir que le fibrome n’est pas une pathologie cancéreuse. Certes, il peut, et cela est très rare, se compliquer d’un cancer. Il peut y avoir un cancer associé, mais la fréquence, c’est-à-dire l’évolution du fibrome en cancer, est très rare si bien qu’il ne doit pas faire peur. Ce d’autant plus qu’il y a des moyens pour le prendre en charge. Il faut aussi savoir qu’à partir d’un certain âge, notamment à la ménopause, le fibrome ne se manifeste plus. Si une femme a des fibromes, dès qu’elle est ménopausée, elle ne court aucun risque. Pas de saignement, pas d’augmentation du volume de l’abdomen pour aboutir à des douleurs, etc. C’est dire que le fibrome après la ménopause, doit, théoriquement, être observé.
Propos recueillis par Dabadi ZOUMBARA