FAUSTIN-ARCHANGE TOUADERA, président de la RCA : « Les Centrafricains disent non à l’impunité »
Comment diriger un pays dont une large partie du territoire, soumise à des actes de violence extrême de la part de groupes armés, échappe au contrôle d’un Etat en quête de paix et de sécurité ? Telle est l’ampleur du défi que doit affronter le Président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, élu à la tête de la RCA en mars 2016 sous les acclamations de la Communauté internationale. Les élections libres de l’année dernière semblent un lointain souvenir, tant la situation générale se détériore en Centrafrique. Depuis septembre 2016, une nouvelle vague de violences met à mal les processus de paix et de désarmement que le Président Touadéra, soutenu par les partenaires internationaux, veut faire avancer. De Bria à Bangassou, en passant par Batangafo, les persécutions sur les populations civiles et les combats entre groupes armés Séléka prétendant défendre la minorité musulmane, et anti-Balaka majoritairement chrétiens, ont atteint un tel degré de violence que le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les Affaires humanitaires, Stephen O’Brien, évoque désormais des « signes avant-coureurs de génocide ». Plus de 180 000 hommes, femmes et enfants ont quitté leurs foyers depuis le début de l’année pour grossir les rangs des déplacés (500 000 au total), auxquels s’ajoutent près de 480 000 réfugiés centrafricains qui ont fui vers les pays limitrophes, principalement au Cameroun, au Tchad et en RDC. « Au total, 20% de la population centrafricaine était déplacée ou réfugiée », rappelle Médecins sans frontières.
Malgré la grande instabilité qui perdure dans le pays et la situation humanitaire catastrophique, le professeur Touadéra reste ferme sur « notre volonté de rétablir la paix, la sécurité, la réconciliation et la cohésion sociale en RCA à travers le dialogue et une accélération du programme de désarmement ». C’est ce qu’il assure dans cet entretien exclusif, dans lequel il s’est longuement exprimé sur l’accord de Rome signé par les groupes armés en juin dernier sous la médiation de la Communauté de Sant’Egidio et la Feuille de route souscrite à Libreville le 17 juillet sur initiative de l’Union Africaine. Les retards accumulés par le programme de désarmement, dus en partie à la crainte des principaux responsables des groupes armés d’être jugés par la Cour pénale spéciale récemment installée, posent le pouvoir de Bangui face à un dilemme qui provoque des dissensions, même parmi les partenaires centrafricains : faut-il privilégier la justice ou l’impunité ? Sur cet enjeu crucial pour le destin de la RCA, le Président centrafricain n’a pas le moindre doute : « aussi bien la Feuille de route de Libreville que l’Accord de Sant’Egidio font référence aux résolutions du Forum de Bangui de mai 2015. Et ces résolutions sont très claires ! Elles sont le fruit d’une consultation de toutes les couches sociales centrafricaines qui disent non à l’impunité et demandent une réparation sur tout ce qui s’est passé en RCA depuis le 1er janvier 2003 ».
De l’Entente de Sant’Egidio signée à Rome le 19 juin à la Feuille de route souscrite à Libreville le 17 juillet, en passant par la réunion qui s’est tenue à Bruxelles le 21 juin à votre invitation, le calendrier diplomatique centrafricain a été récemment très chargé. Quels sont les enjeux de ces trois évènements ? Et en quelle mesure l’Accord de Rome et la Feuille de route sont-ils complémentaires ?
Ce calendrier répond à notre volonté de rétablir la paix, la sécurité, la réconciliation et la cohésion sociale en RCA à travers le dialogue et une accélération du programme de désarmement. Les discussions que j’avais entamées avec les groupes armés allaient dans ce sens, et je me félicite que cette démarche, qui s’est inscrite sous l’égide de la Communauté de Sant’Egidio et avec l’appui des Nations-unies, ait été acceptée par treize groupes qui ont signé à Rome un accord que je considère très important, car il couronne les efforts menés au sein du Comité consultatif et de suivi du DDR auquel ont adhéré les groupes armés. N’ayant pas pu participer aux négociations qui se sont tenues dans la capitale italienne, seul un mouvement n’a pas souscris l’Entente de Rome, mais il s’est dit prêt à le faire.
Comme vous le savez, celle de Sant’Egidio est une parmi les nombreuses initiatives qui ont accompagné le dialogue entre toutes les parties prenantes de la crise centrafricaine. Au lendemain de l’accord de Rome, j’ai voulu éviter le risque de poursuivre ce processus en ordre dispersé, en invitant à Bruxelles les acteurs de la médiation et nos partenaires régionaux et internationaux pour adopter une approche conjointe et cohérente. Le résultat est la feuille de route pour la paix et la réconciliation signée à Libreville le mois dernier sur initiative de l’Union africaine et qui reconnaît pleinement les acquis de l’accord de Rome, ainsi que l’initiative de paix des parlementaires centrafricains et les conclusions du forum de Bangui de 2015. Je considère d’ailleurs la Feuille de route de Libreville et l’Entente de Sant’Egidio complémentaires.
Comment jugez-vous le rôle de la Communauté de Sant’Egidio dans le contexte actuel ?
En amont, les responsables de la Communauté ont eu une série de rencontres avec les différents groupes armés à travers une méthode de travail spécifique à Sant’Egidio, à laquelle ont progressivement adhéré les groupes armés. Un Comité de suivi de cet accord va être mis en place pour en assurer la mise en œuvre.
De quelle manière ce Comité de suivi va-t-il être associé à la Feuille de route de Libreville ? N’y a-t-il pas tout de même confusion entre toutes ces initiatives ?
Je n’aborderai pas la problématique sous cet angle. Des engagements ont été souscris dans le cadre de l’Entente de Sant’Egidio. Je pense par exemple au programme de désarmement dans lequel sont engagés les groupes armés signataires impliqués dans le Comité consultatif et de suivi du DDR qui continue son travail et ce, malgré les tergiversations de certains d’entre eux. Ces engagements sont reconnus dans la Feuille de route de Libreville qui va permettre de poursuivre les actions menées jusqu’ici pour faire avancer le dialogue et le processus de paix.
Est-il possible de trouver un équilibre entre la paix et la justice ?
Aussi bien la Feuille de route de Libreville que l’Accord de Sant’Egidio font référence aux résolutions du Forum de Bangui de mai 2015. Et ces résolutions sont très claires ! Elles sont le fruit d’une consultation de toutes les couches sociales centrafricaines qui disent non à l’impunité et demandent une réparation sur tout ce qui s’est passé en RCA depuis le 1er janvier 2003. Et c’est sur la base des résolutions du Forum de Bangui que la Cour pénale spéciale instituée en juin 2015 est chargée de juger les crimes commis en RCA.
Malgré certaines avancées, les violences se sont intensifiées ces derniers mois, comme à Bangassou où la ville est sous la coupe des anti-balaka qui pourchassent la communauté musulmane. Comment expliquez-vous ce regain de violences ? Y a-t-il, selon vous, un rapport avec la récente installation de la Cour pénale spéciale et la crainte des principaux responsables des groupes armés d’être jugés ?
Ce lien est probable, mais il n’explique pas tout. Le retrait des forces spéciales américaines et des soldats ougandais dans l’est du pays qui étaient engagés dans la lutte contre la LRA, a créé un appel d’air. A cela s’ajoutent la prédation des groupes armés et le grand banditisme qui continuent à sévir dans de nombreuses provinces, et notamment à l’ouest. Malheureusement, à partir du moment où les gens ont des armes, les risques de violences contre les populations civiles augmentent. Enfin, on ne peut pas sous-estimer la volonté de certaines personnes de perpétrer ces violences à des fins politiques pour faire croire que rien ne se fait en RCA et ce, malgré les résultats obtenus ces derniers mois dans le processus de dialogue avec les groupes armés.
Monsieur le Président, force est de constater qu’une très grande partie du territoire centrafricain échappe encore au contrôle de l’Etat. N’y a-t-il pas urgence à accélérer le programme de désarmement ?
Mais c’est ce que nous faisons ! Toute la stratégie du DDR est déjà mise en place et un programme pilote a été lancé pour la réintégration des premiers ex-combattants. Aujourd’hui, les 14 groupes armés ont accepté d’adhérer à ce programme et le désarmement des combattants de ces groupes reste une priorité absolue pour accélérer les processus de paix et de sécurité.
Avez-vous une estimation du nombre de combattants qu’il faudrait désarmer ?
Je préfère ne pas me prononcer sur ce sujet, car la vérification des estimations fournies par chaque groupe armé de la part du président du Comité consultatif et de suivi du DDR et de son équipe est en cours.
Qu’attendez-vous aujourd’hui de l’Union européenne et de ses Etats membres ?
Nous saluons les efforts de l’Union européenne qui nous a appuyés dans de nombreux domaines, notamment lors de la Conférence des donateurs à Bruxelles en novembre 2016. Nos partenaires européens continuent à soutenir de façon unanime notre stratégie de redressement. Aujourd’hui, nous leur demandons de tout mettre en œuvre afin que les promesses faites à Bruxelles puissent être maintenues et de nous permettre de disposer des ressources financières nécessaires pour appuyer les programmes prioritaires des trois prochaines années. Il y a urgence dans les réponses concrètes à donner à la population centrafricaine. Les fonds octroyés par la Commission européenne lors de la récente mission à Bangui du Directeur général de la Coopération de l’UE au développement, Stefano Manservisi, vont dans le bon sens. Mais beaucoup reste à faire. Des moyens supplémentaires sont par exemple nécessaires pour la restructuration, la formation et les équipements militaires de nos forces de défense et de sécurité.
Lors de la Conférence des donateurs, la Communauté internationale avait promis plus de deux milliards d’euros pour soutenir votre programme de redressement. Quels sont les résultats concrets obtenus sur le terrain ?
Nous sommes en train de mettre en place un secrétariat permanent qui va nous aider à mobiliser ces ressources et à travailler sur les projets qui doivent être mis en œuvre. A ce jour, 87% des fonds promis à Bruxelles ont été confirmés, dont 57% sont en phase de décaissement. Nous appelons de nos vœux les donateurs qui se sont engagés il y a huit mois, d’accélérer les procédures d’attribution des fonds. De nombreux projets ont déjà démarré, notamment à Bambari et à Bangui. Bref, des progrès ont été réalisés, mais il faut agir vite, car l’attente de la population centrafricaine est très forte. Je pense en particulier à Bangassou et à Bria où, suite aux violences, les besoins des populations locales nécessitent une réponse humanitaire urgente.
Ces dernières années, l’Italie s’est de plus en plus impliquée en Centrafrique. Comment jugez-vous les relations entre les deux pays ?
Très bonnes ! Nous observons une implication croissante de la Coopération italienne dans notre pays, notamment à travers des projets humanitaires et de développement dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’économie ou de l’agriculture. Ma visite en Italie en avril 2016 et celle du vice-ministre des Affaires étrangères, Mario Giro, en RCA en octobre de la même année, ont été des moments importants pour les relations entre nos deux pays. Nous souhaitons évidemment que ces relations puissent se renforcer.
Les pays de la région ont un rôle important à jouer. Quels sont les résultats de vos dernières rencontres diplomatiques à Malabo et à N’Djamena ?
La République centrafricaine est un pays qui œuvre pour la paix et les bonnes relations avec ses pays voisins. Nous avons besoins de tout le monde pour nous aider à retrouver la stabilité en Centrafrique. Des commissions mixtes ont été mises en place avec les pays frontaliers de la RCA pour affronter tout une série de problèmes, parmi lesquels les réfugiés centrafricains et les troubles qui peuvent se vérifier le long de nos frontières qui sont très étendues. Je suis heureux de constater que les relations sont dans l’ensemble très bonnes. Du reste, la RCA fait partie d’une sous-région menacée, qui partage les mêmes défis avec les pays tiers.
En novembre, se tiendra à Abidjan le prochain Sommet entre l’UE et l’Afrique, dont un des thèmes principaux sera l’avenir de la jeunesse africaine, en lien avec les flux migratoires irréguliers et leurs causes profondes. Quelles sont vos attentes de ce Sommet ?
Aujourd’hui, les jeunes représentent 70% de la population africaine. C’est un défi majeur en termes d’accès à l’emploi et à l’éducation. Nous devons donc apporter des réponses concrètes à notre jeunesse. Dans le cas contraire, les efforts mis en œuvre pour le développement du continent et la stabilité des pays africains, resteront lettre morte. Les drames de milliers de jeunes impliqués dans des conflits ou contraints à risquer leur vie dans le désert et la Méditerranée pour un avenir meilleur, reflètent bien le chemin qui reste à faire.
Le Sommet UE-Afrique sera une occasion importante pour nos jeunes de présenter leurs visions du futur et pour les leaders européens et africains d’apporter des éléments de réponses. Il en va de l’avenir d’une génération qui aspire au bien-être et à une vie meilleure, dans la paix et la stabilité.
De Joshua MASSARENTI (Vita, Italie)