ENGOUEMENT AUTOUR DES IDEES DU PERE DE LA REVOLUTION BURKINABE : Il ne suffit pas de se proclamer sankariste
Peu avant son exécution dans les circonstances que l’on sait, Sankara avait annoncé urbi et orbi ceci : « Tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ». Cette prophétie est devenue une réalité au pays des Hommes intègres. Mieux, elle est observable au-delà des frontières du Burkina Faso. En effet, dans les répertoires des grands Hommes qui ont contribué, par leur charisme, leurs actions, leur maîtrise de la rhétorique, leur vision à marquer l’histoire, figure le nom du père de la révolution burkinabè. Et cela, au grand dam de tous ceux qui, de près ou de loin, ont trempé leurs mains dans son assassinat. Quelque part, ces derniers, par leur ignominie d’un soir du 15 octobre 1987, sans le vouloir, ont donné de la matière pour écrire la légende de Thomas Sankara. 30 ans après sa mort, le sankarisme est devenu à la fois une doctrine, un mode de vie, un label, un look, une philosophie. Au lendemain de la mort de l’homme pourtant, ils n’étaient pas nombreux, les Burkinabè qui osaient seulement afficher publiquement leur attachement et leur fidélité à l’homme et à ses idées. Bien de ceux qui ont eu la témérité de le faire l’ont payé très cher. Les plus chanceux ont trouvé leur salut en prenant le chemin de l’exil à cause de la répression systématique et implacable des auteurs de la rectification qui ont mis un point d’honneur, après avoir tué l’homme, à vouloir tuer ses idées et ses partisans. La « désankarisation », si l’on peut se permettre d’utiliser ce néologisme, à l’image de la « déstalinisation » en Russie soviétique, a été conduite avec méthode. D’abord par les tenants du Front populaire, ensuite par les acteurs de l’ODP/MT (Organisation pour la démocratie populaire mouvement du travail) et enfin par les bonzes du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès).
C’est par ses actes que l’on reconnaît le vrai tigre
Par conviction ou par opportunisme, bien des acteurs de premier plan de la révolution du 4 août, qui donnaient l’impression de lier leur destin à celui de Sankara, n’ont eu le moindre scrupule à sauter pieds joints dans le train triomphant des rectificateurs. Mieux, certains d’entre eux ont apporté leur génie et leur énergie à la déconstruction de tout ce qui rappelait de près ou de loin le souvenir de Sankara. Et Blaise Compaoré a su leur retourner l’ascenseur en leur permettant d’accéder au club des nouveaux riches. Comme par enchantement, aujourd’hui, il y a en a parmi eux qui n’ont aucune gêne à revendiquer l’héritage de Sankara. De manière générale et pour tout dire, le sankarisme est en train de faire tabac au Burkina Faso au point que l’on a du mal à faire le distinguo entre ceux qui sont sincères et ceux qui ont rejoint le mouvement par opportunisme ou par stratégie digne des pharisiens. Bref, il y a un engouement hors normes, par les temps qui courent, autour des idées du père de la révolution burkinabè. Et le phénomène touche à la fois le citoyen lambda, les animateurs des organisations de la société civile et ceux des partis politiques toutes obédiences confondues. Ainsi l’on retrouve parmi les sympathisants de l’homme, des révolutionnaires ou prétendus tels, des sociaux-démocrates, des militants du CDP, des militants de formations politiques prônant le libéralisme. En somme, le sankarisme connaît aujourd’hui, ses heures de gloire. C’est un produit qui se vend bien. En terme de marketing politique, pourfendre les idées de Sankara aujourd’hui est un risque que personne ne veut courir. Mais il ne suffit pas de se déclarer sankariste pour être un digne héritier de l’homme. Pour l’être véritablement, il faut s’illustrer dans des valeurs qui ont accompagné la vie de Sankara. Il y a, entre autres, l’intégrité, le don de soi, le travail bien fait… Combien sont-ils les Burkinabè qui peuvent intégrer dans leurs actes de tous les jours ces valeurs ? Peut-on s’interroger. Cette question est d’autant plus pertinente que le long règne de Blaise Compaoré a inscrit dans l’esprit d’une foultitude de Burkinabè, des contre-valeurs. Celles-ci se déclinent en termes de goût immodéré de l’enrichissement rapide ici et maintenant, et par tous les moyens de prédation des ressources publiques, de paresse pathologique. Ces contre-valeurs son devenues pratiquement une culture. Dans ces conditions, tant qu’il n’y aura pas un ressaisissement individuel et collectif, le sankarisme sera un vain mot. D’ailleurs, le tigre n’a pas besoin de proclamer sa « tigritude ». C’est par ses actes que l’on reconnaît le vrai tigre. Puissent tous les Burkinabè qui se proclament aujourd’hui sankaristes, méditer cet enseignement de Wolé Soyinka.
SIDZABDA