CRISE POLITIQUE AU TOGO : Un dialogue pour quoi faire ?
L’opposition togolaise est de nouveau descendue dans la rue depuis hier, 7 novembre 2017. Pendant trois jours d’affilée, elle entend mettre la pression sur le régime de Faure Gnassingbé avec le même objectif affiché depuis bientôt un trimestre : l’alternance politique. Ce nouveau pic de tensions qui fait craindre de nouveaux épisodes de violences, intervient à un moment où le pouvoir, acculé par plus de deux mois de manifestations, cherche à desserrer l’étau autour de lui en annonçant une batterie de mesures allant dans le sens de la décrispation. En effet, après la levée de l’interdiction de manifester en pleine semaine et du contrôle judiciaire qui pesait sur l’opposant Jean-Pierre Fabre, suivis de la relaxe de 42 personnes appréhendées lors des précédentes marches, les autorités togolaises tendent désormais la main à l’opposition en l’appelant au dialogue. En effet, dans un communiqué lu à la télévision nationale, le ministre de l’Industrie et du tourisme, Yaovi Ihou, a affirmé que le gouvernement prenait « les dispositions nécessaires pour l’ouverture, à Lomé, d’un dialogue avec l’ensemble de la classe politique togolaise » dans l’espoir que « tout ceci conduira les partis politiques concernés à agir avec la plus grande retenue et responsabilité et à œuvrer pour l’intérêt national par la sauvegarde de la paix et de la cohésion nationale ».
On peut douter de la bonne foi du président Faure
Les questions que l’on peut se poser face à cette nouvelle donne sont les suivantes : le pouvoir est-il sincère ? Ou encore à quoi bon dialoguer? En effet, si l’ambition du régime était d’accéder à la revendication de l’opposition, il suffirait d’une simple allocution radio-télévisée du chef de l’Etat annonçant officiellement, en prenant à témoin l’opinion nationale et internationale, son retrait de la vie politique nationale au terme de son mandat en cours. En agissant de la sorte, non seulement il ferait ipso facto baisser la fièvre politique qui s’est emparée du pays, mais il épargnerait le pays d’une inutile crise économique. Mais, en prenant l’option d’appeler les Togolais sous l’arbre à palabre, après avoir balayé du revers de la main toutes les propositions faites par l’opposition au projet de loi sur les réformes politiques en son temps, l’on peut douter de la bonne foi du président Faure. Sans nul doute, cet appel au dialogue n’est rien d’autre qu’une ruse destinée à gagner du temps. Car, comme on le sait, le temps de ce dialogue peut être mis à profit pour travailler au corps les différents leaders de l’opposition. La pratique, bien connue sous nos tropiques, consiste à faire circuler des mallettes d’argent ou à faire miroiter quelques strapontins ministériels pour appâter et museler certains opposants. Par ailleurs, l’expérience des négociations politiques en Afrique, a montré qu’elles peuvent traîner en longueur au point d’empiéter sur les délais constitutionnels, faisant ainsi le jeu des dictateurs dont le sport favori est de jouer les prolongations. Enfin, en prenant le pari du dialogue, Faure compte aussi, avec cette vieille astuce qui consiste à bourrer les foras de nombreuses organisations de la société civile et de partis politiques non représentatifs et acquis à sa cause, noyer le problème posé par l’opposition. On peut donc le dire sans risque de se tromper, le président Faure joue au chat de la fable, qui, pour appâter les souris, a feint le mort avant de se relever brusquement au cours de ses funérailles pour se livrer au massacre des imprudentes qui avaient cru à sa mort.
L’exception togolaise en Afrique de l’Ouest ne peut encore perdurer
Cela dit, l’opposition ne doit pas être dupe. Si elle ne veut pas être le dindon de la farce dans cette affaire, elle doit éviter de s’engager sur des sentiers incertains en acceptant le référendum proposé par Faure. Mais on le sait, il sera difficile pour l’opposition de refuser la main tendue du pouvoir, sans risque de se mettre à dos une partie de l’opinion nationale et internationale. C’est pourquoi, si par la force des choses, elle est contrainte d’aller à des pourparlers avec le régime, elle doit fixer des préalables non négociables comme le rejet pur et simple du référendum qui, comme on le sait, est un véritable piège à cons. Par ailleurs, tout en allant à la table des négociations, elle ne doit pas laisser s’éteindre la flamme de la mobilisation pour continuer à acculer le régime qui fait aussi face à la pression internationale, au regard du ballet diplomatique incessant auquel on assiste ces derniers temps au Togo. Quant à Gnassingbé fils, il est encore temps qu’il se rende compte que les peuples africains ont changé et que l’exception togolaise en Afrique de l’Ouest ne peut encore perdurer. De ce fait, l’offre de dialogue qu’il fait, plutôt que de viser à « rouler dans la farine » son opposition et au-delà son peuple, doit servir à négocier les conditions de son départ. Il y va d’abord de son intérêt personnel, car faute d’avoir eu cette sagesse, bien de ses pairs ont emprunté le chemin de l’exil politique sur fond de poursuites judiciaires. Il y va aussi de l’intérêt du pays qui, non seulement renouerait avec la démocratie, la paix et la concorde nationales, mais aussi retrouverait les sentiers du développement pour satisfaire les immenses besoins d’une population menée à la baguette pendant plus de cinquante ans par une dynastie.
« Le pays »