REPRISE DU PROCES DU PUTSCH MANQUE : La partie civile s’impatiente, la défense récrimine
On se souvient, le 27 février dernier, si tôt le procès du putsch manqué ouvert, si tôt il avait été reporté. Les avocats de la défense ayant vidé la salle d’audience pour protester, entre autres, contre la légalité du tribunal. Quelques jours plus tard, par voie de presse, le Tribunal militaire informait l’opinion que le procès allait reprendre le 21 mars 2018. C’est maintenant chose faite. En effet, à la date indiquée, l’audience, délocalisée à la salle des Banquets de Ouaga 2000, a repris.
Il était exactement 9h précises, lorsque le greffe du Tribunal militaire a annoncé l’entrée des membres du tribunal dans la salle d’audience délocalisée à Ouaga 2000, pour connaître du dossier du putsch manqué de 2015. A ce stade du procès, le tribunal n’était pas encore totalement constitué. Seuls le président Seydou Ouédraogo et le juge conseiller le composaient.
En rappel, lors de l’audience du 27 février 2018, le président du tribunal avait entamé sans succès la constitution des membres du tribunal. En effet, selon le principe de la hiérarchie que dispose l’article 12 du Code de justice militaire, les juges assesseurs devaient être choisis parmi les Généraux de l’armée. Mais tous les Généraux, à l’exception d’un seul, avaient été récusés car, pour la plupart, cités comme témoins par le Général Gilbert Diendéré. Dans ce cas de figure, le Code de justice militaire, en son article 16, permet au président du tribunal de poursuivre la
constitution du tribunal en désignant des juges assesseurs parmi les officiers de rangs inférieurs. C’est là qu’était intervenue la « pomme de discorde » et s’en était suivi le retrait de la défense qui estimait que le président du tribunal ne pouvait pas prendre une telle décision, étant donné que le décret de sa nomination n’était pas encore entré en vigueur. A la reprise, ce 21 mars 2018, Seydou Ouédraogo a donc laissé entendre que le tribunal allait poursuivre avec le tirage des juges assesseurs mais, cette fois-ci, dans la catégorie des colonels-majors. Le premier nom à être tiré a été celui du colonel Jean Calvain Traoré. Mais celui-ci, en mission, ne répondra pas à l’appel de son nom. Le lieutenant-colonel Désiré Rouamba est ensuite tiré du panier, mais également absent pour cause de mission. Le troisième nom fut celui du médecin colonel Armand Claude Kaboré. Présent à la barre, ce dernier a été retenu, aucune récusation n’ayant été formulée à son encontre. Après le médecin colonel, c’est le lieutenant-colonel Adams Néré qui a été tiré au sort. A ce niveau, le procureur militaire prend la parole et fait observer qu’il serait de bon ton que l’on finisse avec la liste des colonels, avant de se pencher sur celle des lieutenants- colonels. Une observation qui est prise en compte par le président du tribunal qui a demandé au greffe de poursuivre le tirage. Ludovic Ouédraogo est celui qui a été choisi dans le panier de tirage. Contre lui, aucune récusation n’a été exercée.
Les juges assesseurs finalement désignés
Cette étape passée, le président du tribunal fait savoir que le greffe peut poursuivre les tirages pour la désignation des juges assesseurs suppléants. Comme juge assesseurs suppléants, c’est le médecin colonel-major Kologo Koudougou qui est le premier à être retenu. Le deuxième tirage a révélé le nom d’un lieutenant-colonel. Mais le procureur militaire fait une observation et indique qu’il y a toujours dans le panier, des colonels. Là, la défense estime qu’il y a un « désordre ». A l’entendre, si tant est que le principe de la hiérarchie devrait être respecté, il ne devrait pas y avoir, dans le même tirage, des noms de colonels et de lieutenants-colonels. C’est à ce moment que le greffe a fait savoir que les lieutenants-colonels et les colonels étaient tous dans le même panier. Pour le président du tribunal, il faut continuer le tirage, mais en épuisant d’abord la liste des colonels avant de revenir aux lieutenants-colonels. Cela, dans le but de gagner en temps. Suite à ces observations, le colonel Kogdja Diabri est tiré au sort. Mais celui-ci sera récusé par la défense. Les lieutenants-colonels Vincent de Paul Ouédraogo et Adams Néré, eux, tirés au sort par la suite, n’ont souffert d’aucune contestation et ont été retenus comme juges assesseurs suppléants. En récapitulatif, le président du tribunal dira que les juges assesseurs titulaires sont le Général de division Robert Tinga Guigimdé, le médecin colonel Armand Claude Kaboré et le colonel Ludovic Ouédraogo. Le médecin colonel-major Kologo Koudougou, le lieutenant-colonel Vincent de Paul Ouédraogo et le lieutenant-colonel Adams Néré, eux, ont été retenus comme juges assesseurs suppléants. Il était 9h 55, quand ces membres retenus pour constituer le tribunal, ont prêté serment. Après cet acte, le président a déclaré le tribunal constitué. Deux minutes plus tard, le président du tribunal a suspendu l’audience qui a repris à 11h 20mn. « Les avocats avaient soulevé un certain nombre d’observations. Nous pensons que c’est le moment de les aborder », a lancé Seydou Ouédraogo, dès la reprise. Du côté de la défense, c’est Me Somé qui a planté le décor. Il est d’abord revenu brièvement sur les observations qu’ils avaient soulevées lors de la dernière audience. Entre autres, le décret de nomination du président du Tribunal qui, selon eux, n’était pas en vigueur et la citation qui leur avait été adressée aux fins de comparaître devant la chambre de jugement qui a été supprimée. Sur ce dernier point, Me Somé fera noter que leurs clients ont reçu une nouvelle citation et cette fois-ci, il fait mention qu’ils devraient comparaître devant la Chambre de première instance du Tribunal militaire conformément à la modification qui a été apportée au Code de justice militaire. Mais, c’est là que le bât blesse, à entendre la défense.
Les magistrats substituts récusés
Et Me Somé de poursuivre que si leurs clients ont été cités à comparaître devant la Chambre de première instance, le décret de nomination indique que le président du tribunal est nommé président du Tribunal de la Chambre de jugement et non de la chambre de première instance où ils sont cités à comparaître. Dans ce cas, a
précisé également l’avocat de la défense, le président du tribunal est irrégulier ainsi que le juge conseiller. En tant que telle, selon toujours la défense, la composition du tribunal elle-même est irrégulière. Une autre observation faite par la défense, c’est que le Général de division Robert Guigimdé n’a pas été tiré au sort. A ce propos, a argué la défense, le tirage de ce dernier est intervenu le 27 février dernier, date à laquelle le décret de nomination du président du tribunal n’était pas en vigueur. Si le président, à ce moment, était irrégulier, le tirage lui aussi, a estimé la défense, par voie de conséquence, est irrégulier. L’autre irrégularité, selon la défense, tient au fait que l’article 16 du Code de justice militaire a été violé, le président du tribunal n’ayant pas rendu l’ordonnance qui fait fi des dispositions de l’article 12 avant de procéder au tirage parmi les officiers de rangs inférieurs. En outre, partant du principe de la hiérarchisation, la défense a souligné que la composition du tribunal, telle qu’elle est, n’est pas régulière étant donné qu’il y a des colonels qui ont pour suppléants des colonels-majors. S’adressant maintenant au parquet, la défense dira que conformément aux dispositions de l’article 17, il est fait mention que s’il y a des civils parmi les accusés, il faut désignés des magistrats pour assister le procureur militaire. Mais dans ce cas précis, ces magistrats substituts ont été nommés depuis 2016 pour un an. Ils ne devraient donc plus siéger dans ce tribunal. « Veuillez donc renvoyer ces substituts à leur fonction à la Cour d’appel », a fini par demander au président, Me Somé. Et d’ajouter que : « Nous ne fuyons pas le débat, nous voulons juste que les choses se passent dans les règles du droit ». Me Hien et Me Halidou Ouédraogo, eux, en plus de cet état de fait, font cas d’une demande de sursis à statuer pour leurs clients. Pour ce qui est des autres exceptions, plusieurs avocats de la défense ont dit vouloir attendre que le président se prononce sur la régularité du tribunal avant d’intervenir.
L’histoire de l’hyène de Me Nignan
Prenant la parole, le procureur militaire a d’abord fait savoir que les observations soulevées par la défense n’ont aucune base légale. Pour lui, les avocats de la défense ont participé à la composition du tribunal, récusé certains officiers et accepté d’autres. « Il ne peuvent donc pas dire maintenant que le tribunal est irrégulier », a déclaré le procureur militaire qui soutiendra également que, que l’on veuille ou pas, la Chambre de première instance est une chambre de jugement. Par conséquent, le président du tribunal est bel et bien à sa place et peut entendre de cette affaire. Les avocats de la partie civile, à leur tour, ont d’abord fait cas de la pluralité de la défense qui, selon eux, ne parle plus d’une seule voix. Me Nignan, pour étayer son argumentaire, a raconté l’histoire de l’hyène. « Il était une fois, a-t-il dit, sévissait une grave sécheresse, dans la brousse. Les animaux, pour s’abreuver, parcouraient de longues distances. Un jour, l’hyène qui revenait d’une aventure infructueuse, décida de faire une blague aux gens du village. « De l’eau ! », a-t-elle crié, à l’approche du village en indexant un point au hasard. Tous les habitants se mirent alors à courir vers l’endroit désigné par l’hyène. L’engouement pour aller vers ce point fut tel que l’hyène elle-même se mit à courir avec tous les villageois, pour aller vers ce point qu’il avait indiqué au hasard ». La morale, dira donc Me Nignan, c’est que lorsqu’on dit des mensonges, on finit par prendre ces mensonges pour la vérité. L’attitude de la défense, selon lui, est donc incompréhensible et contradictoire. « Si la défense pense que le tribunal est irrégulier, pourquoi donc produire des mémoires ? », a-t-il demandé avant de donner la parole à Me Guy Hervé Kam, toujours de la partie civile. De l’avis de ce dernier, la défense s’est encore préparée pour sortir de la salle mais, cette fois-ci, elle ne s’est pas bien préparée. Pour la partie civile, si recours il doit y avoir en ce qui concerne le décret de nomination du président, cela doit se faire devant le Conseil d’Etat. Du reste, le président du tribunal n’est pas habilité à rendre une décision concernant un décret de nomination. Me Farama, pour sa part, a estimé que la défense fait des injonctions au président du tribunal. Aussi, à l’entendre, la défense est prompte à demander au président du tribunal de considérer telle ou telle autre observation sinon, elle prendra ses responsabilités. « C’est du chantage, ce n’est pas plaider », a-t-il décrié. D’ailleurs, il a également indiqué ne pas comprendre pourquoi depuis le début, certains ont exigé que le procès se tienne et maintenant que cela est fait, ils sont réticents. Mais, la défense ne l’entend pas de cette oreille. Pour elle, il s’agit d’éviter un lynchage juridique. « Nous n’allons pas être complices d’un procès précipité », ont-ils réagi. C’est suite à l’ensemble de ces réactions que le président du tribunal a suspendu le procès pour une heure. Il était 14h 55mn.
Comme prévu, l’audience suspendue aux environs de 15h a repris à 16h, heure locale. Il était prévu d’examiner les préliminaires et les observations faites par les avocats de la défense. Mais il se trouve qu’à la pause, une requête a été introduite auprès du président du tribunal, Seydou Ouédraogo, par Me Birba, l’un des avocats de la défense. A la reprise donc, le président du tribunal a demandé à l’intéressé de poser sa requête. Debout, micro en main, il fait comprendre que sa requête consiste en une récusation du président du tribunal, le magistrat Seydou Ouédraogo, et d’un autre magistrat du nom de Emmanuel. Pour ce qui est de la récusation du président du tribunal, Me Birba a relevé qu’il existe « une incompatibilité à juger le dossier » parce que « le président Ouédraogo a connu le dossier en tant qu’administrateur et a même délivré une ordonnance aux fins de dessaisissement. Donc, comme il a été administrateur, cela l’empêche de connaître le dossier en jugement », selon Me Birba qui a signifié que le même motif est aussi valable pour Emmanuel. Comme autre motif, Me Birba a dit que celui-ci est « assez grave » d’autant que René Bagoro, ministre en charge de la justice, a, sur une liste, substitué le nom d’un magistrat par un autre de son choix, pour juger un litige dans lequel il est constitué partie civile. Après avoir exprimé ces motifs, le ministère public a mentionné qu’il faut faire la différence entre « la victime Bagoro et le ministre Bagoro ». Pour ce qui est de la récusation du président du tribunal, le procureur militaire a noté que « c’est possible que le président du tribunal se récuse, mais l’arbitre le mieux habilité à le faire c’est le président de la Cour d’appel ou celui de la Cour de cassation ». Finalement, le ministère public a déclaré la requête de Me Birba irrecevable. Après cette intervention, le président du Tribunal militaire a donné la parole aux avocats de la partie civile afin que ceux-ci se prononcent relativement à la requête de Me Birba. De prime à bord, Me Guy Hervé Kam, prenant la parole, estime que « la récusation du président du tribunal est irrecevable ». Pour lui, « poser un acte de dessaisissement » ne fait pas du juge un administrateur. Me Guy Hervé Kam s’est aussi prononcé sur la procédure. En effet, il a affirmé que la récusation doit être déposée à la Cour d’appel sinon, c’est comme si on disait « au président du tribunal de se juger lui-même ». En plus, a-t-il déclaré, « la requête en récusation ne dessaisit pas le magistrat à qui la récusation est opposée ». Donc, pour Me Kam, « la procédure doit continuer en attendant que l’autorité compétente soit saisie ». A en croire Me Kam, les avocats de la défense font feu de tout bois pour que le procès n’avance pas : « Ils imaginent tout ce qui peut empêcher d’avancer ». Pour terminer, l’avocat de la partie civile a indiqué que « le Tribunal militaire n’est pas un défouloir mais un endroit sérieux, surtout pour les porteurs de robes ». Embouchant la même trompette, Me Farama avocat de la partie civile, relativement à l’irricevabilité de la requête de Me Birba, a affirmé « qu’un juge qui rend une ordonnance, pose un acte juridictionnel et non un acte d’administration ». Dans le fond, Me Farama a clamé que, selon les textes, le ministre de la Justice n’est pas obligé de suivre la proposition qui lui a été faite et « ce n’est pas parce qu’on est ministre qu’on n’a pas le droit d’être partie civile. En quoi, cela est-il suspicieux ? », a-t-il demandé. Pour terminer, il a notifié que les arguments de Me Birba ne sont pas de nature à fonder la récusation du président du tribunal, Seydou Ouédraogo. Le premier concerné par la récusation s’est abstenu de toute observation et trouve que la défense « est dans son rôle ». L’audience a été suspendue aux environs de 17h. Elle reprend aujourd’hui, dans la matinée, avec l’examen des « préliminaires et des observations » et des exceptions de nullités.
Françoise DEMBELE et Adama SIGUE