PR AROUNA OUEDRAOGO, PSYCHIATRE : « Environ 41% de la population générale souffre d’un trouble mental »
Il est le chef du service de psychiatrie au centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo. Le Pr Arouna Ouédraogo, puisque c’est de lui dont il est question dans cette interview, nous parle des troubles mentaux. Lisez !
« Le Pays » : Qu’appelle-t-on troubles mentaux ?
Pr Arouna Ouédraogo : Cette question est assez difficile et simple à la fois. Pour simplifier, on peut retenir que les troubles mentaux désignent un ensemble de manifestations pathologiques d’ordre comportemental ou sur le plan psychologique ou même sur le plan biologique. C’est un ensemble très hétérogène de maladies qui n’ont donc pas toutes, un dénominateur commun.
A-t-on une situation claire du phénomène des troubles mentaux au Burkina ?
On ne peut pas dire qu’on a une situation claire des troubles mentaux au Burkina Faso. Comme indiqué tantôt, les troubles mentaux regroupent une gamme de maladies et pour avoir une situation claire de leur ampleur, il faut disposer de données d’enquêtes dignes de ce nom, qui concernent à la fois la population générale et des groupes spécifiques. Or, ce genre d’enquête coûte extrêmement cher et est difficile à mettre en œuvre. Néanmoins, nous avons pu réaliser, avec l’appui de partenaires, une étude épidémiologique en population générale, au cours de l’année 2015. Et cette enquête indique que la situation épidémiologique est caractérisée par une prévalence importante de ces troubles, car il y a environ 41 % de la population générale âgée d’au moins 18 ans, qui souffre d’au moins un trouble mental. Mais, quand on se situe à l’échelle des catégories diagnostiquées, le taux de prévalence peut varier d’une catégorie à l’autre.
Existe-t-il plusieurs types de troubles mentaux ? Et quelles sont les plus fréquemment rencontrées chez nous ?
Il y a plus d’une centaine de catégories de troubles mentaux. Il faut préciser qu’en fonction du domaine dans lequel on se situe, les données peuvent varier. Si nous prenons la population générale, on se rend compte que les troubles fréquemment retrouvés sont les dépressions. Si l’on se situe en population clinique, c’est-à-dire les personnes qui viennent consulter dans les services de santé, les troubles les plus fréquemment retrouvés sont plutôt les troubles psychotiques chroniques. Mais cela ne doit pas étonner, dans la mesure où en population générale, ce qu’on va retrouver, est le reflet du phénomène à l’échelle globale, alors que les personnes qui consultent dans les structures de santé, ne représentent qu’une minorité de celles qui présentent des troubles mentaux.
Nous aurions bien voulu avoir des informations concernant les enfants et adolescents mais, pour l’heure, nous n’avons pas en fait un système de collecte d’informations qui nous permet d’apprécier l’ampleur des troubles au sein de cette tranche spécifique de la population.
Quelles sont les causes de chaque maladie ?
C’est une question très importante à laquelle nous ne sommes pas toujours en mesure malheureusement d’apporter des réponses satisfaisantes. La question de la cause, en médecine, a un contenu bien précis. Mais on est tenté de répondre de la façon la plus simple, pour indiquer qu’à l’état actuel, les causes de ces maladies ne sont pas connues de manière précise. Cela veut dire qu’il y a plusieurs facteurs qui vont interférer chez un individu donné, pour donner naissance à la maladie mentale. C’est pourquoi on parle plutôt de facteurs étiologiques, que de causes en tant que telles. Donc, si on se situe dans l’ordre des facteurs qui peuvent interagir et provoquer la maladie mentale, on peut les regrouper en plusieurs rubriques : des facteurs d’ordre biologique, des facteurs d’ordre psychologique et des facteurs d’ordre social. Chez un individu donné, le trouble mental peut résulter d’une interaction de plusieurs facteurs étiologiques. En définitive, l’on admet donc qu’il n’y pas une seule cause univoque à la maladie mentale.
Qu’en est-il pour les consommateurs de drogue ?
Ils constituent une part de plus en plus importante dans notre file active et cela concerne surtout les adolescents et les adultes jeunes. La principale substance donnant lieu à abus dans notre contexte, est de loin le cannabis ou chanvre indien.
Sont-ils guérissables ?
Bien sûr que les troubles mentaux se soignent.
Comment les soigne-t-on ?
Il y a deux grandes catégories de méthodes : les méthodes biologiques et les méthodes psychologiques ou psychothérapies. Pour les méthodes biologiques, les principales ressources sont constituées par les médicaments qui appartiennent à plusieurs classes thérapeutiques. En ce qui concerne les psychothérapies, elles sont des traitements par des méthodes psychologiques, verbales ou non verbales. Ces psychothérapies peuvent accompagner le traitement biologique ou peuvent être utilisées seules, dans certains cas. Dans tous les cas, il y a nécessité de recourir à un accompagnement psychologique.
Pensez-vous que les conditions sont réunies pour un meilleur traitement des troubles mentaux au Burkina Faso ?
En psychiatrie, vous remarquez que nous n’avons pas besoin d’un équipement ultra sophistiqué pour la prise en charge des malades. C’est vrai que nous avons besoin d’un minimum de condition d’hôtellerie, d’infrastructures, de commodités dans le cadre de la prise en charge à temps complet dans une structure hospitalière ; mais je pense que nous disposons du minimum. Il y a des cas spécifiques pour lesquels le dispositif gagnerait à être complété, notamment les structures adaptées pour la prise en charge des enfants et des adolescents ainsi que les structures spécifiques pour les personnes ayant un problème avec la drogue ou l’alcool. Il faut aussi comprendre qu’en ce qui concerne le personnel nécessaire, il y a certes le minimum pour assurer la prise en charge des maladies courantes. Mais dans le cadre de la recherche de la qualité, il faut une équipe pluridisciplinaire qui peut comporter un certains nombres de corps de métiers qui concourent à une prise en charge globale du malade. Par exemple, des rééducateurs qui sont formés dans le domaine de la psychiatrie de l’enfant, font défaut à l’état actuel.
Quelles sont les manifestations des troubles mentaux ?
Il y a un changement de comportement qui peut être repéré par l’entourage. Ce changement de comportement peut être le premier élément qui doit attirer l’attention des proches. Ce changement de comportement est très variable en fonction de la maladie. Mais retenez simplement que si vous vivez avec quelqu’un et que vous connaissez son fonctionnement, à un moment donné, s’il y a une rupture par rapport à son état antérieur, il y a de quoi se poser des questions et dans bien des cas, ce sont les premiers indices de la maladie. Le comportement peut renvoyer à tout : que ce soit le comportement verbal, le sommeil, l’appétit, le fonctionnement relationnel, le fonctionnement affectif…
Que pensez-vous de l’attitude de la société face aux malades souffrant de troubles mentaux ?
Il y a deux types de réactions qui sont parfois préjudiciables à la prise en charge des malades mentaux. La première réaction, c’est cette stigmatisation des personnes qui présentent des troubles mentaux. C’est une attitude que nous déconseillons de la part des familles, de la société. Cette stigmatisation est de nature à compromettre l’intégration de la personne au sein de la communauté et conduit à le marginaliser ; ce qui crée d’autres soucis, en plus de celui d’être malade. La deuxième attitude est la résultante des représentations sociales liées à la maladie mentale, qui conditionnent un certain nombre de démarches de soins privilégiant le plus souvent les approches thérapeutiques traditionnelles au détriment de la médecine moderne. Cet état de fait occasionne un certain nombre de problèmes. Si dans bien des cas, les thérapies traditionnelles peuvent être complémentaires de celles modernes, il est souvent malheureux de constater que certaines familles perdent du temps dans un parcours à la recherche de la guérison magique qu’ils n’obtiennent pas toujours. Ces familles vont alors se présenter à l’hôpital à un stade très avancé de la maladie. Donc, nous essayons de modifier ces deux attitudes pour permettre aux malades mentaux d’avoir une prise en charge dans les formations sanitaires de manière correcte.
Pour conclure
Je vous remercie pour votre contribution à la sensibilisation de la population et pour l’intérêt que vous portez à ceux-là qui n’ont pas toujours voix au chapitre, mais qui sont des citoyens à l’égard de qui il faut un regard tout à fait respectable. Votre contribution, sous forme d’information de l’opinion, est aussi une forme de soutien à ces personnes vivant avec une maladie mentale et qui ont besoin de notre accompagnement pour recouvrer la santé.
Propos recueillis et retranscrits par Valérie TIANHOUN