ENFANTS RETIRES DE LA RUE : La difficile rupture avec le passé
Le ministère de la Femme, de la solidarité nationale et de la famille a lancé, le 10 août 2018, une opération de retrait des femmes et des enfants en situation de rue. Elle consiste à retirer les enfants de la rue et à les placer dans des centres de réinsertion pour un apprentissage de métiers. Le Centre d’éducation et de formation professionnelle, encore connu sous le nom de Centre d’accueil d’urgence, situé au quartier Somgandin de Ouagadougou, est l’une des structures dans lesquelles ces enfants sont internés. Pour s’imprégner du vécu quotidien de ces derniers et connaître leur mode d’insertion dans la vie active, nous avons passé la journée du 27 août 2018 avec eux.
Il est 9h 15 mn au quartier Somgandin de la capitale. En cette matinée du 27 août 2018 et alors que le ciel déverse abondamment ses larmes, nous sommes devant le Centre d’accueil d’urgence. A qui s’adresser pour y avoir accès ? Personne ! Du moins, à première vue, le portail est grandement entre-ouvert mais personne ne semble être présent dans les environs. Dans des circonstances du genre, on prend le prend, quitte à faire « mettre à votre place ». Inutile de tergiverser, nous sommes à l’intérieur de la cour d’une superficie d’environ 10 hectares. Après avoir enjambé les herbes et traversé un champ d’arachides, nous nous retrouvons devant une porte. Il s’agit de la porte du dortoir des enfants. Comme dans un jardin d’enfants, l’ambiance est bon enfant. On peut comprendre : c’est l’heure du petit déjeuner. Pendant que certains se bousculent et font des attroupements par-ci et par-là d’autre en lançant des cris stridents, pour les uns, on tue le temps avec des gobelets remplis de lait et des morceaux de pain en main. Pour d’autres encore, on est toujours au stade de se faire servir. Le vacarme est total : « Maître, je veux lait », « maître m’pa pamyé…. » ! Des hommes, vêtus de gilets verts, essaient de mettre de l’ordre, mais, manifestement, ils ont du mal à calmer leur monde. Après avoir essayé, en vain, de parler à un de ces messieurs, nous nous trouvons une place devant un bureau ; histoire de laisser passer le vacarme. « Madame, je sais que vous êtes journaliste, et vous voulez nous interroger. Il y a d’ailleurs un de vos collègues journalistes qui est assis là-bas (indexant un confrère de Sidwaya présent aussi pour un reportage). Mais, il faut me donner 100 F CFA d’abord pour que je vous parle». Ouf ! Enfin un interlocuteur ! Celui qui nous apostrophe de la sorte, sur un ton humoristique, s’appelle Hugues Nikiéma, la vingtaine bien sonnée. Alors que nous venons d’être soulagés pour cet intérêt inattendu exprimé à notre égard, un gamin arrache mon journal de mes mains. En le feuilletant, il tombe sur une page ; une photo du ministre de la Femme, de la solidarité nationale et de la famille : Hélène Marie Laurence Marschall. Le garçonnet ne perd pas le temps ; il interpelle ses camarades dans un français approximatif, mais tous le comprennent : « Venez voir la photo de tantie Marschall » ; c’est celle-là qui les a fait sortir de la rue. Ses camarades accourent ; nous sommes maintenant entourés ; chacun veut voir la photo. Certains comme Hamado, ont d’autres idées en tête: arracher le journal et examiner la chose de plus près mais le manège ne va pas marcher. Un coup de pied venu de nulle part à lui asser, et Hamado renonce à son projet et s’éclipse. Il s’auto proclame le délégué de tous les enfants internés dans le centre. « De la gare routière à Larlé en passant par Ouaga-inter, j’ai fait toutes ces zones où résidaient différentes bandes ; donc je connais tous les enfants qui sont ici et je les maîtrise», nous confie-t-il. « Maîtriser » vraiment, Hugues ? En fait, il n’est pas évident de pouvoir mettre au pas des garçons dont les surnoms parlent souvent d’eux-mêmes : « Petit danger, Bagroman, Multimilliardaire, Bad man, Petit soualard, Yorogang». Ces derniers doivent d’abord se débarrasser de leurs habitudes de la rue avant de se conformer aux nouveaux préceptes enseignés par Hugues et ses camarades. Il est 10h ! Nous sommes toujours dans la cour du Centre avec nos compagnons d’un jour. Les enfants sont déjà passés à autre chose. Pendant que les uns jouent au foot, d’autres préfèrent le babyfoot. Mais il y en a qui sont tentés de prendre aussi la poudre d’escampette. Soudain, un coup de sifflet retentit. C’est le rassemblement mais certains semblent s’en moquer. Le directeur du centre, Issaka Guanam, fait comprendre à tous qu’une équipe de coiffeurs vient d’arriver sur les lieux avec pour objectif de donner des coups de ciseaux à leurs cheveux. Cette information provoque des réactions diverses. Les uns lancent des cris de joie et se hâtent pour aller vers le lieu indiqué pour se faire beau ; tandis que d’autres restent de marbre. Parmi ces derniers, on retrouve Ibrahim Bénao, un adolescent bien musclé, un foulard attaché à la tête. Il gesticule devant son camarade, menaçant de quitter le centre pour retourner dans la rue. « Ce n’est pas se coiffer qui est notre préoccupation, mais plutôt avoir un métier et gagner de l’argent », dit-il à l’éducateur qui, le sourire en coin, se contente de secouer la tête. Ibrahim n’a pas eu véritablement, le temps de poser son baluchon dans la rue. Il a été « cueilli » dès son arrivée à Ouagadougou, en provenance de Pô, chef-lieu de la province du Nahouri par les services du ministère de la Femme. Pour autant, il dit ne pas être entièrement mécontent de sa nouvelle situation. Il mange à sa faim et il est en sécurité. « Nous ne manquons de rien dans ce centre. Nous mangeons à notre faim, nous disposons d’un service de santé, de psychologie, et nous avons à nos côtés des agents du ministère de la Jeunesse et de l’emploi qui s’entretiennent avec nous pour savoir le métier que nous voulons exercer », relève-t-il. Alors que nous échangeons avec Benao, la salle de projection cinématographie se transforme en salon de beauté. « Maître, je veux faire deux tons » ; « Coiffeur, moi, je veux la coiffure de Débordo, et si tu ne veux pas me faire cette coiffure, tu ne vas pas toucher à mes cheveux ». Les propos s’entremêlent ; difficile de faire régner l’ordre. On n’a cure des interpellations de Hyppolyte Ouédraogo, chargé de constituer le rang pour que chaque enfant soit coiffé à son tour. « C’est notre quotidien, et nous sommes habitués », dira Dramane Koudougou, un des éducateurs, tout en sueur.
Le cœur dans le centre, l’esprit dans la rue
Il est 11h 30 mn. Contrairement à ses camarades, Alassane Nana, âgé de 15 ans, vient de quitter le dortoir. Les yeux rougis, la voix cassée, le jeune Alassane a du mal à tenir debout et dégage une odeur repoussante. Pour lui parler, il a fallu demander à ses camarades de s’éloigner. Il ne souhaite pas s’exprimer en leur présence. Ceux qui restent pour écouter, essuient des coups de poing ou des jets de cailloux. Alassane mendiait dans les artères de la ville de Ouagadougou et dormait dans la rue. Etant interné dans le centre, il n’arrive pas à abandonner ses vieilles habitudes de « ghetto ». Il sort souvent mendier et la nuit, il se retrouve au maquis Matata avec ses camarades pour consommer de l’alcool et fumer des stupéfiants. La mine froissée, il lâche : « Je suis rentré du maquis à 4h du matin et c’est la faim qui veut me tuer ; donc, aidez-moi avec 100F CFA pour que j’aille payer des gâteaux pour calmer ma faim ». Des rires moqueurs de quelques groupes d’enfants qui se dirigent vers la salle de coiffure, le rendent furieux. Il se saisit d’un gros caillou et le lance dans leur direction avant de nous faire observer que ses camarades le connaissent, il était un de leurs leaders dans le quartier Larlé. « C’est difficile d’abandonner la mendicité et de rester dans une cour toute la journée ; mon quotidien est très morose en restant entre quatre murs, mais peut-être avec l’apprentissage des métiers qu’ils nous ont promis bientôt, je pourrai m’adapter. Sinon, pour le moment, c’est difficile », dit-il. Il n’est pas non plus facile pour nous de passer une journée avec ces enfants. Injures et menaces, on en a reçu.Continuant notre quotidien avec les enfants, et pendant que nous nous dirigeons vers un groupe assis sous une paillote, notre appareil photo en main, un jeune garçon, sur un ton menaçant, nous interdit de nous approcher d’eux. Il est même prêt à supprimer les photos que nous viendrions à prendre. Un Homme prévenu en vaut deux, nous continuons notre chemin. Le même individu, surnommé par ses camarades le « gros bras », interdit à tous les membres de son groupe de répondre à nos questions. Difficile donc pour nous d’arracher un mot à ces enfants. Appelé à notre rescousse, un des éducateurs nous conseille de les ignorer. Alors, nous continuons notre chemin. Ibra Ouédraogo, assis sous un arbre, tout seul, fixe le ciel. Il semble s’adresser au bon Dieu. Il est heureux de quitter la rue. Agé de 12 ans, Ibra est né à Tuli, un village situé à quelques kilomètres de Kongoussi dans le nord du Burkina. Pour la petite histoire, le jeune garçon dit avoir quitté les bancs en classe de CM1. Depuis sa naissance, il vivait avec sa grand-mère dans les rues de son village. Tous deux se nourrissaient de la vente de sable et des restes de repas que de bonnes volontés leurs offraient. Selon Ibra, sa grand-mère, paralysée suite à une maladie et n’arrivant plus à subvenir aux besoins de son petit-fils, lui conseilla de trouver une autre source de revenus. Il se trouve que cette source s’appelle la mendicité. Avec cette option, les rues de Ouagadougou étaient devenues ses dortoirs. Ibra nous fait savoir qu’il est content d’être dans le centre, parce que dans la rue, c’était la jungle. « Je suis en paix dans ce centre, je mange à ma faim, je suis libre de jouer avec mes camarades et j’ai même eu des vêtements neufs et ce matin il y a des coiffeurs qui sont venus nous rendre beaux», souligne-t-il. Le gamin souhaite poursuivre ses études et retrouver un jour ses parents. Un son de cloche interrompt notre conversation ; tous les enfants courent vers les dortoirs où sont entreposées de grandes casseroles fumantes de riz et de sauce. C’est l’heure du déjeuner. Vite, les rangs se forment sous la surveillance des éducateurs.
« Ils nous insultent et nous traitent de tous les noms d’oiseaux, mais on subit »
Comme d’habitude, il est difficile de maintenir l’ordre dans les rangs.
Encore un autre désordre auquel nous assistons, malgré les groupes que les éducateurs ont formés et essaient de maintenir pour la distribution du repas ; car chacun veut être servi le premier. Ils le savent : les premiers sont les mieux servis. Julien Antoine Soré vient d’être servi. Il peut maintenant nous adresser la parole. Son plat de riz en main, il laisse entendre que dans le centre, il ne mange pas de restes de nourriture comme avant. Quelques minutes plus tard, la terrasse du dortoir se remplit d’assiettes et de gobelets. En fait, chaque enfant qui finit de manger abandonne son assiette et son gobelet. Un dispositif est installé pour le lavage des mains, mais cela ne les intéresse pas. Du moins, il faut leur apprendre son fonctionnement, un travail difficile. « Ils nous insultent et nous traitent de tous les noms d’oiseaux, mais on subit. Etant des mères et parfois face à certaines réactions de ces enfants, nous avons envie de répondre par des corrections ou des punitions, mais vite, on se contrôle et d’ailleurs, impossible d’adopter des méthodes correctives à l’endroit de ces ignorants. Et souvent, on comprend que leur mentalité est différente de celle des autres enfants », fait constater une dame du service. Les réflexes du ghetto planent encore. « Mais une autre chose est sûre, l’espoir est toujours permis, parce que les choses ne changeront pas du jour au lendemain, il faut être patient », confie Bachirou Bamogo, un des éducateurs. Avant d’expliquer : « Ce qui nous complique le travail souvent, c’est que certains parents, quand ils viennent, ne nous disent pas les causes réelles des fugues de leurs enfants », nous indique un autre avant de quitter les lieux comme d’ailleurs son collègue Bachirou. Leur équipe vient de finir leur boulot. Il est 14h ! Pour la surveillance, une autre équipe d’éducateurs de 5 personnes prend le relais et va rester surveiller jusqu’à 21h avant de se faire remplacer par une autre. Ce seront presque les mêmes réalités. Il faut gérer certains cas ! Habillé d’un t-shirt rouge, Laurent Zinssou est pourchassé comme un lièvre par un de ses camarades. Dans sa folle course, il nous marche sur les pieds. « Béninois » âgé de 15 ans, d’après les éducateurs, il est l’un des anciens du centre, parce qu’il a été reçu plus de trois fois dans le centre après son insertion sans succès en famille. Il souhaite continuer ses études, mais ne compte pas retourner dans sa famille. « Mon père est trop méchant et me frappe tout le temps, donc je ne veux plus le voir », lance-t-il. Il a intégré le centre de son plein gré, parce qu’il a eu vent du retrait des enfants en situation de rue. « Nous sommes en harmonie avec les autres camarades dans le centre. Nous ne mangeons plus les restes de nourriture dans la rue, et nous disposons de tout ce qu’il faut pour bien vivre. Mais j’ai la nostalgie des filles de joie du maquis Matata avec lesquelles j’avais des parties de jambes en l’air chaque dimanche », soutient-il. Laurent affirme avoir des occupations étant interné, contrairement à la rue où son quotidien ne se limitait qu’à la mendicité. L’équipe de relais vient de prendre service. A peine arrivé, à 14h, un des éducateurs, Zounogo Sawadogo, la trentaine bien sonnée, la mine sereine, enfile son gilet et commence le travail. Deux maîtres coraniques font leur apparition au centre. L’un anxieux et très triste revêtu d’un boubou bleu, un bonnet sur sa tête déclare être sans nouvelle de son élève, Kabirou, depuis des mois. Après vérification des listes des enfants présents dans le centre, Zounogo qui dit avoir l’expérience dans ce domaine, amène les deux maîtres coraniques à faire le tour des dortoirs et à se renseigner auprès des autres enfants, mais Kabirou n’est pas interné dans le centre. Zounogo indique aux deux maîtres coraniques que leur élève vient souvent dans le centre aux heures de repas selon ses camarades, mais les rassure qu’il reviendra et ils seront en contact avec lui. « Il y a des gamins qui ne viennent qu’aux heures de repas, et après s’être rempli le ventre, ils repartent dans la rue. Mais ces enfants, petit à petit, abandonnent la rue et rejoignent les autres au centre », dit-il. Avant de dénoncer l’attitude de certains parents qui sont à l’origine de la fuite de leur enfant. Zounogo Sawadogo déplore également le comportement de certains petits malins qui, souvent, ne se font pas enregistrer sous leur vraie identité. Une chose qui ne leur facilite pas la tâche de faire retourner certains enfants dans leur famille. C’est le sourire aux lèvres que Monique Bambara, la mère d’un enfant interné, nous confie qu’elle vient de retrouver son enfant, Kader Lingani, qui a fui la maison depuis des mois. « Je viens de retrouver mon enfant dans ce centre après des mois de recherches. Dieu merci, je l’ai retrouvé sain et sauf. J’ai été reçu par les responsables du centre pour que j’amène Kader avec moi, mais je leur ai demandé de le garder et de l’éduquer pour moi pendant quelque temps encore avant que je ne le reprenne. Surtout qu’ils vont leur trouver des métiers», confie-t-elle, d’un air heureux. Kader Lingani, 14 ans, a abandonné les cours en classe de CM2 pour la rue où il mendie. Il souhaite retourner dans sa famille, mais à condition d’avoir du travail, parce qu’il ne veut pas entendre parler d’école. Il est 16h et le temps qui nous avait été donné par les responsables du centre pour passer la journée avec les enfants, est épuisé. Mais il est difficile pour nous de prendre congé de nos hôtes du jour. Chaque enfant veut raconter son histoire et veut qu’on le photographie. Il nous a fallu quitter le centre sur la pointe des pieds. Avec le sentiment que l’espoir est permis si l’on donne une seconde chance à ces enfants en situation de rue. Après ce reportage au centre d’accueil d’urgence à Tanghin, nous avons pris part à une conférence de presse organisée par le ministère en charge de l’Action sociale. Lors de ce point de presse, la ministre Hélène Marie Laurence Ilboudo a indiqué que l’opération, dans sa première phase, qui s’est déroulée du 9 au 22 août 2018 à Ouagadougou, a permis de retirer 1379 personnes de la rue. Le centre d’accueil d’urgence a enregistré 663 enfants dont 215 présents et 106 sont retournés en famille. Elle a aussi noté que 182 millions de F CFA, ont servi pour faire face aux dépenses de cette première phase de l’opération. Et 377 agents de l’Etat ont été mobilisés pour l’opération et l’insertion dans les centres. « Pour une première dans notre pays, avec ces chiffres qui parlent d’eux-mêmes et surtout l’accompagnement et la collaboration de toute la population, nous ne pouvons qu’être satisfait et nous armer de courage pour continuer l’opération afin qu’aucun enfant ni aucune femme ne se retrouve dans la rue », a-t-elle déclaré. Par ailleur, elle a souligné que les actions à venir pour cette première étape, vont concerner 31 enfants qui retourneront dans leur famille pour reprendre leur scolarisation, et le ministère en charge de l’Education se chargera de la réinsertion scolaire desdits élèves. 77 de ces enfants retirés de la rue, a-t-elle poursuivi, bénéficieront, dès le mois d’octobre, d’une formation professionnelle et 73 autres seront à l’internat dans les institutions d’éducation spécialisés et de formation de Gampèla, Orodara, Kaya et Fada N’Gourma. La ministre a aussi indiqué qu’au total un montant de 20 053 975 F CFA a été obtenu grâce à la souscription de la participation communautaire. Mais la souscription reste toujours ouverte et les dons sont reçus sur le compte Orange money au numéro 64 0776 24, Mobicash 62 29 97 77, compte Trésor 443 360 000 001 et sur le compte BICIAB 090 530 604 1600-114.
Valérie TIANHOUN
Issaka Guanam, directeur du centre d’accueil de Somgandin
« En plus d’aimer l’argent, ces enfants sont très mobiles »
« Le Pays » : Présentez-nous le centre dont vous êtes le premier responsable.
Issaka Guanam : Le centre dont le nom est action éducative en milieu ouvert (AEMO), mais connu sous le nom de centre d’accueil d’urgence, existe depuis 2013 et a commencé à fonctionner en 2016 comme un centre d’éducation et de formation. Mais il a été réorienté en accueil d’urgence, d’où sa mission d’accueil. Mais, c’est à partir de 2017 que le centre a commencé à interner les enfants et l’effectif n’était pas aussi élevé que dans ce cadre de l’opération de retrait des enfants en situation de rue, compte tenu des dispositifs qui sont pris. Le centre fonctionne 24H/24 et 7J/7. Nous avons quatre équipes de rotation de 13 personnes par jour, la première équipe commence à 6h du matin jusqu’à 14H. La 2e commence de 14h à 21h et la 3e de 21h à 6h du matin. En dehors des éducateurs sociaux, il y a une équipe de santé, de psychologie, de sécurité, des agents du ministère de la Jeunesse qui aident à travers des animations en dehors du travail socio-éducatif mené par les éducateurs. Quand un enfant arrive au centre pour la première fois, on le reçoit pour un entretien d’identification et à l’issue de cet entretien, l’enfant est reçu par les infirmiers pour des examinations afin de s’imprégner de son état de santé. Et tout cela se fait avec l’appui du psychologue qui, à son tour, reçoit l’enfant pour voir son niveau psychique. Après toutes ces étapes, l’enfant est installé dans un dortoir avant de commencer les activités socio-éducatives, notamment des causeries-débats, des projections cinématographiques, des jeux de damiers, le football et les jeux de baby-foot. Les matières d’œuvre seront là d’ici quelques jours pour les ateliers que sont, entre autres, l’atelier de menuiserie bois, métallique, vannerie moderne, couture, soudure, mécanique auto. Mais les ateliers ne se situent pas uniquement qu’au niveau de la formation professionnelle, et nos ateliers n’ont pas pour fonction la formation professionnelle seulement. Car, au niveau de l’éducation spécialisée, tout ce qu’on fait a un sens. Les ateliers jouent le rôle de poste d’observation qui permet d’avoir une idée sur la personnalité de l’enfant et de détecter ses talents en termes de formation professionnelle. Notons que tous ces ateliers et activités socio-éducatives sont faits sous l’œil vigilant d’un éducateur. Les enfants sont réunis en groupes éducatifs selon leur âge pour la formation dans la réinsertion socio-économique. S’il arrive que l’enfant soit autorisé à rentrer chez lui, le centre s’engage à l’accompagner pour son insertion sociale en détectant surtout le problème qui l’a amené à élire domicile dans la rue et à aller dans sa famille pour comprendre les difficultés de cet enfant afin de connaître la cause profonde de son départ de la maison vers la rue. Et si toutes ces raisons sont identifiées, on travaille à aplanir ses difficultés avant d’amener l’enfant pour sa réinsertion en famille. Quant à l’enfant pour qui les problématiques ne le laisse pas retourner facilement en famille, nous travaillons avec lui dans le centre dans le sens de stabiliser son comportement, c’est-à-dire résoudre ces problèmes avant de l’insérer dans sa famille, vu que la durée de séjour des enfants dans le centre est de 6 mois maximum. Mais, il arrive que la problématique de l’enfant soit telle que l’on ne peut pas trouver de solution. Dans ce cas, nous l’orientons vers d’autres centres, notamment le centre de formation professionnelle de Gampela, celui de Fada N’Gourma, ainsi que celui de Orodara.
Comment se passe le quotidien des enfants dans votre centre ?
Les enfants, à leur réveil le matin, sont assujettis au nettoyage. Après, ils prennent leur petit déjeuner et en fonction des jours, selon le programme que nous avons dressé, les enfants sont soumis à une activité éducative avant de prendre le déjeuner. Après avoir pris le déjeuner, ils se reposent et à leur réveil, dans l’après-midi, ils suivent des cours d’alphabétisation en mooré et en français, qui sont dispensés par des maîtres alphabétiseurs. Et aux environs de 17h, tous les enfants prennent leur douche avant de prendre le dîner aux environs de 19h. A 20h, nous fermons le portail pour qu’aucun enfant ne sorte et quand la cloche sonne à 22h, tous les enfants, en principe, regagnent leur lit. Mais souvent, avec les projections cinématographiques, les enfants veulent suivre les films jusqu’à des heures un peu tardives. Ils sont répartis en 5 grands groupes avec des encadreurs qui les suivent. La nourriture est servie en fonction de ces groupes et chaque groupe a deux éducateurs qui les surveillent et veillent à ce qu’ils soient bien traités. Les éducateurs de service font l’appel et chaque enfant, en répondant à son nom, passe prendre son repas sous la supervision des éducateurs.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Nous rencontrons beaucoup de difficultés, surtout pour des enfants qui viennent de divers horizons. Il n’est pas facile de leur faire adopter les comportements que nous souhaitons. Dans la rue, ces enfants sont organisés par site et par bande et chaque bande est conduite par un leader qu’ils appellent leur chef et ils sont censés suivre ses instructions. Parce que dans la rue, ces enfants sont sous les ordres de ces leaders, et parfois, il y a des leaders qui sont rivaux. Mais, dans le centre, tous ces leaders se retrouvent. Cela donne souvent lieu à de petites bagarres, mais en tant qu’éducateurs, nous sommes censés faire régner l’ordre et donner une éducation de sorte à personnaliser ces enfants. Depuis qu’ils ont intégré le site, nous travaillons à rendre les leaders positifs, parce qu’en leur sein, il y en a de négatifs qui ne veulent pas se soumettre aux règlements du centre. Mais à travers des approches bien adaptées, nous transformons ces derniers en leaders positifs. D’autres enfants, quand ils sont arrivés nouvellement au centre, consommaient des stupéfiants, notamment la cocaïne, le tramadol, la cigarette et la dissolution, mais on travaille et on veille à ce que tous ces comportements soient bannis. Les autorités ont aussi mesuré la taille de la tâche si fait qu’il y a des volontaires que nous avons, qui sont aussi des travailleurs sociaux. Autre difficulté à laquelle nous faisons face, c’est le problème d’identification, car certains enfants ne donnent pas leur vraie identité quand ils viennent au centre, de peur de se retrouver auprès de leurs parents. Une autre difficulté et non des moindres, est l’état du mur du Centre qui est trop bas. Quand nous fermons la porte à 22h, certains enfants trouvent moyen d’escalader le mur pour aller dans la rue et ne reviennent souvent qu’à des heures tardives ou même carrément le lendemain.
Y a-t-il des tentatives de fuite ?
Bien sûr que nous faisons face à des fuites. Selon les principes en la matière, on ne doit pas forcer un enfant dans le centre, qui essaie de fuguer. Mais l’éducateur doit pouvoir raisonner et comprendre pourquoi celui-ci veut quitter le centre. Une des caractéristiques fondamentales de ces enfants est la liberté sans contrainte, et ils aiment la mobilité. En plus d’aimer l’argent, ils sont très mobiles et c’est aussi l’une de leurs caractéristiques à gérer et en tant qu’éducateur, nous ne pouvons pas leur distribuer de l’argent. Donc, le manque d’argent est aussi une des raisons pour lesquelles ils veulent partir. Le plus souvent, on les raisonne et ils restent, mais même s’il arrive que d’autres quittent, ils reviennent après et nous travaillons à stabiliser la situation. Il y a des conduites à tenir dans le centre, d’autant plus qu’il y a un règlement intérieur auquel tous les enfants internés doivent se soumettre, mais pour le moment, on ne peut pas l’appliquer, car il faut travailler de façon à ce qu’ils adaptent. Les éducateurs ont une source d’énergie intarissable et n’ont pas peur. Ils ont aussi foi qu’ils vont atteindre les résultats escomptés, surtout qu’ils ont l’accompagnement et l’aide du ministère en charge de la Femme, de la solidarité nationale et de la famille à travers son premier responsable qui ne se fait pas prier pour son aide. Le degré de son engagement fait qu’on n’a pas droit à l’erreur et on doit aller au charbon
Propos recueillis par V. T.