Dr AIDA LENGANI, NEPHROLOGUE : « Tout le monde encourt des risques pendant la canicule »
Elle s’appelle Dr Aïda Lengani et est en service au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, en tant que néphrologue. Avec elle, votre rubrique « A propos de ma santé », aborde la problématique que pose la période de chaleur à l’organisme. Lisez plutôt !
« Le Pays » : Comment se fait la régulation thermique de l’organisme humain ?
Dr Aïda Lengani : L’être humain est endotherme, c’est-à-dire qu’il doit maintenir sa température interne constante pour survivre et ce, malgré les variations de température de son environnement. Schématiquement, on peut représenter l’organisme comme étant un noyau constitué des organes, des muscles, du système nerveux central dont la température doit rester stable, autour de 37°C. Ce noyau est entouré d’une enveloppe qui joue le rôle d’isolant, la peau. Chaque jour, notre organisme, en fonctionnant, va générer de la chaleur. Cette chaleur va être transférée du noyau vers l’extérieur par le biais de 3 principaux mécanismes. On a d’abord la conduction qui permet le transfert de la chaleur d’organe en organe vers la peau ; puis la convection au cours de laquelle le sang va transporter la chaleur des organes vers la peau, ou bien un liquide ou un gaz de température différente au contact de la peau va permettre le transfert de température ; et enfin, l’évaporation où le passage de l’état liquide à l’état gazeux au niveau de la peau permet le refroidissement de l’organisme. Par exemple, la perte de chaleur de l’organisme quand on se lave avec de l’eau froide ou lorsqu’on utilise un ventilateur, se fait par convection ; alors que lorsque l’on transpire, la perte de chaleur se fait par évaporation. C’est par la conduction que nous transmettons notre chaleur corporelle à nos vêtements ou aux endroits où nous avons dormi ou nous sommes assis. La régulation de la température corporelle va faire appel à des récepteurs thermiques au chaud et au froid disséminés sous la peau et au niveau des organes et à un centre régulateur situé dans le cerveau qui est l’hypothalamus. En cas d’augmentation de la température extérieure par la canicule par exemple ou de la température centrale par la fièvre, les récepteurs thermiques vont transmettre l’information à l’hypothalamus qui va envoyer des signaux à la peau. Celle-ci va réagir en libérant la chaleur par la production de la sueur et la dilatation des vaisseaux sanguins qui affleurent à sa surface. A l’inverse, en cas de baisse de la température, la rétraction des vaisseaux sanguins minimise les pertes de chaleur et les frissons induits par les contractions musculaires produisent de la chaleur.
1- A quoi servent les reins ?
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Les reins sont deux organes en forme de haricot qui sont situés dans la cavité abdominale. Les reins ont plusieurs fonctions. Ils assurent l’équilibre acido-basique de l’organisme, permettent d’épurer l’organisme de ses impuretés et régulent la composition des liquides de l’organisme en eau, en électrolytes en produisant de l’urine. En plus, ils contribuent à la production des globules rouges, à la régulation de la pression artérielle et assurent l’activation de la vitamine D qui est indispensable au renforcement des os et des dents.
3- Nous sommes en période de chaleur. En règle générale, comment se comporte l’organisme humain pendant cette période ?
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En période de canicule, l’organisme humain va évacuer la chaleur par le biais de la sudation principalement. La sueur est constituée d’eau à 99%, et d’électrolytes. De ce fait, son évaporation au niveau de la peau permet la dissipation de la chaleur. De même, l’afflux de sang au niveau de la peau augmente mais reste peu efficace pour la baisse de la température corporelle, puisque celle de l’environnement est également élevée, ce qui empêche le transfert de chaleur de la peau vers le milieu ambiant. Aussi, en période de canicule, les quantités de sueur produites peuvent êtres considérables. Cette sueur produite constitue la majeure partie des pertes en eau dites « insensibles » car elles sont difficiles à quantifier. Dans les pays chauds, on observe également des phénomènes d’adaptation des populations avec une augmentation de leur capacité à produire de la sueur et une meilleure tolérance à la sensation de « chaleur ». L’expression « l’eau, c’est la vie » veut tout dire car l’eau constitue 75% du poids corporel chez le nourrisson, 70% chez l’enfant, 60% chez l’adulte et 50% chez les personnes âgées. Les reins étant chargés de la régulation de la composition en eau de l’organisme, en période de chaleur, ceux-ci vont limiter les pertes d’eau en évacuant le maximum de déchets de l’organisme dans le minimum d’eau possible. Donc, pendant la canicule, on a tendance à uriner moins et les urines sont le plus souvent de couleur foncée car elles sont concentrées. L’hypothalamus va également agir à un autre niveau en déclenchant une sensation de soif afin de rétablir le capital hydrique de l’organisme par l’ingestion d’eau.
Selon qu’on est adulte, enfant ou personne âgée, l’impact est-il le même ?
L’impact de la chaleur n’est pas le même selon l’âge. Les enfants et les personnes âgées sont plus vulnérables comparés aux personnes adultes en bonne santé. Les enfants ont un organisme immature, constitué à 70% d’eau, qui n’a pas encore acquis les réponses appropriées aux différentes situations. De même, ils ne peuvent parfois pas exprimer leur soif ou avoir accès à l’eau. Les personnes âgées, elles, ont une réduction de la sensation de soif et de la sensation de chaleur perçue. Leur capacité à évacuer la chaleur est également réduite et ils ont parfois des traitements qui peuvent avoir des effets néfastes en période de chaleur soit en interférant avec les mécanismes naturels de régulation thermique, en augmentant les pertes urinaires d’eau ou en étant toxiques pour les reins en cas de déshydratation associée (anti-inflammatoires, certains médicaments anti-hypertenseurs ou antibiotiques).
Quels sont les risques qu’encourent les personnes âgées en cette période de canicule ?
Tout le monde encourt des risques pendant la canicule. Toutefois, il est vrai que ce risque est plus grand chez les enfants, les personnes âgées, les personnes dépendantes ou souffrant de maladie mentale. Pendant la canicule, le risque le plus courant est la déshydratation et les pertes en électrolytes. La sueur étant constituée principalement d’eau, si les pertes hydriques ne sont pas compensées en buvant de l’eau, on va se déshydrater. Les pertes en électrolytes comme le sodium, le calcium, vont avoir également des conséquences comme la survenue de crampes. On peut avoir des éruptions cutanées communément appelées bourbouilles, surtout chez les enfants. Elles sont liées à un excès de sudation. Les sujets à peau claire peuvent avoir des « brûlures » cutanées. Des œdèmes de chaleur sont possibles. En cas d’exposition prolongée au soleil, on peut avoir une brève perte de connaissance ou syncope, un épuisement ou un coup de chaleur. L’épuisement dû à la chaleur est lié à des pertes importantes en eau et en électrolytes. Il peut être méconnu car ses symptômes ne sont pas spécifiques. Il s’agit de maux de tête, vertiges, nausées, vomissements, sudation profuse et une fatigue intense. Le coup de chaleur ou insolation est une maladie potentiellement mortelle car il s’accompagne de fièvre, simulant ainsi une maladie infectieuse comme le paludisme ou la fièvre typhoïde, ce qui peut faire errer le diagnostic. Les mécanismes de refroidissement de l’organisme sont dépassés, par une déshydratation par exemple, ce qui entraîne une augmentation de la température centrale. A la fièvre s’associe une baisse de tension, une absence de transpiration, des troubles de la conscience pouvant aller jusqu’au coma et au décès si la prise en charge n’est pas rapide. L’émission d’urines très concentrées favorise la formation de calculs rénaux par la formation de cristaux de certaines substances contenues dans l’urine comme le calcium, le magnésium ou l’acide urique. Les personnes qui souffrent de maladies chroniques comme l’hypertension artérielle, le diabète, l’insuffisance rénale chronique ou de pathologies cardiaques, doivent être vigilantes car elles peuvent décompenser pendant la chaleur.
5- Quelles sont les complications de ces maladies ?
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La déshydratation peut se compliquer d’un état de choc, de troubles de la vigilance ou d’une insuffisance rénale aiguë. L’insuffisance rénale aiguë est liée à une réduction du volume sanguin parvenant aux reins pour être épuré et au fait que la quantité de sang qui doit nourrir les reins est diminuée, induisant leur dysfonctionnement. Les éruptions cutanées peuvent se surinfecter. Les personnes ayant des calculs rénaux peuvent faire des crises douloureuses appelées coliques néphrétiques, liées au passage à travers les voies urinaires de calcul qui se sont détachés ou des infections urinaires. Les hypertendus et les diabétiques peuvent avoir des hausses des chiffres tensionnels et de glycémie pouvant conduire à des accidents vasculaires cérébraux communément appelés AVC, des complications cardiaques chez les uns et au coma diabétique chez les autres. La déshydratation peut aggraver une insuffisance rénale chronique préexistante.
Ces maladies sont-elles mortelles ?
Bien sûr que ces maladies sont potentiellement mortelles si elles ne sont pas prises en charge précocement ou de façon adéquate. L’épuisement dû à la chaleur, le coup de chaleur, l’état de choc et l’insuffisance rénale aiguë sont des urgences. De même, la décompensation d’un diabète, d’une cardiopathie, le mauvais équilibre d’une hypertension artérielle, l’aggravation d’une insuffisance rénale chronique peuvent être fatals. De ce fait, la prévention est primordiale.
En tant que néphrologue, comment se fait la prise en charge de ces personnes ?
La prise en charge ne concerne pas uniquement les néphrologues, mais tous les acteurs intervenant dans le domaine de la santé. A notre niveau, en néphrologie, nous insistons sur la prévention de la déshydratation et la vigilance quant à l’automédication ou la polymédication. Pendant cette période de chaleur, il ne faut pas attendre d’avoir soif pour boire. Il faut également boire beaucoup, sauf si cela a été déconseillé par le médecin. Si l’on a des traitements que l’on prend habituellement, le faire savoir lors des consultations afin d’éviter certaines associations médicamenteuses qui peuvent jouer sur les reins en cas de déshydratation. En cas d’insuffisance rénale aiguë liée à la déshydratation, une simple réhydratation peut rétablir la fonction rénale lorsque le patient a été vu tôt. Sinon, des complications peuvent survenir, nécessitant même le recours à la dialyse dans certains cas.
Comment devons-nous nous comporter en cette période ?
Pendant la canicule, nous devons observer certaines règles. Par exemple, ne pas ouvrir les fenêtres la journée, ne pas sortir aux heures les plus chaudes de la journée, utiliser des ventilateurs ou des climatiseurs, prendre des douches fréquentes, porter des vêtements légers en coton, de couleur claire, boire beaucoup d’eau, réduire la consommation d’alcool, de café, de thé et d’aliments riches en protéines ou trop sucrés. Chez les personnes prenant plusieurs médicaments, les signaler à chaque consultation. Les mamans doivent donner le sein plus souvent aux enfants qui allaitent, pour ceux qui sont nourris au biberon, leur donner de l’eau entre deux biberons. Il faut leur faire prendre des bains plusieurs fois par jour et ne jamais les laisser seuls dans une voiture ou une pièce mal aérée, même pour quelques minutes. On a coutume de voir en circulation des mères avec leur bébé au dos en plein 13 heures, il faut éviter cela ; si la course est urgente, il faut confier si possible l’enfant à quelqu’un.