ELECTIONS COUPLEES EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
C’est dans une République centrafricaine dévastée par une décennie de chaos politique et de violences intercommunautaires que des élections présidentielle et législatives ont été organisées le 27 décembre dernier, pour permettre au peuple de choisir son président et ses 140 représentants à l’Assemblée nationale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la majorité des Centrafricains ont boudé les urnes, essentiellement en raison des menaces proférées par des groupes armés qui occupent plus de deux tiers du territoire et qui tenaient à empêcher, par tous les moyens, l’actuel président et candidat à sa propre succession, Faustin Archange Touadéra, de renouveler son bail au palais de la Renaissance. Pari non tenu, pour ainsi dire, d’autant que le scrutin, quoique chaotique, a eu lieu à Bangui et dans les circonscriptions électorales avoisinantes, sous très haute surveillance des forces armées centrafricaines, des alliés rwandais et russes sans oublier les Casques bleus, tous sur les dents et le doigt sur la gâchette jusqu’à la fermeture des bureaux de vote. Malgré donc les risques de débordement et la paranoïa ambiante dans les zones encore sous contrôle gouvernemental, les électeurs sont sortis pour accomplir leur devoir civique, et pour faire une sorte de pied-de- nez aux groupes armés qui menaçaient, il y a quelques jours, de fondre sur Bangui afin d’empêcher ce qu’ils qualifient de « simulacre de vote ». Mais ailleurs, dans le pays, c’était le désert électoral, les groupes armés qui contrôlent le Centre, l’Est et le Nord-Est du pays ayant menacé d’abattre tout contrevenant au mot d’ordre de boycott. On ne peut donc pas parler d’élections couplées dans la majeure partie de ce territoire grand comme deux fois et demi le Burkina Faso où des groupes d’obédience peule comme l’UPC du Général Ali Darassa et les 3R du Général Sidiki Abass ont opportunément noué une alliance avec le FPRC du Général d’ethnie Rounga Nourredine Adam et la faction des Anti-Balaka dirigée par Maxim Mokom, neveu de l’ancien président François Bozizé, pour empêcher l’expression du suffrage universel dans les zones sous leur étouffante emprise.
On risque d’assister, dès le lendemain des résultats, à un nouvel épisode sanglant
Toutes les actions de boycott actif visant à délégitimer le futur président et les députés choisis à l’issue de cette facétie électorale, auraient comme chef d’orchestre François Bozizé, le très clivant ancien président qui a laissé plus de tâches que de traces dans l’histoire de son pays. Si Francois Bozizé a réussi, en association avec des chefs de guerre, à défier le pouvoir central et la communauté internationale, c’est justement parce dans ce pays démantelé, l’appel au boycott s’est greffé sur la combinaison complexe de plusieurs facteurs liés notamment aux conflits locaux pour le pouvoir, à la distribution perçue comme inéquitable des ressources, mais aussi aux effets de l’insécurité, notamment aux problèmes liés à la protection des civils dans les zones rurales. C’est dire donc que le futur président aura du pain sur la planche, et pour colmater les brèches de la digue de la cohésion sociale qui n’en finit pas de prendre l’eau de toutes parts en Centrafrique, il lui faudra comprendre que le fait que plus de deux tiers du territoire se soient auto- exclus du jeu électoral, n’est ni plus ni moins que l’expression d’une colère diffuse, annonciatrice d’une période d’intranquilité dans ce pays endémiquement instable. Malheureusement, tout semble indiquer que Faustin Touadéra qui, sauf surprise, est en train de filer en roue libre vers sa réélection, ne s’inscrit pas dans une logique de négociation avec ses opposants armés. On risque donc d’assister, dès le lendemain des résultats, à un nouvel épisode sanglant dans cette interminable série noire dont l’écriture a commencé en 2013 avec l’entrée des Seleka à Bangui et la fuite du président d’alors, François Bozizé. L’arrivée récente dans le pays des renforts russes et rwandais connus pour ne pas faire dans la dentelle quand il s’agit de casser du rebelle, et l’organisation au forceps de ce double scrutin sont des signes patents de raidissement du président Touadéra, qui pense secrètement qu’à l’issue de ce scrutin atypique, il pourra se servir de la légalité pour conquérir la légitimité que lui dénieront ses contempteurs, en libérant par le feu et par le sang, les populations du Nord, du Centre et de l’Est aujourd’hui prises en otage par des individus sans foi ni loi. C’est vrai que ce sera le pire des scénarii pour le futur chef d’Etat, mais aura-t-il vraiment le choix s’il veut être le président de tous les Centrafricains et non comme le premier magistrat de la ville de Bangui et villages alentours où les votes ont eu lieu dans un calme relatif? Rien n’est moins sûr, quand on sait que pour mettre un terme à la volatilité sécuritaire dans le pays, la Centrafrique a conclu depuis 2012, huit accords de paix, le dernier en date étant l’accord de Khartoum négocié le 24 janvier 2019 dans la capitale soudanaise et signé à Bangui le 6 février de la même année, entre l’Etat représenté par le président Faustin-Archange Touadéra, et quatorze groupes armés dont faisaient partie ceux qui ont repris aujourd’hui les hostilités. Instruit par ces échecs successifs, l’actuel président et professeur de mathématiques qui a visiblement du mal à s’accommoder de l’incurie et du louvoiement de la France, tentera probablement, s’il est réélu, de résoudre l’équation sécuritaire non pas en dénouant le nœud gordien, mais en le tranchant avec l’aide militaire et le soutien diplomatique du très tranchant président de la Russie, Vladimir Poutine.
Hamadou GADIAGA