Crise malienne
La CEDEAO s’est encore réunie en sommet extraordinaire hier à l’hôtel Kempinski d’Accra pour se pencher sur le énième soubresaut que connait le Mali, avec le coup d’Etat perpétré par les bérets verts de la garnison de Kati, le 24 mai dernier. Jusque-là c’était surtout l’Union européenne avec la France en tête et les Etats unis qui ont été les plus audibles sur ce dossier, et on était curieux de connaitre la position officielle de l’instance sous régionale, après l’échec de la médiation qu’elle a tentée entre les différents protagonistes de la crise, dès les premières heures du putsch. Si en 2012 et en 2020, elle n’a pas hésité à bander les muscles face aux putschistes, cette fois-ci, chacun aura remarqué qu’elle a plutôt fait profil bas en acceptant non seulement l’idée d’un autre mariage de la carpe et du lapin, c’est-à-dire de la formation dans les prochains jours d’un gouvernement civilo-militaire, avec un Premier ministre issu de la société civile. En outre, elle suspend le Mali de ses instances, exige le respect du délai de la transition dont la fin est fixée au 22 février 2022, mais s’abstient de prendre des sanctions drastiques qui isoleraient le pays tout en sachant que son économie est déjà exsangue du fait de la maladie à coronavirus et des dépenses militaires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En somme, une condamnation de principe assortie de mesures cosmétiques ou des sanctions à dose homéopathique, juste pour ne pas donner un blanc-seing aux récidivistes de Kati, et ne pas prendre ouvertement et officiellement acte de leur forfaiture. Ne rien faire pourrait ouvrir en effet la boite de pandore, et donner le top-départ d’une avalanche de coups d’Etat dans toute l’Afrique de l’ouest, dont les armées sont réputées être les plus putschistes du continent. Les chefs d’Etat ont cette fois-ci fait preuve de mansuétude vis-à-vis des opérateurs économiques maliens en n’imposant pas la fermeture des frontières et en n’interdisant pas les échanges commerciaux et financiers avec le Mali, comme ils l’avaient fait en août dernier. Au total, les putschistes du 24 mai dernier s’en tirent à bon compte, et c’est auréolé de ce qu’on peut considérer comme une victoire diplomatique que Assimi Goîta a rejoint la nuit dernière Bamako pour jouir pleinement des prérogatives que lui confère la charte de la Transition. Les tombeurs de Bah Ndaw qui bénéficient du soutien des uns et profitent de l’indifférence des autres en se présentant à l’opinion publique malienne comme des officiers patriotes auront désormais la carte blanche pour conduire la transition jusqu’à son terme sans casse, du moins on l’espère. Toutefois, il serait être naïf de croire que les flonflons cocardiers et les discours prétendument révolutionnaires qui surfent sur le sentiment anti-français de plus en plus développé aussi bien chez les Maliens que chez leurs frères des pays francophones de la sous-région suffiront à réussir le pari d’une transition parfaitement réussie, avec des élections locales et présidentielle organisées dans les huit mois qui nous séparent de la fin du processus. Le président français qui sait très bien que les nouveaux dirigeants ne vont pas de sitôt franchir le rubicond de la rupture avec la Métropole comme on le susurre a volontairement fait monter la pression sur ces derniers et sur les chefs d’Etat ouest-africains qui étaient hier en conclave sur le sujet, en menaçant de retirer ses soldats du Mali à partir du moment où ‘’il n’y a plus de légitimité démocratique ni de transition’’ dans ce pays. D’aucuns diront qu’il s’agit ni plus ni moins que d’un autre bluff d’Emmanuel Macron après celui de janvier 2020 à la veille du sommet de Pau consacré à la sécurité au sahel et que cette déclaration teintée de condescendance est également destinée à son opinion publique de plus en plus agacée par les critiques formulées contre le manque d’efficacité de l’armée française sur les théâtres d’opération, notamment au Mali. Cette sortie à but dissuasif du président français n’a visiblement pas produit l’effet escompté puisque contrairement aux autres fois, la CEDEAO n’a pas eu la main lourde contre le Mali, et le colonel Assimi Goîta, à ce qu’on dit, est resté droit dans ses bottes, il ne quittera pas sa fonction de président de la République avant la prochaine élection présidentielle. Le contexte et le timing lui servent d’adjuvants ou d’arguments dans cette quête de légitimité, avec notamment le manque de leadership et de charisme de l’ancien président et de son Premier ministre, sans oublier bien sûr la ‘’négrerie’’ toute ‘’gondwanaise’’ à laquelle on a assisté au Tchad où le fils militaire a remplacé son défunt père à la présidence de la République, en écoutant attentivement les mots débordant de sympathie et d’onction d’Emmanuel Macron et de certains de ses pairs de la CEDEAO. Par ailleurs, on se demande comment la communauté internationale pourrait amener le têtu de Kati à lâcher prise, quand on sait qu’avant le sommet extraordinaire d’Accra, il a été ‘’investi’’ par les sages de la Cour constitutionnelle comme chef de l’Etat jusqu’à la fin de la Transition, comme pour couper l’herbe sous les pieds des dirigeants de la sous-région. Pari réussi pour ainsi dire, puisque ces derniers n’ont prononcé que des sanctions a minima contre les putschistes, en exigeant toutefois que les délais de la transition soient scrupuleusement respectés. Après tout, quand on ne peut rien contre un cambrioleur, dit l’adage, la sagesse commande de l’aider à emporter son butin, afin de tourner rapidement la page et d’éviter des dégâts collatéraux.
Hamadou GADIAGA