Législatives au Sénégal : Macky Sall va-t-il éviter une cohabitation ?
C’est un scrutin qui a valeur de test aussi bien pour l’opposition que pour la majorité présidentielle, à un peu moins de deux ans de la présidentielle, qui s’est déroulé le 31 juillet dernier au Sénégal pour renouveler, dans une ambiance plutôt calme, les 165 sièges du Parlement monocaméral largement acquis à la cause du président Macky Sall. La majorité des 7 millions de Sénégalais inscrits sur les listes électorales de ces législatives, ont répondu à l’appel des urnes, certainement mus par le principal enjeu du scrutin, qui est la configuration du paysage politique dans la future Assemblée nationale. C’est un enjeu de taille, puisqu’en cas de victoire de la coalition soutenant le président, « Benno Bokk Yakaar», Macky Sall pourrait mettre ses partisans à contribution pour sauter le verrou constitutionnel qui exclut, en théorie, la possibilité d’un troisième mandat, du moins si telle était son intention inavouée, comme le lui prête l’opposition. En revanche, ce rêve serait non seulement brisé si c’est le tandem formé par ‘’Yewwi Askan Wi’’ d’Ousmane Sonko et de ‘’Wallu Sénégal’’ d’Abdoulaye Wade, qui devenait majoritaire à l’Hémicycle.
Le coup de Trafalgar électoral est quasiment inimaginable à l’issue de ce scrutin
Mais Macky Sall serait aussi contraint à la cohabitation, ce qui serait pour lui le pire des scénarii, à quelques mois de la présidentielle de février 2024. Dans ce pays habitué à donner des leçons de démocratie au reste du continent, personne ne serait scandalisé si le Conseil constitutionnel venait, dans les heures qui suivent, à proclamer la victoire de l’opposition, comme il l’avait fait à l’issue des élections locales de janvier 2022. Mais pour cette fois-ci, ce scénario serait pour le moins hypothétique, quand on sait que l’actuel chouchou de l’opposition sénégalaise, Ousmane Sonko, a été empêché de se présenter à cette élection en raison de l’invalidation de sa liste sur laquelle figurait par inadvertance, le nom d’une candidate parmi les titulaires et les suppléants, et que les deux autres ténors que sont Karim Wade et Khalifa Sall, ont été disqualifiés pour des ennuis judiciaires. En clair, le coup de Trafalgar électoral est quasiment inimaginable à l’issue de ce scrutin, surtout pas avec des outsiders inconnus au bataillon et sans étoffe politique, qui comptent sur la candidature à but apotropaïque, de l’ancien président Abdoulaye Wade, pour créer la surprise. Les principaux glaives de l’opposition étant hors course, Macky Sall peut boire tranquillement son petit lait, convaincu que ce n’est pas le patriarche Abdoulaye Wade, aujourd’hui dandinant et rassasié de jours (97 ans, sans la « TVA », ajoutent les mauvaises langues en référence au relatif flou autour de sa date de naissance) qui va lui ravir la vedette, malgré les remous qui agitent son propre camp, avec une cacophonie difficilement dissimulable sur fond de guerre des barrons au sommet de la coalition qu’il dirige. Ça ne sera peut-être pas un boulevard pour Benno Bokk Yakaar, mais la mouvance présidentielle pourrait se contenter même d’une victoire à l’arraché, après la douche froide de janvier dernier et la razzia de l’opposition lors des dernières élections locales qui a vu d’importantes villes comme Dakar, Thiès, Ziguinchor, Rufisque, Diourbel et Guédiawaye, tomber dans son escarcelle.
On espère que Macky Sall ne tentera pas d’enfourcher le même cheval que Alassane Ouattara et Alpha Condé
Le défi sera pour la mouvance présidentielle, de reconquérir ces énormes réservoirs de voix dans la perspective de la présidentielle de 2024, afin d’éviter une autre bérézina qui pourrait sonner le glas de cet attelage hétéroclite qui gère le Sénégal depuis une dizaine d’années. Ce n’est pas gagné d’avance et la prudence doit être de mise jusqu’à la proclamation officielle des résultats, surtout quand on sait que Macky Sall peine à maitriser ses troupes à cause des ambitions débridées des uns et des réflexes népotiques des autres, sans oublier sa responsabilité personnelle dans la flopée de candidatures dissidentes suite à sa démarche jugée particulièrement intrusive, lors du choix des candidats. Si on ajoute à cette déloyauté, des ‘’affamés’’ de la coalition au pouvoir, les récriminations au sein du principal allié, le Parti socialiste, dont certains caciques ne supportent plus d’être cantonnés au rôle ingrat de porteurs d’eau du parti présidentiel, on peut dire que Macky Sall, même auréolé d’une victoire à ces élections législatives, pourrait difficilement vouloir d’un troisième mandat qui serait annonciateur, selon beaucoup d’analystes, de querelles fratricides au sein de la mouvance présidentielle, et de crise politique aux conséquences imprévisibles pour cet îlot de la démocratie en Afrique de l’Ouest. Mais puisque nous sommes en politique et comme la politique est l’art de tous les possibles, nous devons jouer la carte de la prudence sur les intentions réelles de l’enfant de Fatick, d’autant que son prédécesseur, pour se faire haïr par son peuple, n’avait pas cherché loin, en 2012, en caressant le rêve d’un troisième mandat et en voulant ramener le Sénégal sur le même palier que le Togo, démocratiquement parlant, à travers un honteux projet de dévolution dynastique du pouvoir. Mal lui en a pris, puisqu’il a non seulement quitté le pouvoir, mais son parti en a payé un lourd tribut politique, étant devenu aujourd’hui l’ombre de ce qu’il fut aux heures de gloire de son chef. On espère que Macky Sall, même s’il évite une cohabitation explosive au sortir de ce scrutin législatif, ne tentera pas d’enfourcher le même cheval que ses deux voisins du Sud, Alassane Ouattara et Alpha Condé, et qu’il connait très bien et répète à l’envi la citation apocryphe selon laquelle « ceux qui peuvent vous faire croire aux absurdités, peuvent vous faire commettre des énormités ». L’ancien président nigérien, Mahamadou Issoufou, l’a, lui, bien compris, en cédant son fauteuil au terme de son deuxième et dernier mandat, et Macky Sall devrait lui emboiter le pas, s’il veut entrer dans l’histoire du Sénégal par la porte de l’honneur et de la dignité.
« Le Pays »