DECES DU PERE DE LA PERESTROIKA : Que doit l’Afrique à Gorbatchev ?
Il a tiré sa révérence. L’homme qui, aux commandes de l’appareil d’Etat soviétique de 1985 à 1991, rêvait de sauver de l’intérieur, le système communiste par les grandes réformes contenues dans la Perestroïka, mais qui a assisté quasi impuissant à l’emballement de l’histoire qui a finalement provoqué la dislocation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). En effet, le 30 août 2022, Mikhaïl Gorbatchev est décédé à Moscou, provoquant, de par le monde entier, des réactions mitigées sur le rôle qu’il a joué dans l’évolution des relations internationales qui, de la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945 à son accession au pouvoir en 1985, étaient caractérisées par l’antagonisme des deux blocs dans le cadre de la Guerre froide. Si la pudeur face à la mort a contenu les analyses les plus négatives sur ce rôle, il n’en demeure pas moins que ce prix Nobel de la paix laisse une image controversée, représentant pour les uns, l’homme qui a mis fin à 46 ans d’affrontements, et pour les autres, l’homme par qui le malheur de l’effondrement du système soviétique est arrivé.
L’absence de rival en face a eu pour effet de desserrer l’étau de la politique du « Containment » en Afrique
Vu d’Afrique, même s’il est difficile d’évaluer l’impact de son action politique sur le continent, les conséquences de la fin de la bipolarisation qui a résulté de son passage à la tête du deuxième Super Grand, sont nettement importantes. En effet, au plan politique, la chute de l’Union soviétique a eu des répercussions décisives en Afrique qui était l’un des terrains d’affrontement des deux blocs pendant la Guerre froide. Le cas le plus emblématique de la manifestation de cette Guerre froide en Afrique, était la guerre civile en Angola, entre le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) qui se définit comme marxiste-léniniste et donc soutenu par l’URSS et l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), anti-communiste et donc sous obédience américaine. La chute du bloc Est suite à la politique de la Perestroïka mise en œuvre par Mikhaïl Gorbatchev, prive l’UNITA de ses soutiens, permettant au MPLA de remporter la guerre après 27 ans de conflit qui a pour effet de ravager le pays, en occasionnant plus de 500 000 morts et plus de 2 millions de déplacés internes. Dans la même dynamique de l’effondrement de l’Union soviétique, l’absence de rival en face a eu pour effet de desserrer l’étau de la politique du « Containment » en Afrique avec pour conséquence, la chute des régimes africains jusqu’alors soutenus par les Etats-Unis d’Amérique (USA) pour contrecarrer l’influence soviétique. C’est le cas de l’apartheid en Afrique du Sud, permettant ainsi l’accession des Noirs à la tête du pays avec Nelson Mandela. Mais dans l’un ou l’autre camp, la fin de la bipolarisation a permis le basculement de gré ou de force, du continent dans la sphère démocratique.
La fin de la bipolarisation a consacré le règne de la mondialisation
En Afrique francophone, ce basculement a eu pour effet déclencheur le discours de La Baule où la démocratisation est devenue une nouvelle conditionnalité de la coopération entre la France et ses anciennes colonies. Ce vent de démocratisation a balayé de nombreux régimes comme celui de Mathieu Kérékou au Bénin ou celui de Mobutu Sese Seko au Congo. Donc, l’on peut affirmer que la politique de Gorbatchev a eu des effets bénéfiques sur le continent au plan politique, même si l’on peut par ailleurs émettre le bémol de la tropicalisation de la démocratie qui a eu pour effet de maintenir certains dictateurs au pouvoir et la montée en puissance des groupes terroristes qui déstabilisent de nombreux pays africains, en raison du vide créé par l’absence soviétique face à la toute-puissance de la civilisation occidentale capitaliste. Au plan économique, la fin de la bipolarisation a consacré le règne de la mondialisation à travers la libéralisation des échanges à l’échelle de la planète. Si l’Afrique économique s’est retrouvée face à des marchés mondiaux ouverts, elle a néanmoins eu de grandes difficultés à en profiter. Elle ne représente que 2 à 3% des échanges mondiaux et pire, son rôle n’a pas changé. En effet, le continent est resté un fournisseur de matières premières et un grand consommateur de produits manufacturés importés et cela, dans un cadre global de détérioration continue des termes de l’échange. Cet état de fait a eu pour effet de maintenir au plan social, le continent dans la pauvreté avec, entre autres, le développement des flux migratoires des jeunes Africains vers l’eldorado européen dont l’opulence est étalée à travers la mondialisation des médias. Cela dit, les répercussions de la politique de la Pérestroïka sur le continent, viennent rappeler le rôle d’appendice des grandes puissances, que joue l’Afrique. Et cela amène à se poser des questions face à la nouvelle trajectoire prise par les relations internationales avec les tentatives de reconstruction des blocs, avec à la manœuvre, à l’Est, la Russie et la Chine. En effet, l’influence grandissante de Moscou en Afrique, avec pour exemple emblématique les cas malien et centrafricain, ne menace-t-elle pas de ramener l’Afrique au cœur des affrontements entre les grandes puissances que l’action de Mikhaïl Gorbatchev avait quelque peu éteinte ? Si cette crainte venait à se confirmer, l’Afrique aurait dilapidé le plus grand trésor laissé par Gorbatchev, qu’est la possibilité de se soustraire de l’influence des puissances occidentales pour assumer entièrement son indépendance en prenant en main son destin.
« Le Pays »