PROCES DE FELICIEN KABUGA A LA HAYE : Les Rwandais en attendent beaucoup
Le jeudi 29 septembre 2022, s’est ouvert à La Haye, le procès de Félicien Kabuga. Rien que la seule évocation de ce nom, fait encore frémir au Rwanda. Et pour cause. Il a été le financier présumé du génocide de 1994. Il était aussi président, en 1994, de la tristement célèbre Radio télévision libre des Mille Collines. En rappel, c’est ce média qui, avant et pendant le génocide, diffusait les appels au meurtre des Tutsis. Après plus de 25 ans de cavale, Félicien Kabuga a été arrêté en 2020 près de Paris, où il vivait tranquillement sous une fausse identité. A l’ouverture de son procès, l’accusation lui a signifié les charges retenues contre lui. Il est notamment accusé de génocide, d’incitation directe et publique à commettre le génocide et de crimes contre l’humanité, dont persécution et extermination. Le procès Kabuga a été rendu possible grâce au mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux. Ce mécanisme est chargé d’achever les travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda. L’on peut donc tirer son chapeau à ce mécanisme et à tous ceux dont la vigilance a permis de mettre la main sur l’un des principaux suspects du plus grand génocide africain du 20e siècle. En effet, ce massacre, selon l’ONU (Organisation des Nations unies), a fait plus de 800 000 morts, essentiellement au sein des Tutsis. Félicien Kabuga est également soupçonné d’avoir contribué, en 1993, à l’achat massif de machettes distribuées aux milices Hutu interahamwe, bras armé du régime génocidaire hutu. C’est donc un gros poisson du régime de Juvénal Habyarimana, qui était devant le tribunal à La Haye, ce jeudi. Et le moins que l’on puisse dire, est que les Rwandais attendent beaucoup de ce procès. Et cela pour trois raisons essentielles.
La réconciliation engagée au Rwanda ne sera complète que lorsque tous les derniers suspects clés du génocide seront traduits en justice
Il y a d’abord le fait que Félicien Kabuga n’a pas hésité un seul instant à mettre son immense fortune au service du génocide. L’on peut retenir ensuite le rôle capital de la radio dont il était le président, dans la survenue et l’exécution du génocide. Et l’on n’a pas besoin d’être Rwandais pour savoir qu’il s’agit de la tristement célèbre Radio télévision libre des milles collines (RTLM). Enfin, Félicien Kabuga s’est illustré dans le génocide, de manière diaboliquement géniale. C’est lui, en effet, qui a financé l’achat massif des machettes dont se sont servis les milices interahamwe, pour découper les Tutsis. L’on peut ajouter à ces trois éléments, la durée de la cavale de l’homme. En effet, Félicien Kabuga a réussi l’exploit de semer la justice pendant 26 longues années. Au regard donc de ce qu’il a été et de ce qu’il a fait pour le génocide, l’on peut affirmer sans grand risque de se tromper que les Rwandais attendent beaucoup de ce procès. Pour le moment, on est au stade des déclarations liminaires. Celles-ci seront suivies, à partir du 5 octobre prochain, par la présentation des moyens de preuves. Plus de 50 témoins seront présentés lors du procès par l’accusation. Pour autant, la manifestation de la vérité risque d’être difficile. En effet, l’homme a déjà plaidé non coupable lors d’une première comparution en 2020. En outre, ses avocats ont tenté de le faire échapper à un procès au vu de son état de santé. Enfin, il n’est pas exclu que Félicien Kabuga utilise la stratégie de Hissène Habré, c’est-à-dire le mutisme. Lors d’une audience préliminaire en août dernier, le vieil homme était en chaise roulante, visiblement fatigué. A le voir, on pouvait éprouver de la pitié pour lui. Mais quand on pense à ce dont on l’accuse, ce sentiment peut se muer en autre chose. En tout cas, même au-delà du Rwanda, toutes les personnes éprises de justice attendent beaucoup de ce procès. Car, l’argent n’autorise pas à tout faire. La réconciliation engagée au Rwanda ne sera complète que lorsque tous les derniers suspects clés du génocide seront traduits en justice. De toute évidence, Félicien Kabuga en fait partie. Malheureusement, d’autres, comme Augustin Bizimana, l’un des ingénieurs du massacre, et Protais Mpiranya, ancien commandant du bataillon de la Garde présidentielle des forces armées rwandaises, sont décédés sans être passés devant la justice internationale.
Pousdem Pickou