L’UA ET LA LUTTE CONTRE BOKO HARAM : L’heure n’est plus aux belles paroles
L’Union africaine (UA) a toujours été critiquée pour son indolence face aux préoccupations majeures des populations du continent noir. Et cette critique est pertinente, puisqu’elle repose sur des faits. En effet, l’on a rarement vu cette organisation monter en première ligne pour entendre les cris de détresse des peuples africains, en rapport avec les problèmes de gouvernance, d’insécurité et de chômage de leur pays. Et quand elle feint de les entendre, c’est pour ensuite se contenter de déclarations brumeuses de principe. Cette attitude a contribué à la discréditer aux yeux de l’opinion publique africaine qui en est arrivée, à son sujet, à se poser la question suivante : A quoi sert l’UA, si elle ne peut pas apporter des réponses appropriées aux nombreux défis auxquels est confrontée l’Afrique ? Et cette question, on peut se la poser aujourd’hui, au regard des ravages du terrorisme djihadiste en général et de ceux de Boko Haram en particulier. Ce grief semble être enfin parvenu à l’UA, qui a décidé de réagir si l’on en croit sa première responsable, Nkosazana Dlamini-Zuma.
La menace djihadiste ne se résume pas au seul cas de Boko Haram
En effet, lors de la cérémonie d’ouverture du Conseil des ministres de cette institution, le lundi 26 janvier 2015 dernier à Addis-Abéba en Ethiopie, celle-ci a appelé les Etats africains à réagir collectivement contre la menace de Boko Haram. Cet appel peut être déjà salué, bien qu’il intervienne à un moment où Boko Haram, après avoir eu tout le temps de gangréner le Nigeria, est en train d’étendre ses tentacules sur pratiquement l’ensemble de la sous-région. Cette réalité, la patronne de l’UA semble l’avoir perçue, puisqu’à l’appui de son appel, elle a dit ceci : « Si cette menace n’est pas contenue, nous serons tous en danger ».
Sacrée UA ! Peut-on s’exclamer. Car ce n’est que maintenant qu’elle prend conscience que le phénomène djihadiste ignore royalement les frontières. L’on peut même se poser la question de savoir, si l’UA se serait décidée à sortir de ses bureaux douillets et feutrés d’Addis-Abéba pour donner de la voix contre les barbus nigérians, si Idriss Deby et Paul Biya n’avaient pas eu l’initiative de s’associer pour contrer les incursions meurtrières de Boko Haram en territoire camerounais et si les Etats-Unis, par l’entremise de John Kerry, n’avaient pas promis d’aider le Nigeria à vaincre Boko Haram. Cette question est d’autant plus pertinente que la menace djihadiste contre l’Afrique ne se résume pas au seul cas de Boko Haram. L’on peut aussi évoquer d’autres cas tels que les Shebabs en Somalie, les Frères musulmans en Egypte, la pléiade de mouvements djihadistes en Libye, qui a transformé ce pays en un véritable quartier général opérationnel à partir duquel elle peut étendre son hégémonie sur l’ensemble de l’espace sahélo-saharien. Et que dire du MUJAO (Mouvement pour l’unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest) qui avait réussi l’exploit de ramener le Nord-Mali au moyen-âge, avant d’être bouté du Mali grâce notamment au sacrifice des soldats français et tchadiens ? Face à cette galaxie d’organisations djihadistes qui ont fait tant de mal à l’Afrique, l’UA n’avait pas daigné lever le petit doigt, ne serait-ce que pour tirer la sonnette d’alarme. Elle n’a pas pu mettre en place une force d’intervention pour sauver les populations sur lesquelles les barbus ont expérimenté les sévices les plus cruels.
Entre les paroles et les actes, il y a un fossé
Pourtant, l’UA avait le devoir moral et politique de voler au secours de ces populations. Certes, elle peut invoquer le manque de moyens financiers et logistiques (puisque rares sont les pays membres qui s’acquittent de leurs cotisations) pour justifier ce comportement, mais cet argument, en réalité, illustre le fait que l’UA n’est pas une organisation sérieuse. En effet, ce ne sont pas les ressources qui manquent à l’Afrique. Elle en a même trop. Seulement, celles-ci sont uniquement utilisées pour entretenir les cours et sécuriser les palais des princes qui nous gouvernent. Cela dit, entre les belles paroles dites par Nkosazana Dlamini-Zuma sur la nécessité pour l’Afrique d’aller en rangs serrés contre Boko Haram et les chances de voir ces paroles se traduire en actes concrets, il y a un fossé. L’UA réussira-t-elle à le franchir ? Il faut l’espérer, parce que l’heure est grave et n’est plus aux belles paroles. Dans cette perspective, l’on est en droit de se poser la question de savoir si le Nigeria va se départir de son orgueil actuel, qui consiste à donner l’impression que Boko Haram est d’abord son affaire et qu’il a les moyens propres de le vaincre, pour contribuer à la mise en place d’une force africaine qui aurait la latitude d’utiliser son territoire pour traquer efficacement Boko Haram. L’on peut en douter, puisque, pour des raisons électoralistes, Goodluck Jonathan pourrait rejeter la proposition de l’UA, pour ne pas donner le sentiment à ses compatriotes que son régime a failli par rapport à l’une des prérogatives majeures de tout Etat digne de ce nom, c’est-à-dire la capacité d’assurer la sécurité des populations qui y vivent. En attendant que les jours à venir nous apportent la preuve que le Nigeria n’est pas dans cette logique et que l’UA est en train de grandir, l’on peut souhaiter que dans le cadre de la lutte contre le djihadisme en général et contre Boko Haram en particulier, les décideurs africains et la communauté internationale prennent en compte ces mots de Carlos Lopès, le secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, prononcées justement à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du Conseil des ministres de l’UA, à propos de la menace djihadiste en Afrique : « La réponse n’est pas que politique, mais aussi économique. La menace sécuritaire est le résultat d’une incapacité à créer de l’activité pour les populations concernées ».
Voici qui est bien dit, mais sera-t-il seulement entendu par l’UA ?
« Le Pays »