HomeSports plusANGELIKA SITA OUEDRAOGO, NAGEUSE : « On ne peut pas du jour au lendemain, demander une médaille olympique à un athlète »

ANGELIKA SITA OUEDRAOGO, NAGEUSE : « On ne peut pas du jour au lendemain, demander une médaille olympique à un athlète »


Aux Jeux olympiques 2016 de Rio au Brésil, elle n’a pas réalisé l’exploit aux 50 m nage libre. Pourtant, Angelika Sita Ouédraogo, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, se dit satisfaite. La raison de cette satisfaction, explique la championne du Burkina depuis des années, c’est d’avoir amélioré sa performance en descendant sous la barre des 30 secondes. De retour au pays, nous avons rencontré cette jeune étudiante de 22 ans, titulaire d’une licence en génie électrique et énergétique de l’Institut international d’ingénierie, de l’eau et de l’assainissement (2IE), et dont l’ambition est de ramener avant la fin de sa carrière, une médaille olympique au Burkina. Pour y parvenir, Angelika Sita Ouédraogo, qui a connu ses premières olympiades aux J.O de Londres 2012, confie qu’il y a toute une planification à mettre en place dans le programme de travail. Au vu de ses performances, Angelika Sita Ouédraogo, qui a une bonne marge de progression, semble effectivement être un espoir de médaille pour le Burkina.

 

Le Pays : Quelle bilan pouvez-vous faire de la participation du Burkina et particulièrement de la vôtre aux JO de Rio ?

 

Angelika Sita Ouédraogo : Le Burkina était aux Jeux olympiques avec cinq athlètes, dont deux en natation, deux en athlétisme et un en judo. Pour ma compétition, je suis passée le 12 août à la troisième série pour les 50 m nage libre. Cela s’est bien passé parce que je me suis entraînée pour atteindre un objectif qui était d’améliorer mon temps et surtout d’aller sous la barre des trente secondes. Je le dis parce que sur quatre ans, j’ai travaillé à enlever trois secondes et j’ai pu le faire. C’est donc un résultat satisfaisant pour moi. Ceux qui connaissent le sport, comprendront qu’il est important d’évoluer pas à pas et avoir un projet sur plusieurs années afin d’obtenir une médaille. J’ai réalisé une performance de 29,44 secondes et c’est la première fois que je fais ce temps qui est le record du Burkina pour les filles sur 50 m nage libre. La meilleure nageuse à Rio a réalisé un temps de 24,43 secondes. Mon dernier temps reconnu, 30,74 secondes, est celui du championnat du monde en 2015. Au championnat d’Afrique de la zone 2 à Dakar au Sénégal, en fin mai dernier, j’avais réalisé un temps de 29,69 secondes. Donc, je suis contente même si je n’ai pas eu de médaille, parce que je suis sur un bon chemin.

 

Votre objectif au départ était-il donc d’améliorer votre temps ?

 

Mon objectif était d’avoir un bon rang mondial parce que lors des classements, c’est une fierté de voir son pays occuper une bonne position et personnellement, je veux faire partie des meilleures. C’est dans ce sens que je travaille pour pouvoir améliorer mon temps. Plus on améliore le temps, plus on a un bon rang. Et pourquoi ne pas viser par la suite une médaille, notamment l’or ? Quand je travaille, je fais de telle sorte que le temps réalisé lors de la dernière compétition, soit amélioré au cours de la prochaine compétition. C’est dans ce sens qu’à Rio, il était question pour moi de travailler à descendre sous la barre des trente secondes. Après l’avoir réussi, on se rend compte qu’on s’approche du record mondial et cela m’amène à être plus travailleuse et plus concentrée pour réaliser à chaque fois un nouveau record.

 

Comment peut-on vous classer sur le plan africain avec ce temps réalisé à Rio ?

 

On peut diviser l’Afrique en deux, avec la région ouest-africaine où nous avons un niveau similaire mais, à partir du moment où l’Afrique australe et la partie maghrébine s’y ajoutent, cela devient compliqué. Le Maghreb et l’Afrique du Sud sont des zones très développées en matière d’infrastructures. Je ne saurais me classer parce que je n’ai pas encore fait le championnat d’Afrique mais dans la zone 2, nous avons un bon classement avec au plus bas, le quatrième rang.

 

Pourquoi n’avez-vous pas encore pris part à un championnat d’Afrique et quand se déroulera le prochain ?

 

Je ne sais vraiment pas pourquoi. Certainement que cela est dû au problème de moyens financiers. Le prochain championnat d’Afrique est prévu ce mois de septembre en Afrique du Sud et je ne sais pas si le Burkina sera au rendez-vous mais, le président de la Fédération burkinabè de natation en a parlé sans que je ne sache ce qui va se passer.

 

Pensez-vous pouvoir y réaliser une bonne performance au cas où vous êtes de la partie et ramener une médaille ?

 

J’espère que nous y serons. Même si je n’ai jamais participé à cette compétition, je suis convaincue que je m’y sentirai mieux parce que l’événement se déroule en Afrique mais aussi, et cela est important, parce qu’il faut surtout commencer par le bas avant d’aller affronter les plus grands. Il serait bon de connaître le niveau africain et une compétition de plus, fait toujours du bien. Cela forge toujours les athlètes et c’est ainsi qu’on parvient à devenir grand. Si notre Etat pouvait nous aider à participer à ce genre de compétitions, ce serait bien. Ce sont des rencontres qu’il ne faut pas rater et pour le développement de notre discipline, il serait intéressant que le Burkina soit représenté en Afrique du Sud. C’est toute une chaîne que cette participation va améliorer et des jeunes seront de plus en plus attirés par la natation.

 

Quels sont les moyens qui avaient été mis à votre disposition pour préparer les J.O de Rio ?

 

J’avais obtenu une bourse olympique de la Solidarité olympic. Cette bourse a pris effet en septembre 2014 et j’avais demandé à l’avoir sur place au Burkina, puisque j’étais à l’école aux 2IE. Les cours étant chers, il m’était difficile de les abandonner pour aller dans un centre en France où je ne pouvais pas avoir la même formation et en plus, on y met beaucoup plus l’accent sur les entraînements que sur l’école. C’est une décision que j’ai prise en accord avec la fédération et les coaches. Cette bourse me permettait d’avoir un abonnement pour mes entraînements à la piscine, mes déplacements et mon alimentation. Je m’entraînais avec le coach Salfo Ilboudo dès que la bourse a pris effet mais, notre plus gros souci était de participer à différentes compétitions. Alors qu’il n’y en a pas au Burkina, ni dans les pays voisins, encore moins sur le continent. Donc, il fallait aller hors d’Afrique et cela était difficile, puisqu’il y avait beaucoup de paramètres qui entraient en ligne de compte, comme avoir un réseau pour être informé des compétitions, appartenir à un club, payer ses billets d’avion alors que la bourse ne prenait pas cela en compte. Il fallait résider, par exemple, en France ou aux Etats-Unis pour avoir un club qui puisse nous aider à avoir des compétitions.

 

Etiez-vous en possession de tous vos moyens avant d’aller à Rio ?

 

Avant d’aller à ce genre d’évènements, nous n’avons pas les mêmes sportifs que les grandes nations parce que chez nous, il y a tellement de choses à faire. Il faut gérer les affaires d’école et pour faire des papiers, cela vous prend beaucoup de temps et vous ratez vos entraînements. Dans le sport au Burkina, nous n’avons pas les mêmes faveurs et facilités que les footballeurs. Personnellement, j’ai rencontré des difficultés à réunir des documents parce que je voulais changer d’école et cela faisait que je ratais des entraînements alors qu’à ce niveau, c’est tout un programme de travail. Et dès qu’on est fatigué, cela décourage. C’est une raison qui fait que je veux changer d’école pour aller à l’extérieur, où je pourrais avoir un meilleur programme d’entraînement et surtout de compétitions qui constituent la base de succès d’un athlète. J’ai aussi une autre ambition pour mes études parce que je veux acquérir une autre expérience en apprenant de nouvelles méthodes pour les adapter à mon pays. J’ai eu une école en Allemagne et je suis toujours en procédure de demande de visa puisqu’avec les J.O de Rio, je n’ai pas eu le temps de tout faire.

 

Avez-vous rencontré des difficultés particulières à Rio ?

 

Non, pas tellement. Lorsque notre délégation y est arrivée, elle a été installée au village olympique où tout était disponible. Au départ, il a été constaté quelques soucis d’installations dans les appartements mais, à notre arrivée, tout était fin prêt.

 

Comment expliquez-vous le fait que le Burkina n’ait pas encore pu obtenir une médaille depuis que le pays participe aux jeux olympiques ?

 

Il faut savoir que c’est une préparation qui se fait sur plusieurs années. Mais, il est important d’identifier les disciplines susceptibles d’avoir des médailles, voir dans quels domaines nos sportifs ont d’énormes qualités et mettre en place un programme avec des participations aux compétitions continentales et internationales. Ainsi, on travaille à avancer le plus loin possible et après, on essaie de viser l’or. Je sais qu’il y a des pays qui préparent leurs équipes sur dix ou douze ans. On ne peut pas du jour au lendemain demander une médaille olympique à un athlète. Il faut miser sur les athlètes à travers un programme avec des experts, un financement et un suivi technique. Pour ce qui est de la natation par exemple, il faut que le niveau soit très bon au niveau du pays avec de bons nageurs. Je rappelle que nous avons suivi à Ouagadougou une formation dirigée par une experte du Comité international olympique (CIO). Elle nous a fait savoir qu’il faut au moins dix mille heures d’entraînement sur quatre années pour espérer avoir une médaille olympique et ce n’est même pas sûr. Ce qui veut dire qu’il faut bien s’entraîner, avoir un coach pour l’entraînement, un autre pour les exercices physiques, un médecin pour un suivi médical et aussi avoir un suivi pour la nutrition qui est un aspect très important dans la natation. Un nageur qui n’a pas tous les éléments nécessaires dans le corps, ne peut pas s’entraîner et faire les efforts que le coach lui demande. En plus, l’entourage ou la famille est aussi un autre aspect important, puisqu’il faut que celle-ci comprenne ce que vous faites. Un médecin que j’ai rencontré me disait qu’il ne faut pas subir les entraînements sinon, il n’y a pas de résultats. Si des footballeurs s’en sortent, c’est parce que ceux qui sont dans les centres de formation, ont une école pour étudier et des heures d’entraînement. Et je suis convaincue que cette école n’est pas aussi stressante que l’école normale. En somme, il y a beaucoup plus de facilités pour les footballeurs dans nos pays. Et les gens doivent savoir que le sportif n’a pas souvent besoin d’argent mais que l’on reconnaisse qu’il fait des efforts. 2020 se prépare maintenant.

 

Comment avez-vous vécu votre première expérience aux J.O de Londres en 2012 ?

 

Ce fut une très belle expérience mais en même temps, une année très difficile pour moi, parce que je passais le Bac D. L’Université ne sait pas que l’élève que je suis, s’entraîne pour les jeux olympiques. Donc, en plus de cela, il faut bosser dur. Pendant cette période, j’ai fait un seul trimestre de cours à Ouagadougou où je fréquentais avant d’aller en France. J’y ai passé six mois pour préparer les J.O et je n’allais pas à l’école. Depuis la France, je recevais les photocopies des cours et je suis revenue à Ouagadougou prendre part aux épreuves de l’EPS (Education physique et sportive), parce que j’étais convaincue que j’allais obtenir la note de 20 avant de repartir. J’ai fait un autre retour sur Ouaga pour l’épreuve écrite du Bac et c’était difficile mais, il n’est jamais venu dans ma tête l’idée d’abandonner. Je me suis dit que tout était possible. C’est ainsi que j’ai composé les épreuves et je fus admise pour le second tour. Les résultats dudit tour devaient sortir à 17h30 alors que mon départ pour la France était prévu pour 22h le même jour. J’ai été admise et même si c’était un ouf de soulagement, cela était frustrant pour ma famille et moi, parce que mon Bac était en danger pendant que je me préparais pour les J.O. C’était un miracle pour moi. A Londres, j’ai réalisé un temps de 32,19 secondes qui était un nouveau record personnel et je savais que je pouvais faire mieux mais, ce fut une année difficile. C’était une nouvelle expérience pour moi, parce que je ne savais pas que la compétition était grandiose avec autant d’athlètes et qu’il fallait la préparer pendant des années.

 

Serez-vous de la partie pour les J.O de Tokyo 2020 ?

 

Je pense que j’y serai parce que Tokyo est là où je compte réaliser quelque chose. C’est comme en 2012, après mon Bac, je voulais aller dans une autre université que 2IE, avoir un club et de bonnes conditions d’entraînement. Au niveau où nous sommes, il faut avoir des infrastructures, une piscine adaptée et un suivi médical. Je ne vois pas comment on pourrait battre des nageurs qui ont des piscines de 50 mètres et nagent peut-être huit kilomètres par jour. On peut nager ainsi mais, il faut avoir les moyens de récupérer pour répéter cela à chaque fois et donner le meilleur de soi. Ce n’est pas sorcier. Si vous n’avez pas tout ça et que vous vous rendez à la compétition, à la moitié de la piscine, vous allez commencer à ressentir la fatigue au moment où vos adversaires, qui ont ces moyens, décideront de faire la différence.

 

Qu’est-ce que vous auriez aimé dire que nous n’avons pas pu aborder ?

 

Mon plus grand souhait est que la natation se développe et j’aimerais que nous ayons une très bonne relève. Me concernant, je travaille à améliorer mon temps. Je voudrais être battue ici au pays par une nageuse burkinabè. Une personne qui va s’entraîner, se réveiller et me dire, « je veux te battre ». Que cette personne y parvienne et fasse un temps meilleur que le mien, parce que la manière dont j’aime la natation, ce n’est pas pour y rester pendant longtemps. Je voudrais que dès que nous arrivons à un championnat du monde et que les uns et les autres, voient le nom « Burkina Faso » sur nos survêtements, qu’ils sachent qu’il y a quelqu’un qui nage tellement vite et bien. Et que tout le monde respecte cette personne et son pays. J’aimerais qu’on voit le drapeau de mon pays flotter, que l’hymne national retentisse dans un complexe de la natation lors d’évènements mondiaux. Pour que nous soyons un pays reconnu parce que nous travaillons dur. Nous devons tous faire plus et s’il y a des bonnes volontés en mesure de nous aider, qu’elles le fassent parce que ce que nous faisons, n’est pas inutile.

 

Propos recueillis par Antoine BATIONO

 

 

 


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