ASSISES NATIONALES SUR LA JUSTICE AU SENEGAL : Pourvu que les conclusions ne dorment pas dans les tiroirs
Ouvertes le 28 mai dernier, les assises nationales sur la Justice, ont pris fin le 4 juin, au Sénégal où les participants issus de milieux divers allant de spécialistes du droit à des responsables d’associations en passant par d’anciens prisonniers, se sont penchés sur le secteur pour identifier les dysfonctionnements à l’effet de faire des propositions d’améliorations. Des concertations voulues par le chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye, qui les a appelées de tous ses vœux dès son premier discours après son élection, et qui n’a pas mis du temps à tenir sa promesse de campagne. Comment pouvait-il en être autrement quand on voit comment l’ex-détenu passé de la prison au palais de la République et ses compagnons de l’opposition d’alors, ont souffert le martyre d’une Justice accusée, à tort ou à raison, de jouer le jeu du pouvoir de Macky Sall visant à les écarter de la course à la présidentielle ? C’est dire combien le chef de l’Etat sénégalais à l’initiative de ces assises, est bien placé pour juger de leur opportunité. Et c’était l’occasion pour le troisième pouvoir, de se regarder dans la glace à l’effet de procéder à un diagnostic sans complaisance du secteur. Cela est d’autant plus nécessaire que l’objectif visé est la consolidation de l’Etat de droit.
Le tableau de la Justice sénégalaise est loin d’être totalement sombre
Et la Justice, comme on le sait, est un des piliers de la démocratie. Toujours est-il que pour un pays comme le Sénégal, soucieux de préserver son image de phare de la démocratie sur le continent noir, une Justice équitable est un bon signal aussi bien à l’intérieur du pays, pour rassurer les citoyens et renforcer leur confiance en leurs institutions, qu’à l’extérieur pour attirer les investisseurs. Ceci étant, comparaison étant ici raison, si le Roi Salomon doit sa réputation à son sens aigu de la justice et de l’équité, on espère qu’en initiant ces assises nationales qui, on l’espère, consacreront l’indépendance de la Justice, les autorités sénégalaises s’obligeront aussi à en respecter les résolutions et à mettre un point d’honneur à les appliquer. C’est le principal défi pour le président Bassirou Diomaye Faye qui a promis de faire dans la rupture, et qui sera attendu au pied du mur des décisions de justice sensibles. D’autant que sous ses prédécesseurs, la Justice a souvent été accusée d’être aux ordres quand elle ne montrait pas des signes de fébrilité dans la prise de certaines décisions. C’est le lieu de rendre un hommage appuyé au Conseil constitutionnel sénégalais qui a fait honneur à son rang en portant la contradiction au président Macky Sall dans sa volonté de perturber le processus électoral ouvrant sa succession, à l’effet de prolonger indument son bail à la tête de l’Etat. Et cela, en prenant des décisions fortes qui resteront à jamais dans l’histoire dans un contexte global africain où la tendance de telles institutions judiciaires est à se mettre au service du prince régnant. C’est dire si le tableau de la Justice sénégalaise est loin d’être totalement sombre. Mais l’arbre des acquis ne doit pas cacher la forêt des insuffisances dans un pays où les citoyens ont clairement exprimé leur perte de confiance en leur justice.
La Justice sénégalaise doit opérer sa mue pour répondre aux attentes des Sénégalais
Une justice dénoncée comme étant à géométrie variable, et aussi sévère avec les pauvres et les démunis qu’elle peut se montrer clémente envers les riches et les forts du moment. Toujours est-il qu’entre surpopulation carcérale, lenteurs procédurières donnant parfois lieu à de longues périodes de détention préventive, déficit de personnel judiciaire, manque de matériel et de moyens financiers sur fond d’immixtion de l’Exécutif dans son fonctionnement, la Justice sénégalaise doit opérer sa mue pour répondre aux attentes des Sénégalais en ayant comme boussole l’équité et la qualité du service. C’est dans ce sens que sont attendues les réformes qui sortiront de ces concertations, à côté de la modernisation du secteur à travers la numérisation de certains services, qui est l’autre volet de ces assises nationales que le chef de l’Etat a souhaité dénuées de tout esprit revanchard à l’effet de « trouver ensemble des solutions » aux problèmes de la Justice à travers un « débat lucide ». En tout état de cause, l’importance de ces assises qui visent à « réconcilier la Justice avec le justiciable », n’est plus à démontrer. Cela dit, on ose espérer que les participants ont su transformer l’essai par la pertinence des recommandations, pour en faire des moments d’introspection aussi utiles à la nation que les changements espérés ne resteront pas des vœux pieux.
« Le Pays »