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AUDIT DE LA GESTION DE LA TRANSITION ET DE L’ATTRIBUTION DES PARCELLES: Trop de micmacs, à en croire l’ASCE-LC


Le 28 décembre 2015, à la fin de son mandat et de celui de son gouvernement, l’ex-Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, écrivait une lettre à l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC), dans laquelle il demandait un audit de la gestion de la Transition. Dès leur prise du pouvoir, les nouvelles autorités ont réitéré cette demande. C’est ainsi que l’ASCE-LC a mobilisé 120 auditeurs et a mené l’enquête dans les différentes institutions, du 28 janvier au 31 mars 2016. Les résultats de cet audit ont été rendus publics au cours d’une conférence de presse tenue le 22 avril 2016 au siège de l’ASCE-LC, à Ouagadougou.

 

S’assurer que les marchés ont fait l’objet de planification appropriée, s’assurer que le processus de passation des marchés est conforme à la règlementation générale des marchés publics et des délégations de service public et s’assurer de la bonne exécution physique et financière des marchés ; tels ont été les objectifs spécifiques poursuivis par l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) dans sa mission d’audit de la gestion de la Transition. Il s’est agi, pour elle, de manière globale, de mener, d’une part, des investigations sur la gestion financière et comptable du premier ministère, des départements ministériels, des institutions sous la Transition et de situer, le cas échéant, les responsabilités. D’autre part, l’ASCE-LC avait pour mission de vérifier les allégations sur des ventes de parcelles par la Société nationale d’aménagement des terrains urbains (SONATUR). Les résultats de ces investigations ont été rendus publics par domaine d’intervention le 22 avril dernier, au cours d’une conférence de presse. Sur la gestion de la Transition, les enquêtes ont concerné les domaines de la commande publique, des comptes de dépôt, des régies d’avance et caisses de menues dépenses ainsi que du carburant et des lubrifiants dans les structures concernées. Sur la commande publique, 348 contrats ont été passés par ententes directes ou par appel d’offres restreint. De ces ententes directes, selon le rapport de l’ASCE-LC, celle pour l’acquisition du carburant est autorisée par les textes. Toute chose qui amène le montant réel de la commande publique par les procédures exceptionnelles à 63 133 914 246 F CFA, soit 55,33% du montant total des commandes publiques passées sous la Transition. Ce taux, indique le rapport, est largement supérieur à la norme fixée par l’UEMOA qui est de 15%. Selon le rapport, plusieurs irrégularités entachent le processus de passation des marchés publics tant au niveau de la planification et la passation qu’au niveau de l’exécution financière. Le montant des irrégularités dans ces trois domaines est de 60 175 780 669 F CFA dont plus de 13 milliards pour la planification, plus 40 milliards pour la passation et plus de 6 milliards pour l’exécution financière. Pour la passation de la commande publique, l’autorité de contrôle a fustigé le non-respect des principes de la mise en concurrence, l’absence de lettre d’autorisation de la procédure de gré à gré par le ministre de l’Economie et des finances et l’absence de visa de la Direction générale du contrôle des marchés publics et des engagements financiers (DG-CMEF) sur les contrats. Dans le domaine des comptes de dépôt, 1 240 comptes ont fait l’objet de recensement par les contrôleurs. A ce niveau, on note une utilisation abusive, car leur utilisation a tendance à se substituer à la procédure normale d’exécution des dépenses.

 

Au titre du Premier ministère, 1 736 662 503 F CFA ont fait l’objet d’opérations sous-tendues par des pièces justificatives irrégulières

 

Le montant total des dépenses contrôlées s’élève à 192 198 051 402 F CFA. Parmi ces dépenses, quelques-unes sont frappées d’irrégularité et d’autres qualifiées de dépenses inéligibles par les contrôleurs. 5 375 091 143 F CFA, c’est le montant des dépenses irrégulières découvertes par les contrôleurs. A titre d’exemple, les contrôleurs ont relevé qu’au titre du Premier ministère, 1 736 662 503 F CFA ont fait l’objet d’opérations sous-tendues par des pièces justificatives irrégulières ou sans pièces justificatives. Au titre du ministère en charge de la Sécurité, ce sont 2 472 634 168 F CFA qui sont concernés par ces opérations irrégulières. La situation est aussi similaire au niveau des régies d’avances. 484 948 127 F CFA constituent des dépenses irrégulières dont 30 997 759 F CFA de dépenses inéligibles et 160 818 489 F CFA de dépenses exécutées en dépassement de seuil autorisé. Seules les caisses de menues dépenses n’ont pas connu de dépenses irrégulières. D’ailleurs, relève le rapport, ces caisses ne sont pas fonctionnelles par manque d’approvisionnements. Quid de la gestion du carburant ? Sur une consommation de 7 601 914 701 F CFA, une consommation d’un montant de 632 847 256 F CFA est irrégulière. Le montant le plus élevé de ces consommations irrégulières concerne le MEF, avec une somme de 570 055 000 F CFA dépensée. Mais, toute cette situation pourrait, selon le rapport, trouver son origine dans le manque de textes et de rigueur dans la gestion de la chose publique. Sur la proportion exagérée de la commande publique, l’ASCE-LC pense que cela est dû au contexte exceptionnel de la Transition, caractérisé par une forte demande sociale. Mais, selon elle, cette situation a pour conséquence des risques élevés de collusion, de corruption, d’enrichissement illicite et de gaspillage des ressources budgétaires. Les recommandations pour éviter une telle situation pour l’ASCE-LC, c’est de travailler à rester dans les normes communautaires. En ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics, souligne le rapport, la plupart des irrégularités constatées sont dues au manque de rigueur. C’est pourquoi, dans le rapport, les contrôleurs ont invité les responsables des départements ministériels à veiller au respect de la règlementation sur les achats publics. Il en est de même au niveau de la gestion des comptes de dépôts où le rapport indique que la rigueur dans la production des pièces justificatives de dépenses, le suivi et le contrôle des comptes ne sont pas bien observés. Le rapport invite donc les autorités à mettre en place une règlementation  appropriée en matière de gestion des comptes de dépôts.

 

« Sous la Transition, des efforts ont été faits dans le sens d’améliorer la gouvernance »

 

Quant au carburant, il n’existe aucun texte de portée générale pour réguler sa gestion. Cela pourrait donc expliquer les irrégularités constatées dans sa gestion. Pour éviter une telle situation, il est nécessaire, selon l’ASCE-LC, qu’un texte de portée générale soit adopté pour que la gestion soit assainie. « L’audit et les investigations montrent que sous la Transition, des efforts ont été faits dans le sens d’améliorer la gouvernance. Les irrégularités constatées existaient bien avant la Transition », pointe le rapport. Mais, l’administration publique peut encore mieux faire à travers, entre autres, la relecture des textes relatifs à la commande publique, l’encadrement strict des dépenses, la réduction du nombre des comptes de dépôts et l’élaboration d’une règlementation uniforme pour la gestion du carburant. Au-delà de l’audit de la gestion financière de la Transition, l’ASCE-LC a mené des investigations relatives aux allégations sur des ventes de parcelles par la SONATUR, à la demande du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Sur ce point, 7 allégations ont été relayées par la presse. Sur ces 7 allégations, 6 se sont avérées après l’enquête des contrôleurs. Seule l’allégation concernant la vente du terrain situé en face de la salle de conférence de Ouaga 2000, n’est pas avérée. « Ledit terrain est une propriété de la présidence du Faso et le demeure », précise le rapport. Mais, le rapport confirma, par ailleurs, le retrait d’une parcelle acquise en 2008 par un « Baron » de la Transition. Le « Baron » dont il est question, est bel et bien l’ex-Premier ministre, Yacouba Isaac Zida. La parcelle d’une superficie de 7462 m2 lui a été retirée en 2008 au profit d’une société SENI qui n’a soldé la somme due que le 30 avril 2015, largement hors du délai imparti. L’attribution d’une parcelle de 7848 m2 au prix de 8000 F CFA à Rehanata Stéphanie Kaboré, épouse de l’ancien Premier ministre, a été vérifiée et confirmée par les contrôleurs. Ladite parcelle est située côté Nord-Ouest du monument des martyrs et non en face de l’ambassade des USA. Par contre, le morcèlement d’un terrain d’une superficie de 50 000 m2 situé en face de ladite ambassade, s’est avéré. L’espace initialement constitué de 2 grands lots, a été fusionné puis réaménagé en 3 réserves foncières, 1 espace vert et 3 lots de 52 parcelles par la SONATUR, sans respecter les dispositions du code de l’urbanisme. Sur les 3 lots de 52 parcelles, 18 attributions ont été faites au profit de certains membres du gouvernement, des membres de leur famille et de deux autres personnes. « Aucun leader d’OSC n’a été attributaire de parcelle dans cette zone », est-il mentionné dans le rapport. Toutefois, dans la zone A, section 290 (B), lot 4, des membres du gouvernement, des membres de leur famille, un fonctionnaire international et un leader d’OSC ont été attributaires de parcelles.

 

« Un régime de faveur a été accordé à certaines autorités dont l’ex-Premier ministre »

 

« Le leader d’OSC en question est Fousséni Ouédraogo, le directeur exécutif de la Fondation Zida », a indiqué le contrôleur général de l’Etat, Luc Marius Ibriga. Me Guy Hervé Kam, lui aussi leader d’OSC et son épouse, Sonia Kam/Tiendrébéogo, ont effectivement été attributaires de parcelles. Mais, lesdites parcelles été attribuées en 2010 et non sous la Transition. La dernière allégation concerne l’attribution de la parcelle N°00 du lot 085 de la section CD de la zone B5 du site A d’une superficie de 18 993 m2 à la Fondation Zida pour le Burkindi. Selon l’ASCE-LC, cette allégation s’est avérée. « Le 14 décembre 2015, la fondation a été attributaire de 2 parcelles jumelées respectivement de 2 350 et 2 369 m2 dans un lot de 8 parcelles. Ces deux parcelles ont fait l’objet de paiement d’acompte de 15 161 600 F CFA chacune. Par la suite, les 2 parcelles ont été fusionnées avec les 6 autres pour obtenir les 18 993 m2 attribués à la fondation », explique le rapport. Au terme de la vérification de toutes ces allégations, l’ASCE-LC a estimé que la gestion de l’attribution des parcelles est entachée d’un manque d’éthique, d’équité, d’impartialité et de transparence. « Des faveurs, sans base légale, sont accordées aux membres du personnel de la SONATUR à travers la vente de plusieurs parcelles pour certains d’entre eux. Un régime de faveur a été accordé à certaines autorités dont l’ex-Premier ministre et certains membres du gouvernement et membres de leurs familles attributaires de parcelles en décembre 2015 », fustige le rapport. Cet état des faits est, selon le rapport, imputable, en premier, à l’ancien directeur général de la SONATUR, ensuite, à la directrice commerciale qui, en raison de la non mise en place effective des deux commissions d’attribution et de retrait, procède toute seule à la proposition des parcelles, à la notification des frais et au retrait des parcelles. Enfin, pour l’ASCE-LC, le directeur technique en est aussi responsable, pour la fusion et le morcèlement des parcelles sans respect des dispositions édictées par le code de l’urbanisme. Contre cette mauvaise gestion dont a fait montre la SONATUR dans les attributions et ventes de parcelles, l’ASCE-LC recommande la suspension de celles-ci en vue d’un audit plus approfondi et l’ouverture d’une enquête sur l’existence éventuelle d’un réseau parallèle de vente de parcelles.

 

Adama SIGUE

 

 

Luc Marius Ibriga lance un appel aux autorités sur les moyens de fonctionnement de l’ASCE-LC

 

« Si les moyens ne sont pas réunis, on ne peut pas lutter efficacement contre la corruption »

 

« Chaque fois qu’il y a une mission commandée, nous faisons le budget et le déblocage est fait. Mais cette fois-ci, nous avons fait le budget et envoyé ; nous avons conduit la mission sans avoir eu de retour. Tous les contrôleurs d’Etat ont fait les missions et jusqu’à ce jour, ils n’ont pas reçu un centime des frais qui devraient leur être alloués. La question de moyens pour l’ASCE-LC est essentielle. La corruption favorise le détournement d’importantes sommes d’argent et au niveau de ceux qui sont chargés de faire l’enquête, il faut une certaine autonomie pour éviter de tomber dans le piège de la corruption. L’année dernière, le fonds de l’ASCE-LC était de 252 millions F CFA en dehors des missions commandées. Les 252 millions n’ont pas suffi et il a fallu une rallonge de 75 millions F CFA. Cette année, nous passons à 109 millions de F CFA. Nous avons attiré l’attention alors que dans la loi 082-2015 portant organisation de l’ASCE-LC, il est dit que le budget minimum qui doit être remis à l’ASCE-LC doit représenter 0,1% du budget national. Car, si les moyens ne sont pas réunis, on ne peut pas lutter efficacement contre la corruption. Même si la volonté est affichée dans le discours, il faut qu’elle soit matérialisée dans les faits ».

 

 

 

Le schéma de contrôle de l’ASCE-LC

 

Deux types de structures à contrôler et quatre domaines d’audit ont été définis. Les structures auditées sont : le Premier ministère et les départements ministériels notamment les DAAF/DAF, le Programme spécial d’urgence de la Transition (PSUT) et la commission de réconciliation nationale et des réformes (CRNR). Les domaines audités :

– La commande publique des structures concernées

– Comptes de dépôt des structures concernées

– Régies d’avance et caisses de menues dépenses des structures concernées

– Carburant et lubrifiants gérés par les structures concernées.

 

Le champ temporel de la mission : contrôle de la gestion du gouvernement de la Transition au cours de l’année 2015 (1er janvier 2015 au 28 décembre 2015, date de démission du gouvernement de la Transition).

Le champ géographique a concerné la ville de Ouagadougou. Le rapport présenté aux médias le 22 avril 2016 est la synthèse de 28 rapports produits par les équipes de vérification.

 

Source : Dossier de presse


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