HomeA la uneCONTROLE DU COUVRE-FEU A OUAGA : Trois heures chrono avec la police nationale

CONTROLE DU COUVRE-FEU A OUAGA : Trois heures chrono avec la police nationale


 

Le couvre-feu est toujours en vigueur au Burkina Faso. Il va de 1h à 4h du matin. Ce sont les Forces de sécurité qui sont chargées du contrôle du respect de cette mesure prise après le coup d’Etat du 16 septembre 2015. Nous avons suivi, dans la nuit du 6 au 7 novembre, des unités de la Police nationale pour voir comment le couvre-feu est respecté.

Vendredi 6 novembre, 23h. Notre équipe de reportage quitte le siège du journal pour la Direction générale de la Police nationale, lieu du rendez-vous. Apparemment, nous sommes arrivés plus tôt puisque les patrouilles ne partiront qu’à 1h du matin. Un petit calcul et nous nous rendons compte que près de deux heures nous séparent de l’heure de départ et qu’il nous faudra poireauter. Mais dans les faits, nous n’allons pas nous ennuyer. Le commissaire Abdoulaye Bélem, commandant de la Brigade anti-criminalité (BAC), en plus d’être là pour donner les consignes aux « éléments », se prêtera volontiers à certaines de nos questions. Il nous explique que la mission de cette nuit poursuit trois objectifs : assurer le respect du couvre-feu, sécuriser la ville et enfin sensibiliser les indélicats. Nous sommes là pour voir l’opérationnalisation du premier des objectifs. Mais la mission étant transversale, nous aurons l’occasion de constater ce qui se passe pour les deux autres. Pour nous, un régal en perspective s’il en est ! Cette nuit, trois unités d’intervention sont à la manœuvre : la Compagnie républicaine de sécurité (CRS), la Brigade anti-criminalité (BAC) et l’Unité d’intervention polyvalente (UIP). Chaque unité déploie deux équipes d’intervention, soit  au total six équipes pour sillonner la capitale, en particulier dans sa partie sud.

A quelques minutes de l’heure d’entrée en vigueur du couvre-feu, des pick-up arrivent à la Direction générale  de la police. Ils s’immobilisent à l’arrière-cour. Au même moment, le commandant Bélem, au téléphone, s’affaire à trouver à notre équipe de reportage un véhicule et du matériel de protection, notamment des gilets pare-balles. Le véhicule ne tarde pas à arriver, conduit par l’affable agent de police, Sia Abéro Sofini, qui sera notre chauffeur tout au long de la patrouille. Quant aux gilets pare-balles, nous n’aurons pas le temps d’en disposer. Cela dit, le véhicule mis à notre disposition nous met à l’abri du froid, du vent et de la poussière. Notre préoccupation est d’ailleurs que Dieu nous préserve de tout danger qui nécessitera le port du gilet pare-balles ! L’officier Boureima Gansonré de la Direction de la communication va nous passer le sien pour apprécier. Les gilets pèsent environ 16kg et il n’est pas donné à n’importe qui d’en porter et de pouvoir se déplacer allègrement avec.

00h53, le couvre-feu commence dans 7 minutes. L’officier de police Ousmane Tapsoba de l’UIP est désigné comme le chef de la mission du jour. Les « éléments » sont convoqués au rassemblement. Le chef rappelle les consignes. Le cérémonial dure tout au plus 4 minutes.  A 00 heure 57, un premier pick-up démarre et prend la direction du Rond-point des Nations unies. A ce moment, nous sommes à côté de « notre »   véhicule. Le couvre-feu, c’est maintenant dans trois minutes. Des automobilistes, des motocyclistes et des cyclistes continuent de circuler, la plupart à vivre allure. Courent-ils pour se mettre vite à l’abri. A 00h59, tous les véhicules des policiers partent ; le nôtre aussi. Nous suivons l’équipe dirigée par l’agent de police Alexis Yaméogo, de la compagnie Ouaga sud. Au Rond-point des Nations unies, le chrono du couvre-feu  tourne déjà. A 01h01, alors que nous venons d’emprunter la plus belle avenue de Ouaga, la célèbre Kwamé Nkrumah, nous croisons un taxi en maraude, venant en sens inverse. Mais bon, ce n’est que le début.  Son conducteur ne sera pas inquiété. Après lui, un cycliste avance vers nous comme s’il avait l’air de ne pas se soucier du pick-up « rempli » d’éléments armés. « Les gens continuent de circuler », nous fait remarquer un policier, qui était jusque là resté atone dans notre véhicule. Les deux véhicules continuent d’avancer lentement. Sia notre chauffeur, capte la radio Ouaga FM ; c’est la rediffusion de l’émission « Affairage ». L’intervention d’un auditeur nous fait tous sourire : il demande la levée du couvre-feu. Au niveau de la station Total de l’avenue, un mécanicien est toujours là, son matériel de travail, l’essence qu’il vend en bouteilles aussi.  Il est prié de ranger et de quitter les lieux le plus vite possible. Visiblement apeuré, il hâte le pas. Nous continuons notre randonnée nocturne. A chaque arrêt, des « éléments » créent le plus rapidement possible un périmètre de sécurité. Visiblement, il y a des récalcitrants sur cette avenue Kwamé Nkrumah puisque plusieurs individus sont interpellés seulement quinze minutes après l’entrée en vigueur du couvre-feu. Et comme il fallait s’y attendre, chacun avance une raison. Comme ces trois individus qui disent être des vigiles. Les policiers n’y croient pas. Derrière nous, un véhicule ayant aperçu les policiers au loin, ne prend pas de risque. Brusque embardée ! Il dévie de sa trajectoire. Une moto arrive, enfourchée par trois personnes dont un garçonnet. Eux, invoquent un problème de santé. Ensuite une autre moto. Le conducteur est contraint de s’arrêter: il dit qu’il est hôtelier et qu’il vient juste de descendre du boulot. Il dit n’avoir pas le choix et que la faute revient plutôt à ses patrons. De sa poche, il sort un billet neuf de 1000 F CFA; c’est tout ce qu’il a gagné durant toute sa pénible journée de travail. Il tente de négocier. Face à l’indifférence de ses interlocuteurs, il demande pardon et supplie de le libérer. L’agent Alexis et ses hommes le verbalisent et le laissent partir. Toute personne interpellée doit impérativement présenter ses pièces ; les noctambules détalent à la vue des policiers.

De Kwamé Nkrumah à Kamsonghin

Après la plus belle avenue de la capitale qui s’est vidée de son monde, couvre-feu oblige, nous prenons la route menant au quartier Kamsonghin, en passant par la ZACA. A la ZACA, ce lieu de prédilection des prostituées et autres délinquants.  Dans la pénombre, on ne voit que des silhouettes qui disparaissent aussitôt, sans doute embarquées par des clients. A l’entrée du quartier, les policiers aperçoivent un véhicule. Le conducteur en descend et présente ses papiers. Il explique que sa maman est malade et hospitalisée dans une clinique. Pendant qu’une partie des « éléments » échangent avec le conducteur, d’autres noctambules démarrent en trombe. Des “maquisards” comme on les appelle, qui s’enfuient. L’un d’entre eux n’a pas eu de chance. Devant le policier, il explique qu’il revient du service ; précisément du Conseil national de la Transition où il a conduit son patron. Du CNT au maquis pour justifier le non-respect du couvre-feu, ça fait bizarre! L’homme botte en touche en disant qu’il a demandé un laissez-passer à ses supérieurs et que le document n’est pas encore disponible. Comme les autres malchanceux de cette nuit, il sollicite la clémence des policiers qui se montrent gentils. Il est 1h25.

Au cœur de Kamsonghin, la patrouille tombe sur un boucher. Au moins cinq autres individus sont avec lui. Les policiers exigent à voir leurs pièces d’identité. Apparemment, presque tous n’en ont pas. Leur comportement commence à irriter les éléments d’Alexis Yaméogo. En plus de ne pas posséder de pièces, ils se refusent à donner les raisons de leur présence en ces lieux à cette heure tardive de la nuit. Mis sous pression, le boucher se « hâte très lentement » pour ranger ses brochettes. A quelque 500 mètres de là, l’on constate un mouvement d’individus  en train de prendre la clé des champs. Au même moment, un individu s’approche de nous. Deux policiers vont  à sa rencontre. Ils lui exigent ses pièces d’identité qu’il a du mal à enlever de sa poche. Visiblement dans les vapes comme on les appelle couramment, il dit aux policiers qu’il est en train d’aller acheter des médicaments pour son enfant malade. « Et l’ordonnance ? » demande le policier. Aucune réponse. Alors il ne dit pas la vérité.

 1h45. La patrouille est sur le chemin de Cissin. Les journalistes se perdent dans l’identification des quartiers. Ils appellent leurs compagnons policiers à la rescousse. Des motocyclistes avancent vers nous. Ils stationnent. Ce sont des militaires qui se rendent à un décès. Les policiers leur présentent leurs condoléances. L’odyssée nocturne continue.  A 2h14, nous commençons à bailler. Le photographe somnole alors qu’il reste environ 2 heures pour finir le travail. La patrouille est dans une zone criminogène de Cissin. La route est mauvaise et les  deux véhicules avancent lentement. Nous  traversons une broussaille. La musique que joue Sia, notre chauffeur, nous fait oublier la peur qui nous a saisi à l’entrée de ce coin perdu. Après le tour, la patrouille revient au grand Rond-point de la Patte d’Oie. L’agent Alexis et ses hommes doivent marquer une pause. Il est 2h35. Nous faisons le point avec le « chef » avant de continuer. « Nous avons remarqué que de 1h à 1h30, le couvre-feu n’est pas respecté…Mais au fur et à mesure qu’on avance, on ne rencontre plus de monde».

Vite, à Pissy, on gère une situation

A 2h55, nous rejoignons l’équipe conduite par l’officier T. Victoire Sebgo. « Dans l’ensemble, le couvre-feu est respecté parce qu’on a constaté que les voies sont vides. Les personnes qui sont en circulation invoquent des cas de maladies et d’autres raisons tolérables », nous dira plus tard l’officier. Mais en attendant, son équipe doit gérer une situation. Dans la zone de Pissy, ils ont pourchassé et alpagué des voleurs de moutons. L’officier raconte : « Ce sont des présumés délinquants. Nous les avons aperçus et leur comportement a attiré notre attention. Une course-poursuite s’est engagée et en fin de compte, ils ont abandonné leur engin avec des sacs dont on ignorait le contenu. Dieu merci, on a pu interpeller l’un d’eux et on a découvert que les sacs contenaient des moutons. Deux étaient déjà morts. C’est un cas de flagrant délit ».  Dans une situation pareille, les suspects sont remis à l’office de police judiciaire. Alors, le délinquant est conduit en notre présence au commissariat de Police de Boulmiougou avant que l’équipe ne reprenne sa randonnée. C’est à  3h15 que la patrouille reprend la route. Il reste encore 45mn. Les paupières des reporters deviennent de plus en plus lourdes mais une accélération des véhicules va réveiller nos énergies assoupies. Une accélération due à  une fausse alerte : l’équipe pensait avoir affaire à d’autres oiseaux de nuit. A 4h00, nos véhicules stationnent à la base. L’UIP et la CRS arrivent aussi. Fin de la patrouille.  Conseil de l’officier Ousmane Tapsoba: « Ceux qui travaillent la nuit généralement, à leur descente, c’est mieux de ne pas traîner les pas. Il faut rentrer. On voit des gens qui descendent effectivement de service et qui veulent prendre quelques bouteilles de bière avant de rentrer. C’est mieux de rentrer immédiatement ».

Michel NANA

ENCADRE 1

 Il percute un poteau électrique en fuyant la police

 Selon l’officier de Police Ousmane Tapsoba, qui a conduit une équipe que nous n’avons malheureusement pas pu suivre, un automobiliste a tenté de fuir et a percuté un poteau électrique. « Un véhicule a démarré pour prendre la clé des champs. Nous l’avons poursuivi et il est allé heurter un poteau électrique. Il a abandonné son véhicule pour fuir mais on a pu le rattraper. On a vérifié mais son véhicule ne contenait rien de suspect. Ses papiers étaient en règle. En fait, il dit qu’il a pris peur et a essayé de fuir », a-t-il expliqué.

ENCADRE 2

Des hommes de tenue retraités à la manœuvre

Pris en chasse par la police, les présumés délinquants qui ont volé les moutons, ont abandonné leurs engins et butins pour s’enfuir. Pour les stopper, la police a dû procéder à des tirs de sommation. Un policier à la retraite témoigne : « J’ai entendu le coup de feu ; en même temps, j’ai senti que quelqu’un a enjambé le mur de ma cour. Je me suis levé, me suis habillé et j’ai pris mon arme.  Mais je ne savais pas que la personne était poursuivie par la police. J’ai fait le tour de la maison. Le délinquant m’a vu et a pris le mur de la cour de mon voisin. J’ai tiré un coup de feu. C’est là qu’on l’a saisi et il a expliqué qu’il est pourchassé à cause du couvre-feu.  Au dehors, j’ai vu que c’était la police qui le pourchassait. On est reparti avec un des éléments pour l’arrêter mais il avait réussi à fuir ». Au moment où nous échangions avec Ouattara, un militaire retraité arrive, pistolet en main. Il nous rassure que le délinquant ne va pas s’échapper.


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