COUP D’ETAT MANQUE DU 16 SEPTEMBRE : La nation rend hommage à ses martyrs
Le coup d’Etat perpétré le 16 septembre 2015 par le Conseil national pour la démocratie (CND) a fait des victimes. Le peuple burkinabè, dans sa lutte pour la liberté et la démocratie, a consenti l’ultime sacrifice pour faire barrage à l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Les fils et filles tombés lors de la résistance ont été honorés le 9 octobre dernier à la Place de la révolution de Ouagadougou. Après l’hommage de la nation aux 12 personnes décédées selon les chiffres officiels, ce sont 10 martyrs qui ont été inhumés au cimetière municipal de Gounghin.
« Dieu a donné, Dieu a repris », dit un dicton africain pour traduire le passage de la vie sur terre à l’au-delà. Tous autant que nous sommes, nous y passerons. Mais la question qui se pose est celle de savoir dans quelles conditions ? Eux, ils ont été arrachés à la vie parce qu’à mains nues, ils ont dit non à la forfaiture opérée le 16 septembre 2015 par le Conseil national pour la démocratie (CND). Et sous la furie des éléments de l’ex-RSP, ils ont reçu des balles et en sont morts. Les martyrs du putsch manqué du 16 septembre 2015, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, ont donc payé le prix fort pour que le Burkina continue sa marche sur le chemin de la démocratie et que ses fils et filles retrouvent la liberté. C’est pourquoi, la Nation entière a voulu, le 9 octobre dernier, à la Place de la révolution, leur rendre les hommages mérités avant de les conduire à leur dernière demeure. A 7h déjà, la foule a commencé à converger vers la mythique Place de la révolution qui, une heure après, grouillait de monde. Peu à peu, les parents des victimes, les invités et les autorités de la Transition prennent place. Mais l’arrivée de certaines personnalités ne passera pas inaperçue. Il s’agit d’abord de l’ancien ministre Auguste Denise Barry qui a été acclamé à son arrivée. Tout comme lui, le président du Conseil national de la transition (CNT), Chérif Sy, le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, et le président de la Transition, Michel Kafando, ont tour à tour reçu les applaudissements de la foule pendant qu’ils se dirigeaient vers la tribune officielle. Une autre présence remarquée a été celle des leaders de partis politiques. A l’arrivée des dépouilles mortelles, à 10h 03mn, la foule, debout comme un seul homme, les a accueillies dans la consternation.
« Justice, justice et justice »
1, 2, 3, … 10 ! 10, c’est le nombre de cercueils, photos des victimes à l’appui, sur lesquels se sont recueillis les officiels, parents, amis, connaissances et anonymes. Mais auparavant, des prières œcuméniques ont été dites par les différents aumôniers afin que la Terre désormais libre du Burkina leur soit légère. Tour à tour, ils ont appelé à l’apaisement des cœurs, à la culture de la tolérance, au bannissement de la haine, de la violence. Patrice Bazié, représentant les familles des victimes, qui a été fortement applaudi lors de son allocution, a demandé justice pour les martyrs. « Le plus grand hommage que l’on puisse rendre à ces martyrs, c’est de leur rendre d’abord la justice, ensuite la justice, et enfin la justice», a-t-il martelé avant de souhaiter que cette justice soit étendue à toutes les victimes, depuis l’assassinat de Thomas Sankara jusqu’à ce jour. « Rien de ce qu’on va faire ou lire comme discours ne pourra soulager ni les victimes, ni les parents des victimes, encore moins les ayants droit, si toutefois il n’y a pas un bon jugement et les coupables punis à la hauteur de leur forfait », a-t-il laissé entendre. Par ailleurs, Patrice Bazié a invité les autorités présentes et celles à venir à œuvrer afin qu’aucun Burkinabè ne tombe encore sous les balles assassines de dirigeants aux intérêts égoïstes. « Plus jamais on ne doit tuer un fils ou une fille de ce pays, parce qu’un dirigeant a la boulimie ou la folie du pouvoir », a-t-il lancé. Pour sa part, le gouvernement de la Transition s’est voulu rassurant.
Un lourd silence au cimetière de Gounghin
Le Gouvernement, par la voix de son représentant, Issouf Ouattara, a d’abord rendu hommage à tous ceux qui sont tombés pour la liberté, la démocratie et la paix au Burkina avant de promettre que justice sera rendue. Place a ensuite été faite au recueillement sur les cercueils des victimes. L’émotion était vive. Le désarroi et la douleur se lisaient sur les visages des parents. Cette étape a mis fin à la cérémonie d’hommage. Les cercueils, repositionnés sur le porte-char avec pour direction le cimetière municipal de Gounghin. Ils étaient des centaines ceux qui, à pied, chantaient l’hymne national et scandaient justice, accompagnant le porte-char de la Place de la révolution au cimetière. C’est une foule immense qui était encore là pour dire adieu aux martyrs. C’est dans un lourd silence que le ministre en charge de la Communication, Frédéric Nikiéma, a lu l’oraison funèbre. « Devant les familles endeuillées et la Nation entière, devant ces cercueils recouverts du drapeau national, je m’incline très respectueusement pour honorer la mémoire des filles et fils qui ont fait le sacrifice de leur vie pour libérer leur pays… je pense à cette mère dont les larmes du cœur enlèvent toute envie de vivre et qui se dit, pourquoi mon enfant et pas moi ? Je pense à leurs frères et sœurs restés impuissants devant la mort et qui sont en ce moment déchirés au plus profond d’eux-mêmes. Je pense à leurs amis qui ont tout essayé pour les garder en vie parce qu’ils avaient des projets en commun », a-t-il laissé entendre avant de conclure que « le sorcier oublie toujours, mais les parents de la victime n’oublient jamais ». A l’issue de cet acte, les héros ont été conduit à leur dernière demeure et pendant qu’on enterrait les corps, des voix s’élevèrent encore une fois pour demander justice pour ces martyrs, pour Thomas Sankara, pour Dabo Boukary, pour Salifou Nébié…
Adama SIGUE et Colette DRABO
Des parents de victimes témoignent
Mme Djénéba, belle-sœur de Salfo Yelnongo, une des victimes
Ils sont venus nous dire qu’il a reçu 4 balles pendant qu’il était en circulation. C’est une situation très difficile que nous traversons. Nous demandons aux autorités de la transition de faire en sorte que justice soit rendue aux victimes innocentes.
Seydou Barry, cousin de Nouhoun Barry, une des victimes
J’ai reçu un appel disant qu’il a été abattu et qu’il baignait dans son sang. Il a été abattu froidement dans le dos. Il laisse derrière lui 4 enfants et ce que nous attendons des autorités c’est que justice soit rendue. Je remercie également toute la nation burkinabè qui s’est mobilisée pour nous soutenir en ces jours difficiles.
Propos recueillis à l’issue de la cérémonie
Tahirou Barry, président du PAREN
« C’est un jour douloureux, où les cœurs saignent. Nous sommes venus rendre hommage à nos martyrs et témoigner notre reconnaissance à tous ceux qui ont osé affronter les balles pour sauver la République, faire verser leur sang pour sauver la démocratie, la liberté. Nous tenons à leur dire que leur combat ne sera pas vain et que les valeurs qu’ils ont défendues ne seront jamais trahies. Nous veillerons à ce que toute la lumière soit faite sur tous les crimes perpétrés dans ce pays et que les auteurs répondent à la hauteur de leur forfait. C’est une véritable aspiration du peuple et nul n’aura le droit de s’y dérober ».
Yacouba Issac Zida, Premier ministre
« Je dois d’abord dire que c’est véritablement triste de voir ces dix corps, des personnes qui sont sorties et qui n’ont eu d’autre péché que celui de réclamer leur droit à la liberté, à la justice, et qui ont été froidement assassinées par la méchanceté de gens assoiffés de pouvoir. La nation tout entière est sortie pour leur rendre un vibrant hommage et leur dire qu’ils sont morts pour que nous puissions avoir plus de liberté dans tous les sens du terme. Je me souviens que lorsqu’ils tombaient, j’étais moi-même entre quatre murs. Nous avons entendu le message de la population et effectivement après l’hommage de la nation, le gouvernement a également décrété un deuil de 3 jours à compter d’aujourd’hui (NDLR : vendredi 9 octobre). La dernière chose que nous ferons pour ces victimes sera de leur rendre justice et je puis vous assurer que le gouvernement a déjà commencé à travailler pour que justice soit rendue dans toute sa rigueur, afin que l’on puisse comprendre que l’on ne peut pas, de façon impunie, s’acharner sur les enfants du peuple de cette manière-là. Je renouvelle les condoléances et la compassion du gouvernement et de toute la nation aux proches des victimes et leur dis que nous souffrons, nous pleurons avec eux et que nous n’oublierons jamais le sacrifice de leurs enfants »
Roch Marc Christian Kaboré, président du MPP
« …Ils sont morts pour la démocratie et cela est un enseignement pour tout le monde ; que la démocratie est une quête permanente et que nous ne devons jamais dormir sur nos lauriers. Je crois que c’est un bel exemple qu’ils nous ont donné et je voudrais simplement dire, comme nous le disons dans l’hymne national, que les Burkinabè sont prêts à mourir pour leur pays. Je crois que cela doit être entendu par tous aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur »
Laurent Moné, SG CAR
« Ce jour est un grand jour pour nous parce que nous avons accompagné nos martyrs à leur dernière demeure. Nous souhaitons que la Terre libre du Burkina Faso leur soit légère. Nous profitons de l’occasion pour leur rendre un vibrant hommage et dans le même temps dire que leur combat ne sera pas vain. Nous allons continuer de nous battre pour que leurs aspirations profondes soient prises en compte. Nous disons que, pour que leurs âmes puissent reposer en paix, il faut travailler de sorte à ce que leurs aspirations soient atteintes »
Chrysogone Zougmoré de la CCVC
«Nous venons d’accompagner les victimes à leur dernière demeure et également exprimer toute notre compassion et nos encouragements aux familles éplorées. Ce qui nous tient aujourd’hui à cœur, c’est que la vérité soit faite sur ces crimes et que justice se fasse. Au niveau de la Coalition contre la vie chère (CCVC), dès le 17 septembre, nous avons lancé un appel à la mobilisation et à la résistance parce que tout simplement nous sommes contre les coups d’Etat, contre les régimes d’exception et comme vous l’avez suivi, notre mot d’ordre a été largement suivi par nos différentes composantes, notamment la composante syndicale, également la composante jeune à travers l’UGEB et l’Organisation démocratique de la jeunesse (ODJ). Sur l’ensemble du territoire national, ces composantes se sont déployées… Nous attendons que vérité et justice se fassent autour de ces crimes. C’est dommage de le dire, nous sommes à trois semaines de la commémoration des journées des 30 et 31 octobre 2014. C’est dommage qu’aux morts que nous avons enregistrés lors de l’insurrection populaire viennent aujourd’hui s’ajouter onze autres victimes du fait de ce même Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Lorsque nous demandions vérité et justice, ce n’est pas que nous voulions harceler qui que ce soit, pas que nous voulions jouer aux extrémistes. C’est parce que nous nous sommes dit que tant qu’il y a l’impunité, cela peut encore revenir. Et voilà malheureusement que l’évolution de la situation nous donne raison. Nous croyons cette fois-ci que le gouvernement de la transition prendra à bras-le-corps ces différents dossiers et fera en sorte que justice soit rendue le plus tôt ».
Propos recueillis par CD et AS
BON A SAVOIR
Sur les 14 victimes du putsch annoncées au départ, ce sont finalement 10 qui ont été inhumées ce 9 octobre 2015. Des informations reçues, il est ressorti que ce sont 12 personnes décédées qui ont été enregistrées à l’hôpital Yalgado Ouédraogo. Parmi ces 12 figurent un élément de l’ex-RSP et le plus jeunes des martyrs (14 ans) qui a été enterré plus tôt par sa famille.