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CRISE LIBYENNE : Le bal des hypocrites


 

Le nouveau Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Antonio Guterres, n’a pas pris le temps d’observer pour prendre en main le dossier libyen. Le successeur de Ban Ki-Moon souhaite obtenir au plus vite un accord politique qui permettrait à la Libye d’envisager une sortie de crise. Pour donner corps à son ambition, il mise sur la nomination d’un nouvel employé spécial en Libye et la formation d’un nouveau gouvernement d’union nationale pour faire de la place au Général Kalifa Haftar qui contrôle toujours l’Est du pays. On note donc une volonté affichée de la communauté internationale de changer son fusil d’épaule dans la gestion du dossier libyen.

L’on se demandait si l’ONU n’était pas devenue l’ennemie principale de la paix en Libye

Il se dégage, en effet, un clair constat d’échec dans le processus politique en Libye, près de deux ans après que l’ONU eut « mis la charrue avant les bœufs » en imposant au pays un Premier ministre en la personne de Fayez el-Sarraj. Ne faisant pas le consensus et ne jouissant pas de fait d’une légitimité reconnue de tous, ce gouvernement d’union nationale qu’il a mis en place peine à s’imposer sur le terrain et ne représente rien aux yeux des populations. La résultante de cette myopie politique de la communauté internationale était la persistance de la partition en deux du pays, autour de Tripoli et de Tobrouk, et le maintien du capharnaüm entretenu par de nombreuses milices armées. Les souffrances des populations n’en étaient que décuplées et l’on se demandait si l’ONU n’était pas devenue l’ennemie principale de la paix en Libye. Car, en décidant de mettre fin à l’ostracisme dont était frappé le Général Haftar à Tripoli, l’ONU fait preuve de réalisme politique et prend une sérieuse option pour la marche vers la restauration c’est-à-dire un ordre normal en Libye, même si cela n’est encore qu’une lointaine perspective. Et pour causes. Le Général Haftar, du fait qu’il dispose de ce qui reste de la puissance de feu de l’armée libyenne, demeure une figure politique et militaire incontournable. Il contrôle l’Est du pays où il a été adoubé par les chefs des tribus, en plus du fait qu’il capitalise de nombreux soutiens étrangers en l’occurrence des grands voisins égyptien, algérien et tchadien. A ces atouts non négligeables, il faut ajouter que l’homme a fait preuve de patriotisme en acceptant de rétrocéder au gouvernement d’union nationale les terminaux pétroliers qu’il avait repris des mains de certaines milices. Si donc le patron de l’ONU semble engagé dans la bonne direction, l’on peut cependant se demander s’il aura les coudées franches pour travailler. Car, on le sait, pour de nombreux acteurs internationaux, leurs intérêts passent avant ceux du peuple libyen. Et, preuve que Gutterres n’aura pas la tâche aisée, l’on peut déjà avancer le revers diplomatique qu’il vient d’essuyer de la part des USA qui récusent le nouvel envoyé spécial en Libye qu’il propose. En effet, le Secrétaire général de l’ONU misait sur le Palestinien Salam Fayyad qui dispose d’une excellente réputation et d’un excellent background dans les organisations internationales, en plus d’être arabophone et natif d’un pays neutre dans la crise libyenne, pour avoir une légitimité avec les différents protagonistes libyens et les acteurs régionaux du conflit. Mais Washington s’oppose à sa nomination. L’administration de Donald Trump refuse d’avaliser de facto la reconnaissance de l’Etat palestinien à travers la nomination de Salam Fayyad, au risque de provoquer l’ire de son inconditionnel allié, Israël. C’est dire à quel point l’hypocrisie de la communauté internationale relègue au second plan les intérêts de la Libye qui sert de prétexte pour régler d’autres comptes.

L’ONU et les acteurs politiques en Libye doivent prendre conscience qu’ils jouent la montre

De ce qui précède, l’espoir pour la Libye viendrait d’ailleurs, c’est-à-dire de la prise de conscience par les Libyens eux-mêmes, que nul ne peut faire leur bonheur à leur place. Ils doivent donc trouver en eux-mêmes les raisons de vivre ensemble et de fédérer leurs énergies pour reconstruire l’unité nationale. La communauté internationale pourrait, dans ce cas de figure, être confinée dans la portion congrue du rôle d’accompagnant, sans possibilité de se substituer à la volonté des acteurs de la scène politique libyenne. Cela dit, quelle que soit l’option prise, l’ONU et les acteurs politiques en Libye doivent prendre conscience qu’ils jouent la montre. Car, chaque minute de perdue semble en rajouter à la souffrance des Libyens. Pour preuve, depuis quelques jours, sont arrivés de Misrata dans l’Ouest du pays des groupes armés à Tripoli où ils ont annoncé la création d’une force armée “indépendante”. Cette nouvelle, évidemment, ne manque pas de soulever les inquiétudes du gouvernement de Sarraj et ses soutiens occidentaux qui estiment que ce redéploiement risque de déstabiliser davantage la sécurité déjà fragile à Tripoli. Mais en plus du chaos intérieur que les tergiversations de la communauté internationale ne font que renforcer, il faut craindre aussi pour le Sahel dont les portes sont grandes ouvertes aux groupes djihadistes venus de la Libye. L’inquiétude est d’autant plus grande qu’un récent rapport onusien fait état de crise au sein du groupe Etat islamique sur ses bases au Proche et Moyen Orient, avec des risques d’un afflux massif de combattants en fuite vers les territoires africains. Il est donc temps que cesse le bal des hypocrites en Libye.

« Le Pays »


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