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ERNEST NONGMA OUEDRAOGO, MAIRE DE LA COMMUNE DE TEMA-BOKIN : « J’ai accueilli la chute de Blaise Compaoré avec plaisir ! »


Commissaire principal de police à la retraite et ancien ministre de l’Administration territoriale et de la sécurité sous le Conseil national de la révolution (CNR), Ernest Nongma Ouédraogo a été condamné à 6 mois de prison ferme le 11 août 1995 suite à un procès en diffamation que lui a intenté Blaise Compaoré. Aujourd’hui, il est  maire sous la bannière de l’UNIR/PS de la commune de Téma-Bokin, commune du père de la révolution burkinabè, Thomas Sankara, dans le Passoré. Evincé du poste de bourgmestre à l’issue des élections couplées de 2012 par Sayouba Sawadogo, il fait face à une longue procédure judiciaire devant le tribunal administratif de Yako, puis devant le conseil d’Etat à Ouagadougou. Après cette défaite, l’inamovible ENO, comme l’appellent ses inconditionnels, a fait son come-back  et reste quasiment le timonier de la politique locale dans cette commune. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, il nous dévoile les grands épisodes de sa vie politique et ses exacerbations.

 

 « Le Pays » : Que devient Ernest Nongma Ouédraogo ?

 

Ernest Nongma Ouédraogo : Mais ! Je suis moi même, je suis resté qui je suis, il n’y a pas de problème, je reste égal  à moi-même, je suis Ernest Nongma Ouédraogo, 2e fois maire de la commune de Bokin dans le Passoré.

 

Depuis longtemps, on ne vous entend plus. Pourquoi ?

 

Depuis longtemps, c’est combien de temps ? Je ne crois pas que j’ai duré sans qu’on ne m’entende. Chaque fois qu’on m’a interrogé ou interviewé, j’ai toujours répondu. Quand on vous entend poser cette question, c’est comme si vous aviez cherché à me joindre ou à m’interviewer sans succès. Je suis maire de la commune de Bokin  dans le Passoré, fonction que j’exerce au quotidien. J’ai pratiquement battu les trois campagnes, présidentielle, législatives et municipales avec le président de mon parti, Bénéwendé Stanislas Sankara. Donc, je ne suis pas effacé de la scène politique. Je suis là tout le temps.

 

De toute apparence, vous avez pris du champ. S’agit-il là de la manifestation d’un manque de repère ou d’une auto-mise à l’écart de la vie politique ?

 

Rire ! Non, je ne manque pas de repère. Je suis pleinement engagé en politique.

 

« J’ai participé à la chute de Blaise Compaoré »

 

J’ai toujours été sankariste, je suis sankariste et je le demeure pour toujours. Franchement, je ne veux pas accepter qu’on dise que  je manque de repère où que j’ai pris du champ.

 

 

Non ! Je suis là, j’exerce mon métier de maire après que la population a placé sa confiance en moi. Je bas campagne et sans débat.

 

Comment avez-vous accueilli la chute de Blaise Compaoré ?

 

Avec plaisir ! Parce que je l’ai combattu pendant un quart de siècle. Sa chute a vraiment été la bienvenue pour moi. J’ai même participé à sa chute. On cherchait à ce qu’il ne modifie pas l’article 37 pour briguer un autre mandat et il s’est entêté. Tout le monde est sorti pour dire non à la modification de l’article 37, le 28 et le 29 octobre 2014. Les femmes, munies de spatules, ont marché pour la même cause. S’en sont suivies les marées insurrectionnelles les 30 et 31  octobre 2014 pour dire, Heyii… ! Attention ! Mais à la dernière minute, on a compris qu’il devait partir et on encore dit : Heyii… ! Il faut partir. C’est une très bonne chose pour moi. Je suis très satisfait de son départ que je cherchais pendant un quart de siècle.

 

Que reste-t-il, selon vous, du sankarisme aujourd’hui ?

 

Aujourd’hui, le sankarisme reste entier et il est même triomphal. Même tous ceux qui n’ont pas connu Thomas Sankara aiment ses idées, osent emboîter ses pas et récitent ses slogans. C’est pour vous dire combien l’homme reste important pour l’actuelle génération. Les propos de Sankara selon lesquels « tuer un Sankara aujourd’hui, naîtront 100 Sankara demain », demeurent très vivaces. La jeunesse est assoiffée des idées de Sankara aujourd’hui.  Certains même sont allés jusqu’à le qualifier de  « Che Guevara africain », de  « conscience de l’âme noire », etc. Avant, c’étaient les partis politiques (ndlr : sankaristes) qui tenaient l’étendard, mais aujourd’hui, c’est tout le monde qui prend Sankara comme son idole. Beaucoup d’OSC défendaient l’idéologie du sankarisme qui, non seulement survit, mais continue aussi à gagner tout le Burkina Faso et le monde entier, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Afrique.

 

Pouvez-vous nous rappeler succinctement les temps forts de votre vie politique ?

 

Ma vie politique, je l’ai commencée par le sommet. C’est étant dans le gouvernement que j’ai commencé la politique. Ni ma carrière professionnelle, ni celle administrative ne prédisaient que je m’engagerais en politique. Habituellement, on ne passe pas par la Police pour faire la politique. Jai été surpris et depuis que je suis devenu ministre, le temps de découvrir que ce n’était pas mon dada, je suis retourné tranquillement à la Police. En quelques temps de ma vie politique, j’ai vite connu l’opposition radicale, la prison, le pouvoir. Je suis allé à l’Assemblée nationale, je suis maire pour la 2e fois après 2006. Je vis une pleine carrière politique. Voilà les temps forts de ma vie politique.

 

Vous avez été un acteur majeur de la révolution. Quel héritage en reste-t-il aujourd’hui ?

 

Sankara a posé des actes constructifs et nous avons le devoir de poursuivre son idéologie. La révolution n’est pas pour les paresseux, la gabegie, les réactionnaires verbeux. La révolution était pour la dignité, le respect de la parole donnée, le développement et la loyauté. Ce qui nous motive toujours à accompagner la jeunesse vers cet idéal. Nous allons multiplier les chances pour étendre la politique de Sankara.

 

« J’ai été condamné, révoqué de la Police sans droit de pension, puis radié en tant que commissaire de police principal »

 

C’est un héritage bien défini qu’il a légué à la génération, car la jeunesse commence à ouvrir les yeux face aux politiques politiciennes sur les tares sociales. Donc, nous avons une jeunesse consciente de son devenir, qui sait faire la part des choses. Par exemple quand on dit « la patrie ou la mort nous vaincrons », on est fier d’être Burkinabè.

 

Quel souvenir gardez-vous du défunt président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo ?

 

Alors ! On n’a pas travaillé ensemble puisqu’on n’était pas dans le même gouvernement. Seulement, je retiens de lui, un homme plein de courage, de détermination et de valeurs. Quand il est décédé, les membres de la famille de Sankara m’ont demandé de conduire une délégation aux obsèques à Ouahigouya, ce que j’ai fait. Même si le vieux Joseph était là, il aurait pu me confier cette tâche. En 2016, Salifou était venu chez moi pour qu’on discute sur la politique. Pendant pratiquement une heure de temps, nous avons parlé des alliances de majorités présidentielles pour rallier les partis de gauche. L’évolution sociopolitique qu’il envisageait était noble.

 

Quelle lecture faites-vous de la gouvernance actuelle ?

 

Je serais mal à l’aise pour parler objectivement de la gouvernance actuelle. Je suis moi-même membre de l’alliance de la majorité avec pour  président Bénéwendé Stanislas Sankara, 1er adjoint de l’Assemblée nationale.

 

« Je n’ai pas été acheté »

 

Je conduis un conseil municipal composé de l’UNIR/PS et du MPP, donc je suis dans le régime. Après une insurrection, il est utile de développer le pays sans tenir compte des bords politiques. Mais il faut qu’on limite la corruption qui freine le développement de notre pays.

 

Le 11 août 1995, vous avez été condamné à 6 mois de prison ferme pour diffamation sur la personne de Blaise Compaoré. Quelles ont été les conséquences de cet épisode dans vos relations avec lui ?

 

Blaise Compaoré a été mon ami jusqu’au 15 octobre 1987 où il a assassiné Thomas Sankara. A partir de là, nous nous sommes brouillés et chacun a pris son chemin. Je suis allé à l’opposition. Je ne pouvais pas accepter cette forfaiture. C’était mon devoir de dénoncer les travers du régime. J’ai été condamné, révoqué de la Police sans droit de pension, puis radié en tant que commissaire de police principal. Jai été arrêté et déféré. En l’espace de quatre jours, mon affaire était déjà terminée. J’ai été jugé puis emprisonné. Il m’a amnistié puis m’a fait une grâce présidentielle pour ma libération. Mon avocat était Me Bénéwendé Sankara qui, je crois, n’a pas acheté ma libération. Je n’ai pas été vendu ni acheté.

 

Et pourtant, après votre libération par grâce présidentielle, vous avez observé un long temps de silence. D’aucuns ont pourtant vu en cela le fait d’avoir été acheté par le régime de l’époque. Qu’en dites-vous ?

 

Je n’ai pas été acheté, je n’ai pas déboursé un kopeck à mon avocat pour ma libération. Beaucoup ont protesté et ont contribué à ma libération. Par contre, d’autres ont dit que je méritais mon sort et que j’exagérais dans mes propos. Les gens ont l’esprit fertile. C’est mon avocat qui a su faire la part des choses. Je n’ai pas cessé de faire la politique après ma sortie de prison. Puisqu’on n’a pas dissous mon parti, j’étais à l’aise pour continuer en politique.

 

L’affaire Thomas Sankara a connu divers rebondissements. Avez-vous espoir qu’un jour la lumière éclatera sur cette affaire ?

 

Espoir, oui ! Mais la situation est telle qu’on ne comprend plus rien de ce qui se passe. J’ai été entendu par le juge d’instruction en août 2016. Je garde espoir, car c’est quelqu’un qui fait correctement son travail. Donc, j’ai vraiment espoir.

 

Au soir de votre vie politique, quel héritage laissez-vous à la nouvelle génération ?

 

Rire ! Au soir de ma vie politique, les gens auront du temps pour me juger en fonction de tout ce que j’ai eu à faire. Ils pourront dresser le bilan que je crois positif. Ils jugerons ce que j’ai eu à poser comme actes non seulement dans le gouvernement, mais aussi dans la vie sociale. Surtout à la mairie de Bokin, la population dira ce qu’ont été mes priorités. Elle  pourra apprécier mes actions à travers des éléments phares.

 

Interview réalisée par Marou DIANDA

 

 

 


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