FECONDATION IN VITRO
La clinique Saint Jérémie s’est dotée, il y a plus d’une année, d’un plateau médico-technique de dernière génération pour la fécondation in vitro, l’objectif étant de venir en aide aux couples qui souffrent d’infertilité au Burkina Faso. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les fruits sont à la hauteur de la promesse des fleurs. Car, la clinique vient d’offrir son premier bébé à un couple. Nous en avons parlé avec le Directeur général (DG) de la clinique Saint Jérémie, le gynécologue obstétricien, Dr Daouda Sigué.
« Le Pays » : Qu’est-ce que la fécondation in vitro et en quoi consiste-t-elle ?
Dr Daouda Sigué : La fécondation in vitro, c’est une fécondation qui se fait en dehors de l’organisme, contrairement à la fécondation naturelle qui se fait à l’intérieur de la femme. Elle consiste à recueillir les ovocytes chez la femme et à faire la fécondation au laboratoire avec du sperme.
Votre clinique vient de réussir cette pratique sur une mère d’une quarantaine d’années, qui attendait un enfant depuis plusieurs années. Dites-nous comment cela s’est passé !
Quand une femme rentre dans un cycle de fécondation in vitro, c’est vraiment un parcours de combattant en ce sens qu’il faut vaincre certains préjugés qui existent. Il faut être, moralement, psychologiquement et financièrement préparé. Le procédé même consiste déjà à être éligible, à être donc en âge de procréer et avoir ses moyens financiers, ses médicaments, se faire des injections quotidiennement. Selon le protocole qu’on a choisi, les injections peuvent durer de 12 à 21 jours. S’injecter quotidiennement et ensuite passer au bloc pour le recueil des ovocytes n’est vraiment pas facile. Ensuite, quand tout va bien, on fait le transfert des embryons au 3e ou 5e jour et on attend les résultats. Cette attente des résultats est un moment très difficile pour les femmes. Quand on annonce que c’est positif, il n’y a pas de problème mais quand c’est négatif, la gestion devient plus compliquée.
Vous parlez de choix de protocole. De quoi s’agit-il exactement ?
Les protocoles, en médecine, sont des canevas que nous avons. Selon les données cliniques et biologiques d’une patiente, on peut décider de prendre la voie A, la voie B ou la voie C.
Vous dites que l’attente est très difficile. Est-ce à dire que la fécondation in vitro peut échouer ?
La science ne fabrique pas d’enfants. Elle ne fait qu’utiliser le matériel existant pour accompagner les femmes à tomber enceinte. La nature elle-même prévoit 25%. Chez un couple jeune qui n’a aucun problème, c’est 25% de chances de tomber enceinte par cycle. La fécondation ramène les taux à un niveau un peu au-dessus de celui de la nature. En général, le taux de succès de la fécondation varie entre 25 et 30%. Ce qui veut dire qu’il y a plus d’échecs que de succès, mais c’est en faisant plusieurs tentatives qu’on arrive à avoir sa grossesse.
Vous dites que l’attente est très difficile pour la femme. L’homme n’est-il pas concerné ?
Bien sûr ! Les responsabilités sont partagées aujourd’hui. Il y en a qui disent qu’il y a 1/3 pour la femme, 1/3 pour l’homme et 1/3 pour tous les deux. Moi, je considère qu’il y a 50% des responsabilités pour la femme et 50% pour l’homme. On fait la fécondation pour la femme parce qu’il y a, soit des facteurs féminins comme indication, soit des facteurs masculins comme indication.
La technique qui vous a permis d’offrir un bébé au couple dont le cas est cité plus haut, est l’ICSI. Qu’est-ce que l’ICSI ?
L’ICSI, c’est l’injection, dans le cytoplasme, de l’ovocyte d’un spermatozoïde. C’est une micro injection qui se fait à l’aide de gros microscopes robotisés. C’est une variante de la fécondation in vitro qui constitue le summum de la technique actuellement. C’est, de nos jours, le procédé le plus complexe de la fécondation in vitro.
Est-ce à dire qu’il y a plus de chances de succès avec cette technique ?
Non seulement il y a plus de chances, mais aussi elle permet à certains hommes qui ont des spermatozoïdes en très faible quantité, d’être injectés et de devenir pères. Là, c’est nous qui sélectionnons les spermatozoïdes, avant de faire l’injection dans l’œuf de la femme pour avoir des embryons. Des fois, vous allez voir quelqu’un qui a une oligospermie sévère, qui a 4 à 5 spermatozoïdes mobiles. On peut prendre ces 4 ou 5 spermatozoïdes, qui sont tout ce que possède la personne, pour faire la fécondation.
Comment se fait la conservation de l’embryon ?
Quand il y a des embryons surnuméraires, ils sont conservés pour des transferts ultérieurs et demeurent la propriété du couple.
Comment vous est-il venu à l’idée de vous lancer dans la FIV ?
L’idée m’est venue parce que je me suis rendu compte qu’au Burkina, nous étions limités dans la prise en charge de l’infertilité du couple. Déjà, j’étais un peu frustré de ne pas pouvoir aller plus loin. Chez certains couples, on faisait l’insémination artificielle mais lorsqu’il s’agit de faire la fécondation in vitro, on était un peu limité. Donc je me suis dit qu’on pouvait aller un peu plus loin et c’est là que je me suis engagé dans cette aventure.
Quelle est la différence entre l’insémination artificielle et la fécondation in vitro ?
L’insémination artificielle, c’est une technique de l’Assistance médicale à la procréation (AMP) qui consiste à prendre les spermatozoïdes chez l’homme, à faire un lavage et une centrifugation afin de sélectionner les meilleurs et ensuite, les placer à l’intérieur de l’utérus au niveau des trompes. Ces spermatozoïdes vont migrer pour aller faire la fécondation in vivo, c’est-à-dire au niveau de la femme. En ce qui concerne la fécondation in vitro, elle se fait à l’extérieur. Maintenant, il y a des gens qui n’ont pas besoin d’aller en fécondation in vitro parce que l’insémination artificielle seule suffit. Pour d’autres par contre, cette technique n’est pas indiquée.
Est-ce que la fécondation in vitro exige beaucoup d’investissements, en termes financiers, humains et matériels ?
Elle exige vraiment beaucoup d’investissements. C’est toute une panoplie d’engagements. On doit mobiliser les spécialistes, les gynécologues, les anesthésistes, les infirmiers ; on doit mobiliser tout le laboratoire, le matériel, les réactifs… C’est un investissement très lourd. Quand on commence la procédure, on n’a pas le temps pour faire autre chose. C’est compliqué et esquintant.
Il y a aussi les moyens que le couple doit mobiliser !
Evidemment ; au moment où nous sommes dans la procédure, cela veut dire que le couple a déjà dépassé le cap de la mobilisation des moyens.
Quelle a été la réaction du couple que vous avez aidé à avoir un enfant ?
Humainement parlant, le couple ne peut qu’être très heureux. Je ne sais quoi dire. Quand les gens sont très joyeux, souvent les mots manquent. J’ai essayé de requérir les sentiments du père, mais il était dépassé. Avoir un enfant, c’est toujours un évènement très important dans la vie d’une personne.
Dans le temps, il fallait aller en Europe ou aux Etats-Unis d’Amérique pour ce genre de traitement. Aujourd’hui, la stérilité peut donc se soigner sur place au Burkina Faso par ce procédé. N’est-ce pas ?
Je dirai que c’est un domaine dans lequel on n’a rien à envier à qui que ce soit. Nous sommes pratiquement au même niveau technologique. La seule différence, c’est que nous, nous importons les intrants et eux, ils les fabriquent sur place.
Que diriez-vous à un couple qui préfère aller se faire traiter en Europe alors qu’il y a la compétence au niveau national pour faire le job correctement ?
Ce n’est pas dans la FIV seulement. Dans la médecine en général, actuellement au Burkina Faso, nous avons toutes les compétences pour éviter que les gens aillent se soigner à l’extérieur. Il faut tout simplement accompagner en disponibilisant les différents matériels de travail. En revenant à la fécondation in vitro, je dirai que c’est du gâchis qu’un couple aille à l’extérieur pour se faire traiter. A l’étranger, il faut non seulement payer son hôtel, son billet d’avion, son séjour qui va prendre au moins un mois ; il faut revenir et repartir pour accoucher quand le traitement est positif. Finalement, on dépense 4 ou 5 fois plus que quand on reste au Burkina, pour le même résultat. Nous avons deux cliniques qui font le traitement au Burkina de façon efficace, mais comme les gens pensent que c’est mieux chez le Blanc, on les laisse partir faire leur expérience. Certains sont partis mais n’ont pas eu le résultat escompté et ils sont revenus chez nous.
Peut-être que les couples ne font pas confiance à ce qui se fait au Burkina !
Ce n’est pas que les gens ne font pas confiance à ce qui se fait au Burkina. Nous avons une mentalité qui est délétère pour notre développement.
Avec la FIV, une femme peut-elle avoir autant d’enfants qu’elle le désire ?
Je ne peux dire autant d’enfants, mais elle peut faire beaucoup de tentatives. Sinon, en général, ce sont des couples qui ont traversé de longues périodes de stérilité, qui sollicitent ce traitement. Donc, quand ils gagnent deux ou trois enfants, c’est suffisant ; ils ne reviennent plus. Sans oublier qu’en Afrique, les gens viennent à des âges très tardifs. C’est quand ils ont fini d’essayer ailleurs, la médecine traditionnelle ou autre sans résultats positifs, qu’ils viennent chez nous. Nous préférons que les femmes viennent en fécondation pendant qu’elles sont encore jeunes, à moins de 35 ans. Mais quand on regarde, c’est autour de la quarantaine que beaucoup se décident à venir en fécondation. Or, plus l’âge augmente, plus les chances de succès diminuent aussi.
Pourquoi, selon vous, les gens viennent-ils très tardivement en fécondation ?
Cela peut être lié à des facteurs culturels. Quand on dit à quelqu’un qu’il a une anomalie au niveau du spermogramme ou des ovaires, des trompes ou de l’utérus, il préfère aller chez les charlatans. Il y en a même qui préfèrent aller faire des sacrifices pour avoir des enfants. C’est quand tout cela échoue, qu’ils se retournent vers la médecine moderne.
Comment faire en sorte que les couples viennent jeunes, en fécondation ?
Il n’y a pas de formule magique. Cela va se faire de façon progressive.
Est-ce que dans le procédé de fécondation in vitro, les couples et les structures de santé qui en font leur spécialité, bénéficient de subvention ou de financement de la part de l’Etat ?
Ni les couples, ni les structures de santé ne bénéficient de subvention ou de financement quelconque de la part de l’Etat ; ce qui est paradoxal. Dans certains pays européens, la France ou la Belgique à titre illustratif, la fécondation in vitro est entièrement prise en charge, à 100%. La France offre quatre tentatives gratuites, complètement prises en charge par la sécurité sociale, aux couples qui ont des difficultés de conception. La Belgique est à six tentatives. Voyez-vous, ce sont les mêmes qui financent les politiques anti-natalité dans nos pays en Afrique, qui financent chez eux des politiques natalistes. Cela doit nous interpeller quelque part. A un moment donné, il faudrait qu’au niveau étatique, on puisse aider, ne serait-ce que ceux qui n’ont jamais eu d’enfant, à en avoir. Il faut trouver une formule pour les prendre en charge. Je me dis que toute femme a droit à la maternité.
Est-ce que vous, les acteurs du domaine, vous avez initié un plaidoyer dans ce sens ?
Quand vous n’êtes pas nombreux dans une situation, vous ne pouvez pas souvent mener un combat qui aboutisse à des résultats. Quand beaucoup de gens vont commencer à s’intéresser à cette pratique, peut-être pourra-t-on, à ce moment, initier un projet dans le sens que vous évoquez.
C’est tout de même une question de vie !
C’est une question de vie, mais il n’appartient pas à nous médecins, il faut le dire aussi, de mener ce combat. On a tellement de charges dans notre vie quotidienne qu’il sera difficile de dégager un temps pour un tel combat. C’est aux femmes surtout de mener cette lutte.
Qu’avez-vous à dire aux couples qui ont des problèmes de fécondité et qui préfèrent aller chercher la solution dans les sacrifices ou qui ont renoncé à se battre pour avoir des enfants parce qu’ils sont fatalistes ?
Je leur dirai de faire confiance à la science et à la médecine moderne. Ils doivent faire confiance à la médecine du Burkina Faso. Les gens doivent se préparer à venir plus tôt auprès de nous les spécialistes, pour avoir plus de chances ; plus une femme avance en âge, moins elle a de chances de tomber enceinte. Il ne faudrait pas que certains se découragent parce qu’ils auraient fait une tentative qui n’a pas marché. Il faut avoir le courage et la force de reprendre. Les plus chanceuses tomberont enceintes dès la première tentative ; pour d’autres par contre, ce sera après plusieurs essais.
Propos recueillis par Michel NANA