HomeA la uneGOUVERNANCE DE KAÏS SAÏED  : Où va la Tunisie ?  

GOUVERNANCE DE KAÏS SAÏED  : Où va la Tunisie ?  


Depuis son avènement au pouvoir, le 23 octobre 2019, en Tunisie, le président Kaïs Saïed ne cesse de surprendre par ses méthodes que d’aucuns trouvent brutales. En moins de trois ans, le paysage politique de la Tunisie a été bouleversé. Dès son accession au pouvoir, un conflit sur la formation du gouvernement éclate entre le président et le parti Ennahdha arrivé en tête des législatives. S’ensuivra un échange d’amabilités avec le Parlement, qui aboutira au gel de ses activités le 25 juillet 2021. Le 5 février 2022, le Conseil de la magistrature, jugé partial, est dissous. Il est accusé de corruption et d’avoir ralenti des procédures comme les enquêtes sur les assassinats en 2013, de militants de gauche. Dans ce Conseil, affirme le chef de l’Etat, les postes et les nominations se vendent et se font selon les appartenances. Le Parlement qui avait été gelé, est finalement dissous le 30 mars 2022. Récemment, le 2 juin 2022, ce sont cinquante-sept magistrats qui viennent d’être limogés pour corruption et entraves à des enquêtes. Le président lui-même déclare : « Nous ne pouvons pas sauver le pays sans un assainissement du système judiciaire ». Les rapports du président avec les syndicats ne sont pas non plus des meilleurs, et la puissante centrale de l’UGTT a refusé de participer au dialogue national qu’il a proposé. Finalement, Kaïs Saïed se retrouve pratiquement seul contre tous. Il est vrai qu’il a des soutiens comme les citoyens qui ont manifesté récemment pour le soutenir dans sa lutte contre la corruption et la société établie qu’ils accusent de tous les maux de la société tunisienne. Il n’en demeure pas moins qu’il s’est mis à dos les institutions du pays et la plupart des hommes politiques. L’on peut se demander s’il peut tenir ainsi longtemps, même si des élections sont annoncées pour combler le vide institutionnel.

 

 

Sous le prétexte de la lutte contre la corruption, il ne faudrait pas en arriver à violer les droits des uns et des autres

 

 

Dans la Rome antique, en période de troubles ou de crises, la tendance était de confier le pouvoir à un dictateur, le temps de régler les problèmes. Ce fut le cas de Jules César, même s’il est vrai qu’il s’était fait proclamer dictateur à vie. De nos jours, le terme dictateur a été galvaudé et a une connotation très péjorative. Kaïs Saïed qui est un éminent constitutionaliste, cherche peut-être à s’appuyer sur de tels exemples pour transformer son pays. Mais les temps ont changé et les méthodes du passé peuvent ne pas s’adapter aux réalités actuelles. Dans sa démarche quasi solitaire, à supposer même qu’il soit animé de bonnes intentions, il n’est pas sûr qu’il sera compris par un pays qui, depuis Bourguiba, a été un modèle de démocratie et de tolérance dans le monde arabe. Le limogeage des magistrats, si l’on en croit le président, est justifié. La Justice est le dernier rempart de la société. Quand la société n’a plus confiance en sa justice, elle se désagrège. Il est donc nécessaire de veiller toujours au bon fonctionnement du système judiciaire. Kaïs Saïed n’est pas le premier en Afrique à limoger en masse des magistrats. Cela s’est déjà fait au Bénin, au Ghana et au Congo. Comme disait Montesquieu, toute personne qui a du pouvoir, est tentée d’en abuser si l’on ne prend pas soin d’ériger des contre-pouvoirs à son encontre. Les magistrats sont à des postes stratégiques de décision, et certains peuvent être tentés de s’en prévaloir contre des faveurs, pour empêcher de faire ou pour aider à faire. Les abus à ce niveau sont dangereux et l’on peut ainsi comprendre le président tunisien. Mais, y a-t-il des preuves de ce qu’il avance ? Si oui, la procédure suivie pour les limogeages a-t-elle été respectée ? Sous le prétexte de la lutte contre la corruption, il ne faudrait pas en arriver à violer les droits des uns et des autres.  En réaction, les magistrats ont appelé à des manifestations et ont lancé un mouvement de grève dont la durée pourrait être illimitée. En décidant des limogeages, Kaïs Saïed avait-il prévu de telles réactions avec leurs conséquences ? Les Tunisiens sont politiquement assez avertis. On peut leur faire confiance pour éventuellement recadrer à temps leur président s’il s’avérait que ses méthodes de gouvernance que l’on pourrait qualifier de solitaires et autocratiques, venaient à s’écarter radicalement de leurs aspirations et de leur vision de la politique.

 

Apolem

 


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