HomeA la uneLUTTE CONTRE L’INSECURITE DANS LES GRANDS LACS  : L’appel de Kagamé sera-t-il entendu ?

LUTTE CONTRE L’INSECURITE DANS LES GRANDS LACS  : L’appel de Kagamé sera-t-il entendu ?


En séjour depuis le 11 avril dernier dans la capitale congolaise, Brazzaville, le chef de l’Etat rwandais, Paul Kagamé, a, dans une adresse au Parlement, appelé à une « collaboration constante » au niveau régional pour lutter contre l’insécurité dans la région des Grands Lacs. « Il y a aujourd’hui beaucoup de conflits qui durent des décennies sur le continent. Ce qui explique cela, c’est notre inaction ; il est temps de rebattre les cartes », a-t-il laissé entendre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’homme mince de Kigali a quelque peu raison ; tant il est de notoriété publique que « l’union fait la force ». Faute de cette union qui devrait être la principale arme des faibles, des Etats du continent, en proie à des difficultés sécuritaires, ont parfois fait recours à des troupes étrangères dont la présence aujourd’hui soulève de nombreux débats liés à leur efficacité et aux intérêts qu’elles poursuivent. Pire, l’insuffisance de la coopération transfrontalière est l’un des facteurs favorables à la prolifération des groupes armés qui, souvent, opèrent d’un côté de la frontière et utilisent le second côté comme base-arrière.

 

On peut douter de la sincérité même du message de l’homme mince de Kigali

 

Enfin, le manque de collaboration entre Etats africains a parfois isolé des pays en lutte contre l’insécurité. Ceux-ci sont devenus des proies faciles pour les groupes terroristes qui les ont utilisés comme nids d’essaimage pour déstabiliser les pays qui se croyaient à l’abri.  Si donc l’on ne peut douter du bien-fondé de cette collaboration constante que Kagamé appelle de tous ses vœux, l’on peut toutefois se poser la question suivante : son appel trouvera-t-il un écho favorable dans cette région tourmentée des Grands Lacs ? L’on peut avoir de sérieuses raisons d’en douter. Et pour cause. D’abord, l’appel du président rwandais intervient dans un contexte de regain de tensions entre lui et ses voisins, notamment la République démocratique du Congo (RDC) et l’Ouganda. L’on peut, de ce fait, douter de la sincérité même du message de l’homme mince de Kigali qui, pour paraphraser l’écrivain Nazi Boni, réclame la paix de la bouche et prépare la guerre dans les actes. Ensuite, le message de Kagamé peut avoir du mal à passer dans cette région où les pays qui abritent les mêmes peuples, s’accusent mutuellement de servir de bases-arrières pour se déstabiliser. Dans ce contexte de fortes suspicions où les conflits se sont soldés par de véritables tragédies humaines avec de profonds stigmates au sein et entre les Etats, l’on peut se demander si cet appel de Kagamé ne ressemble finalement pas au sermon d’un chat revenu de La Mecque, dans une mosquée fréquentée par des souris. Cela dit, l’on peut tout de même, saluer l’initiative du président rwandais en ce sens que son appel constitue déjà en soi un engagement et une main tendue aux autres pays de la région avec lesquels les bisbilles ne manquent pas.

 

On peut se demander si Paul Kagamé ne met pas la charrue avant les bœufs

 

 

L’on peut donc se dire qu’au-delà de la déclaration politique, l’homme, pour sa part,  joindra l’acte à la parole et donnera des signaux forts pour décrisper les relations tendues avec les voisins et susciter ainsi la coopération voulue. Cette initiative de Kagamé est d’autant plus à saluer qu’elle constitue déjà un début de réponse à la menace terroriste qui plane sur cette région, annoncée comme étant la prochaine cible des groupes armés qui écument les autres parties du continent. Quand on sait que la région des Grands Lacs, avec ses immenses régions forestières, peut fournir aux terroristes, les sanctuaires nécessaires au développement de leurs obscures idéologies, l’on ne peut que se féliciter de l’idée de ce renouveau de la coopération.  Mais en attendant que les vœux très pieux du président rwandais prennent corps à travers les actes, l’on peut se poser des questions sur les bases de cette collaboration future entre des Etats qui, à quelques exceptions près, sont dirigés par des dictateurs. En effet, hormis les présidents de la République démocratique du Congo et du Burundi, tous les chefs d’Etat de la région des Grands lacs sont de vieux caïmans des eaux saumâtres des dictatures africaines. Il faut donc craindre que leur collaboration, si elle devenait une réalité, ne soit une occasion pour traquer des opposants au nom de la lutte contre l’insécurité. En Afrique, c’est bien connu, l’on n’hésite pas à franchir allègrement le pas pour assimiler les opposants à des terroristes pour se donner les moyens légaux d’abattre sur eux, de terribles répressions. La crainte est d’autant plus fondée quand on connait le terrible sort réservé par Paul Kagamé, à ses opposants dont certains n’ont pu être sauvés, même dans leur exil. L’autre inquiétude que l’on peut avoir est relative à l’efficacité d’une réponse militaire commune des Grands Lacs contre l’insécurité face à une économie qui connait de grandes difficultés d’intégration pour répondre aux problèmes des populations. On le sait, la pauvreté est le terreau le plus fertile où prospère le terrorisme et quand on connait les conditions socio-économiques des populations qui vivent dans cette région des Grands lacs, l’on peut se demander si Paul Kagamé ne met pas la charrue avant les bœufs. En effet, la véritable lutte contre l’insécurité commence par sa prévention. Et celle-ci passe nécessairement par l’amélioration des conditions de vie des couches les plus vulnérables de la population. Et c’est véritablement là que le Rwanda peut briller par l’exemple.

 

« Le Pays » 


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