Lycée départementale de Andemitenga
L’établissement paralysé par une grève illimitée
Les élèves du lycée départemental de Andemtenga, localité située à 15 km de Pouytenga et 17km de Koupéla, dans la province du Kouritenga, sont en grève depuis le 10 février 2014 et ce, pour une durée illimitée. Et pour cause : ils exigent, d’une part, la cessation de certaines pratiques (exactions, vandalisme, violences physiques et morales, intimidations et séquestrations) perpétrées par le proviseur François Guibré sur certains élèves de l’établissement et, d’autre part, réclament des manuels scolaires ainsi que des professeurs en nombre suffisant dans neuf classes qui sont sans professeurs dans certaines matières depuis octobre jusqu’à ce jour . Enfin, ils exigent la restitution pure et simple des cotisations spéciales qui s’élèvent à plus de 10 millions de F CFA, devant en principe servir à l’achat de manuels scolaires et à la construction de salles de classe.
Les journées du lundi 10 au vendredi 14 février ont été particulièrement chaudes dans la commune rurale de Andemtenga, abritant le plus grand lycée de la région du Centre-Est en termes d’effectif. En effet, les élèves (plus de 2 000) sont sortis et ont arpenté les artères de la ville pour dénoncer la gestion opaque du lycée par le proviseur François Guibré, de même que son comportement « irresponsable » visant à transformer le lycée en un champ de bataille. Ainsi donc, ils ont tenu à exprimer leur ras-le-bol à l’aide de pancartes sur lesquelles l’on pouvait lire des propos hostiles au proviseur. Selon les élèves, le proviseur aurait perçu, au titre des cotisations spéciales, 10 millions de F CFA soit 5 000 F CFA x 2 000 élèves, sans compter le surplus des élèves et les cotisations habituelles de 6 000 F CFA par élève, soit 12 millions qui devraient contribuer au fonctionnement de l’établissement. « Nous enregistrons des pannes récurrentes de notre machine de dactylographie et les professeurs sont obligés de recopier les devoirs au tableau. Avec les effectifs pléthoriques, nous nous en sortons difficilement, alors qu’avec ce budget de plus de 22 millions, le lycée ne devrait pas connaître ces problèmes que nous vivons. Imaginez un devoir de français de la classe de 3e que l’on doit tout recopier au tableau et le proviseur se fiche de tout ça », a confié un élève. Certaines sources font état d’un éventuel détournement car des hangars en paillote devant servir de salles de classe auraient été réalisés à coût de 450 000 F CFA par hangar.
Plus de 4 ans sans assemblée générale
« Nous avons commencé à débrayer activement depuis le 3 février 2014 par une grève de 24 heures, invitant le proviseur à résoudre nos problèmes et l’avertissant que d’autres actions étaient en cours si nos préoccupations n’étaient pas prises au sérieux », a affirmé Abdoul Rahim Kaboré, délégué général du lycée. Il a relaté les faits en ces termes : « Le comité des élèves avait entrepris des démarches auprès du proviseur pour comprendre le but de la cotisation spéciale de 5 000 F CFA par élève, imposée en début d’année scolaire, entraînant l’augmentation des frais de scolarité à 16 500 F CFA pour les anciens élèves et 32 500 F CFA pour les nouveaux élèves du 2nd cycle, et 12 500 F CFA pour chaque élève du 1er cycle affecté par l’Etat. Pour les recrutements parallèles, nous ignorons à combien s’élève le coût dans un établissement public dit « de la Reforme », censé accueillir tous les élèves titulaires du CEP des écoles primaires et ceux du 1er cycle ressortissant de la commune, et cela sans condition. Pire, le proviseur a exigé le paiement intégral des frais aux élèves du 1er cycle avant d’accéder dans les salles de classe. Lorsque nous lui avons demandé de faire le bilan de la gestion de ladite cotisation, il a rétorqué que nous avons le devoir de nous acquitter de ces sommes, mais nous n’avons pas le droit de lui demander des comptes. Or, le droit à l’information est un principe cardinal à toute personne vivant en communauté. Aussi, depuis 2010, soit plus de 4 ans, il n’y a jamais eu d’assemblée générale des parents d’élèves. Celle qui avait été convoquée a été faite à dessein pour accueillir le nouveau proviseur qui n’est personne d’autre que François Guibré et, depuis lors, plus rien. Notre établissement souffre d’un manque criard de manuels scolaires, handicapant ainsi notre formation pédagogique. Comment peut-on réussir dans ces conditions, avec des élèves qui sont sans bibliothèque et n’ont même pas le privilège de profiter des bienfaits des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En plus, il y a le problème de professeurs. Depuis le mois d’octobre, plus de 9 classes n’ont pas de professeurs d’EPS et certaines classes qui avaient des professeurs d’anglais et d’histoire-géographie qui dispensaient correctement leurs cours ont cessé de le faire. Lorsque nous nous sommes renseignés auprès de ces professeurs, grande a été notre surprise de les entendre dire que c’est le proviseur lui-même qui les auraient sommés d’arrêter les cours parce qu’il était sur le point d’engager de nouveaux professeurs pour les remplacer. Mais jusqu’à l’heure où je vous parle, aucun nouveau prof ne s’est présenté dans ces classes.»
Selon le délégué général du lycée, la grève de 24h, observée le 3 février 2014, en prélude au mouvement, était un signal fort pour avertir les autorités à prendre à bras-le-corps leurs préoccupations. « A partir de cette grève illimitée, nous exigeons le bilan de la gestion des cotisations spéciales qui ne peuvent plus nous servir, d’où son remboursement intégral sans condition. Nous exigeons également les réaffectations des professeurs à qui le proviseur aurait retiré les classes pour se donner 20h de cours qu’il n’a jamais assurées. Nous réclamons l’affectation de professeurs dans les classes qui n’en ont pas et exigeons la présence du directeur régional du ministère des Enseignements secondaire et supérieur du Centre-Est au lycée pour résoudre nos problèmes. Tant que tous ces problèmes ne seront pas résolus, notre mouvement de grève continuera», a-t-il martelé.
Robert Yaméogo, en classe de 1re A4, a confié : « Nous sommes en grève pour exiger du proviseur qu’il arrête les exactions, les violences physiques et les séquestrations de tous genres à l’encontre des élèves. Il veut transformer le lycée en un champ de bataille. Trop c’est trop car, même à l’école primaire, on ne frappe plus les élèves. Pourquoi ce proviseur s’arroge-t-il le droit de bastonner des élèves de Terminale ? En plus, il nous a fait payer des cotisations spéciales qui devaient servir à améliorer nos conditions de travail, notamment à confectionner des tables- blancs, à réfectionner les salles de classe ; mais rien de tout cela n’a été fait. Pire, dans certaines classes, les élèves sont assis à 6 par table, voire par terre pour recevoir les cours dans des classes sous-paillotes, sans seccos et où le soleil les bat. Cela est inadmissible ; comprenez notre amertume. Les 2 nouveaux bâtiments que vous voyez ont été construits cette année par la mairie et Plan Burkina et non pas par la cotisation spéciale ».
Pour le délégué général adjoint, de la Tle A4, Jérémie Zombré, le lycée connait une gestion catastrophique du personnel enseignant et aussi financière du fait de la cotisation spéciale imposée par l’administration. « Nous avons posé le problème au préfet et au maire qui ont promis de toucher qui de droit en vue de la résolution de nos problèmes. »
Le calvaire d’un élève
« Nous sommes prêts à tout pour réclamer nos droits. Vous savez, ni les intimidations du proviseur ni ses menaces encore moins l’échec en fin d’année scolaire ne peuvent m’empêcher de dire la vérité », a-t-il lancé furieux.
Alexandre Pouya, élève en Tle A4, raconte son calvaire. « J’ai été bastonné plusieurs fois par le proviseur pour des raisons que j’ignore. En début d’année scolaire, une première fois, il m’a giflé devant mes camarades alors que je n’avais rien fait. Je tentais de les persuader d’éviter d’aller en grève et d’engager le dialogue. Quand le proviseur est arrivé, il n’a rien voulu comprendre et a commencé par me gifler devant mes camarades. Je lui ai pardonné, le considérant comme mon père. Une 2e fois, à l’occasion du remplissage de nos dossiers du Bac, courant fin janvier 2014, alors que nous n’avions pas encore eu les frais de dossiers du Bac, mes camarades et moi, au nombre de six, sommes allés le voir pour qu’il nous aide à avoir les fiches du Bac et il a refusé. Nous lui avons demandé et obtenu sa permission pour nous rendre à la Direction régionale des enseignements secondaire et supérieur de Tenkodogo en vue d’acheter les 6 fiches. A notre arrivée chez l’intendant régional, nous lui avons remis 90 000 F CFA, à raison de 15 000 F CFA la fiche, et celui-ci nous a établi un reçu de 60 000 F pour les 6 fiches et nous a remis la somme de 30 000 F CFA. A mon retour, j’ai remis le surplus des 5 000 F CFA à chacun des 5 autres camarades. Lorsque le proviseur a vu le reçu vers 16h56mn, il m’a appelé sur mon téléphone dans son bureau et m’a envoyé voir le surveillant Sango. Celui-ci m’a dit que la quittance délivrée par le trésorier régional n’est pas valable et il a commencé à me traiter d’escroc, de voleur avant de me renvoyer chez le proviseur. Quand j’ai frappé à sa porte, il m’a ordonné d’entrer et lorsqu’il m’a aperçu, il s’est levé, en présence de mes camarades élèves membres du comité, et a commencé à me bastonner, me donnant des coups de poing et de pied à la figure et au le ventre. Ensuite, il a retiré mes dossiers et les a jetés dans la cour de l’école. Il a fallu l’intervention de certains professeurs pour sauver ma vie. C’est d’ailleurs un de nos profs qui m’a ramené à la maison ce jour-là. Je ne pouvais plus bien parler, ni marcher. Ce n’est que le lendemain que je suis revenu trouver mes effets et mon vélo dans la cour du lycée », a-t-il avoué.
Pour Lucien Kombasséré, la balle est dans le camp des autorités.
Nous avons tenté d’arracher quelques mots au censeur, Emmanuel Compaoré, et au proviseur himself mais ce fut peine perdue. Un tour également chez le préfet du département de Andemtenga ne nous a également pas permis de recueillir sa version de la crise. Il a simplement fait savoir qu’ils étaient à pied d’œuvre pour la résolution de la crise. Aucun professeur, ni un membre du bureau de l’Association des parents d’élèves n’a voulu se prononcer sur le sujet.
Mais une chose est sûre, à l’heure où nous quittions les lieux, le climat était toujours tendu et si rien n’est fait dans l’urgence, la crise risque de perdurer.
Keynes Abdoulaye KOUANDA
(Correspondant)
Légende :
1 – « Nous exigeons le remboursement de nos 5 000 F CFA, réclamons des professeurs et dénonçons l’attitude vandale et gabégique du proviseur », dixit le délégué général des élèves, Abdoul Rahim Kaboré
2 – Les élèves brandissant des pancartes pour exprimer leur ras-le-bol
3 – « J’ai été bastonné plusieurs fois par le proviseur », a avoué Alexandre Pouya, élève en Tle A4
4- Le proviseur, François Guibré, entrant dans son bureau pendant que les élèves exigeaient la satisfaction de leurs revendications
5 – Les élèves, furieux, ont réclamé la présence du DR du MESS avant toute reprise des cours