MANIFESTATIONS VIOLENTES CONTRE CHARLIE HEBDO : Il faut éviter les amalgames

Les dernières caricatures en date de Charlie Hebdo ont provoqué une onde de choc à travers le monde. C’est un truisme de le dire, au regard des nombreuses manifestations de rue contre Charlie Hebdo et, au-delà, contre la France. Ces expressions de mécontentement sont fort compréhensibles. En effet, en caricaturant Mahomet, Charlie Hebdo a touché à ce que les croyants musulmans à travers le monde, ont de plus cher : la religion.

 Les marches de protestation sont donc non seulement compréhensibles, mais aussi normales dans un Etat de droit. Et l’indignation ne s’est pas limitée à la sphère islamique. Le pape François a également dit sa réprobation de ces caricatures. A l’opposé, bien des gens se sont rués dans les kiosques à journaux pour se procurer ce qu’ils considèrent comme l’expression la plus achevée de la liberté de presse. Les millions d’exemplaires vendus à travers le monde en témoignent. C’est donc un sujet qui ne laisse personne indifférent, un sujet qui divise la planète comme l’illustre l’ampleur des manifestations.

Charlie Hebdo ne s’est pas affiché comme un journal des chrétiens

Mais pour légitimes qu’elles soient, ces marches ne doivent pas consacrer l’intolérance. Elles doivent rester dans les limites de la légalité et du raisonnable. C’est en cela que ce qui s’est passé au Niger, est condamnable. En effet, des manifestants à Zinder comme à Niamey, tirant prétexte de leur désapprobation des caricatures de Charlie Hebdo, ont décidé de s’en prendre aux chrétiens nigériens. Des églises ont ainsi été la cible de foules en colère. Des bars n’ont pas échappé à cette expédition punitive. Résultat : près d’une dizaine de morts et de nombreux blessés. Face à cette flambée de violence, le Premier ministre et le chef de l’Etat nigériens ont dû monter au créneau. Epaulés par des leaders religieux musulmans, ils ont pu ramener le calme sur l’ensemble du territoire nigérien. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces violences au Niger sont inadmissibles.

Bien entendu, il y a des raisons de ne pas cautionner l’impertinence du journal satirique français. Il est légitime de crier sa colère quand on estime avoir été insulté dans sa foi. Et c’est pourquoi il est encore une fois nécessaire d’attirer l’attention des journalistes, où qu’ils soient, sur leur responsabilité sociale, surtout quand leurs écrits ou leurs dessins sont préjudiciables à la paix. Evidemment, une bonne partie de la planète aujourd’hui en émoi, aurait aimé que Charlie Hebdo fît l’économie de caricatures de Mohamet, au nom de la paix mondiale. Mais tout cela ne donne ni le droit, ni le devoir d’attaquer d’autres communautés, de tuer les adeptes d’autres religions. Ce, d’autant plus que ces communautés ne sont pour rien dans la publication de ces caricatures. Bien au contraire, elles-mêmes ne sont pas épargnées par la satire  de Charlie Hebdo.  Car, faut-il le relever, ce journal ne s’est pas affiché comme un journal des chrétiens et ceux qui le pensent font preuve d’une ignorance déplorable.

Au demeurant, Jésus-Christ, Boudha, le Pape et bien d’autres symboles d’autres religions ont déjà subi et continueront probablement de subir les railleries de ces mêmes caricaturistes. Et ce n’est pas sans heurter la susceptibilité de ces communautés. Loin de nous l’idée de récuser le droit à l’indignation des musulmans. Ce qui est en cause ici, c’est l’expression débridée, déraisonnable et déraisonnée de leur indignation. Autant il faut condamner les fanatiques musulmans qui tuent au nom d’Allah, autant il faut aussi s’insurger contre  tous les « extrémistes » qui font porter aux chrétiens le chapeau du libertinage dont fait montre Charlie Hebdo. Le prétexte tiré du fait que ce canard existe dans un pays de civilisation judéo-chrétienne, ne tient pas la route.

Les “indignés” nigériens viennent de montrer qu’ils n’ont pas une bonne compréhension de la laïcité

En d’autres termes, il faut éviter les amalgames. Ici comme ailleurs. Et tout le monde doit jouer sa partition. Les Nigériens qui ont été pris par la folie meurtrière contre leurs frères et sœurs dont la faute est d’appartenir à une autre religion, se sont trompés de combat. C’est du reste ce qu’a relevé, à juste titre, le président Mahamadou Issoufou. Ces Nigériens auront manqué une occasion en or pour montrer leur grandeur d’esprit et les valeurs d’amour et de tolérance qui caractérisent l’Islam. Ils sont allés trop loin. Des protestations pacifiques auraient largement suffi à traduire leur indignation. Ils auraient même pu convier à ces manifestations leurs frères et sœurs des autres confessions religieuses. Cela aurait été un bel exemple de cohabitation harmonieuse.

A la vue de cette violence qui n’est rien d’autre que l’expression aveugle d’une intolérance, on ne peut que craindre pour l’avenir. Cela dit, le climat social délétère au Niger a été pour beaucoup dans l’éclatement de ces violences. Le désœuvrement et le chômage massif des jeunes n’y sont, en effet, pas étrangers. Mais, il faut également voir dans ces violences un problème de cohabitation entre adeptes de religions différentes. Et on peut penser que certains leaders radicaux ont pu mettre le feu aux poudres par des prêches déplacés. Cela est inquiétant, surtout avec Boko Haram qui sévit dans la région. En effet, l’extrémisme dont les jeunes manifestants nigériens ont fait preuve, ne serait pas pour déplaire à la secte islamiste qui rôde aux frontières du Niger. Bien au contraire ! Le mouvement terroriste d’Abubakar Sekhau pourrait s’imaginer que  le terrain nigérien lui est favorable, si rien n’est fait. Boko Haram pourrait, à cette allure, penser qu’elle peut avoir des adeptes au Niger et travailler à s’y installer. Aux autorités nigériennes de faire attention.

Toujours est-il que les derniers événements survenus dans ce pays, sont révélateurs d’un fait :  les “indignés” nigériens viennent de montrer à la face du monde qu’ils n’ont pas une bonne compréhension de la laïcité.  Quel sens ces Nigériens qui s’arrogent le droit de tuer les chrétiens du pays et de saccager leurs lieux de culte,  donnent-ils à cette notion ? Tout porte à croire que ces gens ignorent tout de la portée d’une telle disposition constitutionnelle. Sont-ils seulement conscients que la laïcité consacre le droit, pour chacun, de croire en la religion de son choix, ou même de ne croire en aucune religion ? Vraisemblablement, non. Et cela est bien dommage. Pour éviter toute récidive, les criminels doivent être appréhendés et sanctionnés à la hauteur de leurs forfaits. Au nom de la République et de ses valeurs, les autorités nigériennes ne peuvent se payer le luxe d’être laxistes. Elles ne doivent pas non plus prendre des lois liberticides au motif du tout sécuritaire. Quant à l’opposition nigérienne, elle aurait  pu surseoir, compte tenu du contexte, à sa manifestation. La priorité étant de sauver la cohésion nationale mise à mal par ces actes indignes dans la République.

« Le Pays »