HomeA la uneMAURO GAROFALO (SANT’EGIDIO) : « Seule la paix est sainte »  

MAURO GAROFALO (SANT’EGIDIO) : « Seule la paix est sainte »  


 

À Rome, le temps est au beau fixe en cette journée printanière. C’est au cœur du quartier historique de Trastevere que se niche le quartier général de la Communauté de Sant’Egidio, une organisation séculière fondée en 1968 par Andrea Riccardi et un groupe d’amis étudiants au lendemain du II° concile œcuménique du Vatican pour renforcer les liens entre l’Eglise catholique et les pauvres, loin de la ferveur idéologique de mai 68. Aujourd’hui, l’institution, reconnue par le Vatican comme une association laïque d’inspiration catholique, compte plus de 75 000 membres dans 74 pays, dont une trentaine en Afrique. Sa mission : diffuser le message de l’Evangile, venir en aide aux plus démunis, promouvoir le dialogue interreligieux et s’engager dans la prévention et la résolution des conflits. C’est sur le continent africain que la Communauté s’est fait le plus remarquée. La paix signée au Mozambique en 1992 après seize ans de guerre civile et des années de négociations conclues dans une petite salle de leur siège qui servait de réfectoire est probablement leur plus succès. D’autres prouesses ont suivi, dont la dernière en date remonte à fin novembre 2015 avec le voyage du Pape François en Centrafrique. « Au regard des tensions qui régnaient dans le pays à l’époque, tout le monde craignait cette visite officielle », se souvient Mario Garofalo. Tout le monde sauf le Pape. « Rien n’aurait pu l’arrêter », souligne celui qui a fortement à ce séjour historique, aussi bien pour les Centrafricains que pour le Saint-Siège.

Malgré un agenda chargé, Garofalo vous accueille dans les locaux de Sant’Egidio avec un sourire radieux. L’homme qui nous guide dans cet ancien couvent de Carmélites, est en contact permanent avec des chefs d’Etat, des Premiers ministres, des responsables de l’opposition et des chefs rebelles. Car, telle est la marque de fabrique de Sant’Egidio : construire la paix en réunissant à la même table et en toute discrétion, des leaders qui dans un contexte différent de l’atmosphère feutrée de la Communauté, ne s’adresseraient même pas un mot.

Au risque parfois de subir quelques revers ou de déplaire. Ce fut le cas avec la guerre civile algérienne dans les années ’90 ou les tentatives de promouvoir un dialogue entre les rebelles Hutu Rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda qui sévit dans le Kivu, à la frontière congo-rwandaise, et le gouvernement de Kigali. Dans cet entretien, Garofalo nous livre ses réflexions sur le dialogue interreligieux en Afrique, ses défis, ses obstacles et ce que les leaders religieux peuvent et doivent apporter pour faire face à la violence extrémiste qui fait appel à la religion. « Malheureusement l’idée qu’il y ait encore des guerres de religion est toujours en vogue, tout comme la conviction que certains conflits cachent une opposition violente entre religions. Ce genre de discours doit être réfuté. Seule la paix est sainte, la guerre jamais ».

Depuis 1986, la Communauté de Sant’Egidio organise chaque année une rencontre internationale réunissant des leaders de religions différentes pour favoriser le dialogue interreligieux. Quel est l’impact de ces Journées de prières pour la paix des religions mondiales ?

Les religions ont dans leur racine une grande énergie de paix, mais depuis 1986, les religions ont été manipulées pour promouvoir la violence. Le message de paix que nous promouvons ces trente dernières années, n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui et vital pour le vivre en commun. L’aide et l’intervention de leaders et responsables religieux est déterminante pour la résolution de nombreux phénomènes ou crises qui touchent nos sociétés.

Comment expliquez-vous cette difficulté à promouvoir les religions comme instruments de paix plutôt que de violence ?

Malheureusement, l’idée qu’il y ait encore des guerres de religion est toujours en vogue, tout comme la conviction que certains conflits cachent une opposition violente entre religions. Ce genre de discours doit être réfuté. Seule la paix est sainte, la guerre jamais. L’Etat Islamique montre à quel point ce genre d’organisations sont nocives à la religion, et dans ce cas à l’Islam. Ceci est clair pour les grands théologiens musulmans et à l’Imam d’Al-Ahzar, invité récemment par Sant’Egidio à Paris où il a rendu hommage aux victimes du terrorisme au Bataclan, et à tous les imams soit disant « modérés », un terme qui ne devrait pas être utilisé par ailleurs…

Pour quelles raisons ?

Pour ma part, je suis un chrétien convaincu, je crois en l’évangile et je veux y croire avec conviction, sans modération, dans le respect des autres religions.

Quelles sont les initiatives menées par Sant’Egidio pour favoriser le dialogue interreligieux en Afrique ?

Sant’Egidio peut agir de manière différente pour soutenir le dialogue interreligieux. Il y a les Journées de prières et les initiatives pour la paix que nous menons depuis les années ’70.  Dans les années les plus récentes, la Journée de prières pour la paix des religions s’est étendue dans de nombreuses villes à travers le monde, y compris en Afrique. Du Sénégal au Madagascar, de l’Afrique du Sud au Soudan, nous sommes présents dans 32 pays africains. Chaque communauté africaine, aussi petite soit-elle, organise des évènements pour promouvoir le dialogue entre les religions. Le dialogue est inscrit dans les chromosomes de chacune de ces communautés. Concrètement, cela signifie renforcer le dialogue entre chrétiens et musulmans. Sant’Egidio est reconnu pour son engagement en faveur de la paix en Afrique et son implication dans de nombreuses négociations politiques entre gouvernements, mouvements rebelles, oppositions et sociétés civiles.

Qu’est-ce qui différencie l’action que vous avez menée en Côte d’Ivoire de celle que vous menez en République centrafricaine ?

En Côte d’Ivoire nous avons abattu un grand travail pour rapprocher les différents partis et plateformes politiques lors des phases les plus critiques du conflit ivoirien. Je me souviens des allers et retours effectués par Mario Giro [actuel Vice-Ministre italien des Affaires Étrangères en charge de la coopération internationale, ndr] entre Gbagbo et Ouattara lorsque la crise était à son pic, sans oublier la participation à l’élaboration des documents de Marcoussis et de Washington. Contrairement à la Cote d’Ivoire, en République centrafricaine, l’Etat était et reste très faible, ainsi qu’un tissu social extrêmement fragile. En RCA, nous avons travaillé et continuons à travailler à tous les niveaux : avec les partis politiques, les communautés religieuses et surtout les groupes armés actifs sur l’ensemble du territoire centrafricain.

Sant’Egidio est actif sur le continent africain depuis les années 70. Quelle différence percevez-vous entre les menaces qui pèsent sur le dialogue interreligieux aujourd’hui par rapport à il y a 20 ou 30 ans ?

C’est une question complexe car les crises diffèrent d’une région à l’autre, dans le temps et dans l’espace. Celles actuelles touchent de nombreux pays, je pense à Boko Haram aux confins entre le Cameroun, le Nigeria, le Niger et le Tchad, mais aussi le Sahel avec AQMI ou Ansar El Dine, et les Shabaab dans la Corne de l’Afrique et l’Afrique de l’Est. La perméabilité de l’Islam africain, ainsi que la porosité des frontières, ont facilité l’expansion de ces mouvements extrémistes. Après le Moyen-Orient, l’Afrique constitue un véritable test pour la Communauté internationale et sa capacité à lutter contre l’extrémisme, ainsi que pour le dialogue interreligieux pour prouver son efficacité.

Pensez-vous que les communautés chrétiennes africaines sont aussi menacées que celles présentes au Moyen-Orient ?

Au Moyen-Orient les communautés chrétiennes tendent à disparaître, ce n’est pas le cas de l’Afrique. Donc non, je ne pense pas que nos communautés soient menacées sur le continent africain car les sociétés sont beaucoup plus mélangées. Prenons la République centrafricaine. La frontière qui sépare les communautés chrétiennes et musulmanes est beaucoup plus réduite de ce que l’on croit. On le voit avec les mariages mixtes, très nombreux. Mais il faut reconnaître que ces dernières années les rapports se sont tendus.

Quels sont vos sentiments par rapport à l’expansion phénoménale des Eglises évangéliques en Afrique ?

Effectivement, ces dernières années nous avons constaté une diffusion de sectes néo-protestantes qui, parfois, n’ont rien à voir avec leurs églises d’origine. Je pense aux Eglises de la prospérité, avec leurs prophètes et prédicateurs qui remplissent les stades. Leurs messages laissent très perplexes car ils sont très éloignés du message évangélique. Quel est le rapport entre l’évangile et le concept du « miracle money », l’argent facile à travers lequel ces prédicateurs convainquent leurs fidèles de donner plus pour recevoir plus. Malheureusement, les églises traditionnelles, et en particulier celles catholiques, ont du mal à faire face à ce phénomène.

Face à la montée des mouvements extrémistes islamiques, craignez-vous une radicalisation de ces Eglises évangéliques, qui par ailleurs, sont très fréquentés par les jeunes Africains ?

Malheureusement, c’est un scénario que nous ne pouvons pas exclure, et ce d’autant plus qu’en Afrique certaines de ces sectes s’identifient avec le pouvoir politique, c’est très préoccupant. Heureusement, le continent africain peut compter sur des leaders religieux très courageux qui, tous les jours, œuvrent pour la paix et le dialogue entre les religions. Je pense à l’archevêque de Bangui,  à certains imams du Nigeria ; il faut soutenir ces leaders religieux et créer des moments et des espaces de dialogue entre les religions.

 De Joshua Massarenti Vita/Afronline (Italie)/Le Pays


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