HomeA la uneME GUY HERVE KAM, PRESIDENT DU MOUVEMENT SENS : « Tant que le régime du MPSR restera entouré par des personnes qui veulent le flatter […] les portes de l’enfer s’ouvriront inévitablement »

ME GUY HERVE KAM, PRESIDENT DU MOUVEMENT SENS : « Tant que le régime du MPSR restera entouré par des personnes qui veulent le flatter […] les portes de l’enfer s’ouvriront inévitablement »


Membre fondateur du mouvement Le Balai Citoyen en 2013, il a été l’une des figures de proue de ceux qui ont manifesté leur opposition à la modification de l’article 37 de la Constitution burkinabè.  Ces mouvements ont abouti à la chute de l’ancien président Blaise Compaoré en fin octobre 2014. Me Guy Hervé Kam est l’invité de Mardi Politique de ce jour.

 

« Le Pays » : Il se dit que Guy Hervé Kam a reçu des menaces de la part des nouvelles autorités. Info ou intox ?

 

Me Guy Hervé Kam : Permettez-moi, avant de répondre, de vous remercier d’être venus à moi dans le cadre de votre mission d’information. Pour ce qui est de votre question, je dois dire que je n’ai reçu aucune menace directe venant des nouvelles autorités quant à mon intégrité physique.  Même si on reçoit de temps en temps   des menaces de la part de certaines personnes qui se disent proches du régime, je ne peux dire que j’ai personnellement reçu des menaces directes du régime. Par contre, je reçois beaucoup d’attaques sur le plan de l’honneur et je sais que celles en cours en ce moment, viennent directement des autorités actuelles.  Je le dis parce que seules ces autorités ont accès aux informations concernant les relations de la SCPA KAM & SOME et si des pans de ces relations se retrouvent sur la place publique, c’est qu’ils viennent des nouvelles autorités et cela est malheureux.

 

 Que vous reproche-t-on ?

 

Je pense que tout cela est lié à mon engagement politique et particulièrement au combat que je mène en ce moment contre les pratiques antidémocratiques et antipatriotiques du régime putschiste qui nous gouverne.  Je pense que c’est cela qui ne plait pas aux autorités et à leurs soutiens et qu’ils pensent, à défaut de pouvoir me contraindre au silence,  discréditer ma parole et mon combat. Mais c’est peine perdue.

 

 Avez-vous peur pour votre intégrité physique ?

 

 La peur est un sentiment normal, comme le disait Nelson Mandela. C’est un sentiment humain. Dire que je n’ai jamais  peur, c’est mentir. Par contre, comme le disait encore le père de la Nation arc-en-ciel, le plus important, c’est de dominer et de vaincre sa peur. Et Dieu merci, jusqu’à présent, j’arrive à vaincre et à dominer cette peur et à me comporter en homme convaincu qui ne se laisse pas abattre ni par la peur, ni par les calomnies.

 

 Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de prédation d’argent public ?

 

 Je ne réponds rien du tout à ceux qui m’accusent parce que je suis convaincu qu’ils savent qu’ils m’accusent sur du faux. Ils savent que c’est de la calomnie, des montages grossiers. Ils le font pour des raisons qu’eux seuls savent. A partir de ce moment, je n’ai rien à dire, sauf peut-être à leur dire qu’ils peuvent continuer, qu’ils peuvent fouiller, gratter jusqu’à la fin de leur vie, mais qu’ils ne trouveront rien parce que tout simplement je n’ai jamais pris et je ne prendrai jamais de liberté ni avec la loi, ni avec les règles éthiques et professionnelles. C’est un serment que j’ai pris et tous les jours, je prie Dieu de me donner la force de le respecter. Ceci étant, ce qui me préoccupe, ce sont ces Burkinabè de bonne foi, qui, souvent, par rapport à ce qui se passe dans notre pays, par rapport au rôle néfaste que le dieu argent joue dans notre pays, se laissent tromper ou doutent par moments. Ils se disent que puisque Me Kam est un être humain, qu’il est un Burkinabè, il se peut que lui aussi fasse comme beaucoup de Burkinabè. C’est à ces personnes que j’ai des choses à dire. C’est à ces personnes que je dis et répète qu’elles peuvent se rassurer parce que je n’ai jamais pris de libertés avec les règles comme je l’ai dit et que jamais, je ne trahirai la confiance qu’elles peuvent avoir eu en moi, à un moment donné de leur vie.

 

 Comment devient-on avocat de l’Etat ?

 

 On peut devenir avocat de l’Etat par plusieurs moyens.  A l’occasion de chaque affaire, l’Etat a le droit de conclure avec un cabinet d’avocats, une convention d’assistance. Cela se fait suivant les règles de la commande publique, de gré à gré ou par  appel à concurrence. Pour ce qui concerne notre cas, puisque c’est certainement ce qui vous intéresse, en 2016, l’Etat a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour le recrutement de 3 cabinets d’avocats. Nous en avons eu connaissance par l’intermédiaire du bâtonnier de l’ordre des Avocats de l’époque, qui a porté l’information à la connaissance de tous les avocats du Burkina. 7 cabinets dont le nôtre ont manifesté leur intérêt. Sur les 7 cabinets d’Avocats, 4 ont été retenus. Les 3 autres ne remplissaient pas toutes les conditions requises. Les 4 qui ont été retenus ont été invités à introduire une offre technique et financière. Nous l’avons fait.   Sur les 4 cabinets qui avaient été retenus, malheureusement, 2 ont été écartés, l’un pour n’avoir pas déposé son dossier à temps et l’autre pour avoir adressé son dossier à l’Agent judicaire de l’Etat au lieu de le faire au ministre de l’Economie et des finances comme cela a été indiqué. Nous restions donc 2 cabinets en compétition pour le recrutement de 3 cabinets d’avocats. Selon les exigences, il fallait avoir la note technique minimale de 80 sur 100 pour l’offre technique et une note définitive supérieure à 75. Les 2 cabinets qui restaient en compétition ont tous rempli ces exigences et ont donc été retenus.  Les résultats ont été régulièrement publiés dans la revue des marchés publics et il n’y a eu aucun contentieux là-dessus. Voilà donc comment la SCPA Kam & Somé a  été recrutée suivant les règles de la commande publique comme conseil de l’Etat. Vous voyez donc que ce n’était pas à cause de nos beaux yeux ou d’une quelconque proximité avec le régime MPP. D’ailleurs, qui connait aujourd’hui le Cabinet qui avait été retenu avec nous ? Personne. Ce qui intéresse les détracteurs, c’est juste pouvoir élever des critiques contre Maître Kam.

 

Si ce n’est pas un secret, pouvez-vous dire au peuple ce que vous avez obtenu, en termes d’honoraires dans certains dossiers que vous avez défendus, notamment celui du CDP contre l’Etat burkinabè en 2015 et celui de PAN AFRICAN contre l’Etat burkinabè appelé à tort ou à raison affaire Tambao ?

 

Je dois préciser que ce dossier est celui du Code électoral ou de la loi Shérif, c’est selon. Pour ce dossier, je ne sais pas pourquoi il y a un tel acharnement sur la SCPA Kam et Somé. Pourquoi un tel acharnement sur la personne de Me Kam ? En réalité, dans cette affaire, l’Etat a conclu avec 4 cabinets  dont 2 au Burkina Faso ; un cabinet burkinabè de très grande renommée, respecté et respectable et notre cabinet. Il y avait  aussi un très grand cabinet nigérian spécialisé sur ces questions et un consultant français également spécialisé en la matière. Dans cette affaire, le chef de file n’était pas la SCPA Kam et Somé, comme cela se devait mais l’autre cabinet d’avocats burkinabè. C’est ce cabinet qui a signé le contrat avec l’Etat. Il se dit que nous avons reçu tantôt 500 millions de F CFA, tantôt un milliard de F CFA. Je  ne  sais pas où les gens sont allés chercher ces montants. Ce que je sais par contre, c’est que la SCPA Kam et Somé a reçu 26 millions de F CFA en tout et pour tout comme honoraires dans cette affaire. Puisque les autorités n’ont rien trouvé de mieux à faire que de faire fuiter des informations sur les rémunérations du Cabinet Kam & Somé dans ses relations avec l’Etat, et bien, qu’elles fassent fuiter aussi le contrat conclu dans ce dossier pour montrer au peuple burkinabè comment le cabinet Kam et Somé a 500 millions ou un milliard de FCFA d’honoraires dans cette affaire.

 

Combien de nos francs étaient-ils en jeu dans cette affaire dite CDP contre l’Etat burkinabè ?

 

Pour ce dossier, je ne me rappelle pas à combien était estimée la demande financière du CDP et des personnes concernées, mais en la matière, les honoraires de résultats ne sont pas fondés sur un pourcentage de la demande parce que tout résultat n’est pas que matériel. Pour le dossier Tambao, je dois préciser que lorsque le dossier est arrivé sur la table de l’Etat burkinabè, la SCPA Kam et Somé avait déjà un contrat d’assistance avec l’Etat, comme je viens de l’expliquer. Mais nous n’avons pas été les avocats à qui l’Etat a confié le dossier. Il a plutôt choisi de contourner notre cabinet pour contracter   d’autres avocats burkinabè. Ce qui est son droit. Dans le même temps, nous avions été sollicités par Pan African pour la défendre dans cette même affaire. A l’époque, j’avais dit à mes associés que mon rôle social ne me permettait pas de défendre Pan African dans ce dossier. C’est pourquoi nous n’avions pas donné suite à cette demande. Un jour, l’Etat est revenu vers nous parce qu’il ne s’est pas entendu avec les autres. Nous lui avons expliqué qu’ayant déjà un contrat avec lui, nous n’avons pas de conflit d’intérêts et que nous étions disposés à l’assister dans ce dossier. C’est comme cela que nous sommes rentrés dans ce dossier. Après étude du dossier, alors que les représentants de l’Etat et l’opinion publique en général pensaient que ce dossier était perdu et qu’il fallait négocier avec Pan African,  nous avons   dit aux autorités de l’époque, lors du briefing, que nous pensons qu’il y a une forte chance de gagner ce dossier et qu’il fallait la  saisir. Personne ne nous croyait. Finalement, c’est le ministre de l’Economie et des finances de l’époque, Me Hadizatou Rosine Coulibaly/ Sory, qui a dit que si  les avocats pensent que l’Etat a une chance, il fallait leur faire confiance. Personne n’y croyait.  Dans cette affaire, si nous avions perdu, nous n’aurions rien reçu comme honoraires de résultat parce qu’à part les honoraires d’instance et de diligence, le reste était des honoraires de résultats. Il fallait un résultat positif et c’était sur ce résultat que notre rémunération était basée. Nous y sommes allés et nous avons gagné brillamment. Ce qui a permis à l’Etat d’éviter le paiement de la somme de 2 181 280 853   dollars US ce qui représentait quelque part la moitié du budget de notre pays, c’est-à-dire plus de 1 134 milliards de F CFA si vous prenez le taux du dollar américain au jour de la décision du Tribunal arbitral. L’Etat a récupéré la mine de Tambao, il peut en faire ce qu’il veut.    Suivant le contrat qui nous liait à l’Etat, il était prévu des honoraires de résultat au taux de 11,8% (toutes taxes comprises) du montant du litige. Si vous faites le calcul, ça vous ramène à la somme de plus de 130 milliards de F CFA à laquelle nous aurions pu prétendre. Mais dans cette affaire, nous avons perçu en tout et pour tout, 700 millions de F CFA TTC au titre des honoraires de résultat. Cette somme comprend bien entendu les sommes que nous avons payées à des tiers qui sont intervenus dans le dossier sous notre couvert.   Je peux vous rassurer que lorsqu’on a enlevé les TVA de ce montant et les sommes que nous avons payées aux tiers, notre cabinet à reçu en tout et pour tout autour de 400 millions de F CFA. Si nous étions des prédateurs de ressources,  c’était facile de garder le taux contractuel et de l’appliquer. De toute façon, si on ne gagnait pas le procès, nous n’avions rien. Et si on gagnait, nous avions plus de 133 milliards de F CFA en toute légalité. Quand on fait cela, je pense que les autorités actuelles qui le savent, puisque le ministre des Finances actuel était le Secrétaire général du ministère des Finances à l’époque, doivent se taire et nous respecter.  Après ce procès, personnellement, j’ai été invité par de grands centres d’arbitrage pour  partager cette expérience parce que  c’est très  rare que les Etats gagnent  devant les instances judiciaires, notamment les instances d’arbitrage. Mais au Burkina Faso, nous n’avons eu absolument aucune reconnaissance. Au contraire, on tente par tous les moyens de nous jeter le discrédit parce que, malheureusement, ce qui intéresse les gens, c’est combien nous avons gagné et non combien nous avons pu faire économiser à l’Etat. C’est triste !

 

 Voulez-vous dire que vous avez renoncé à 134 milliards de F CFA pour vous contenter de 700 millions de F CFA ?

 

 Je ne veux pas dire, ce sont les faits. Dans notre pratique professionnelle, il y a des honoraires de base, des honoraires de résultat et des honoraires de recouvrement. Dans le contrat que nous avons signé avec l’Etat, les honoraires de résultat étaient prévus aux taux de 11,8% (toutes taxes comprises) sur le montant de la demande. Ce que nous avons obtenu comme résultat pour l’Etat, était de l’ordre de 1 134 milliards de F CFA.   Cela ne peut pas être contesté parce que ce sont des faits. Les honoraires que nous avons perçus aussi sont là.

 

Quelles sont vos relations avec vos anciens camarades du Balai citoyen ?

 

Nous avons de très bonnes relations avec nos anciens camarades. Ce qui nous unissait, n’était pas des questions de personnes mais des valeurs. Le Balai citoyen est un ensemble de personnes de toutes origines sociales, des salariés du privé et du public, des étudiants, des producteurs et des personnes du secteur informel qui partagent des idéaux de démocratie, qui se sont retrouvés pour fonder un mouvement. Nous avons quitté le mouvement pour avoir un engagement politique plus affirmé mais pour nous, ça ne change rien à nos relations qui sont bâties sur des valeurs. Pour moi, une organisation comme le Balai citoyen est une école de formation, à l’instar d’autres organisations sérieuses de la société civile. Je ne parle pas de tous ces mange-mil et autres pies qui pullulent en ce moment. Il est bien que ceux qui font ces écoles de formation, puissent se donner les moyens de mettre en pratique, dans le jeu politique, ce qu’ils ont appris et l’expérience acquise. C’est ainsi que nous arriverons, petit-à-petit, à assainir la scène politique. Je suis plus que jamais convaincu que la veille citoyenne est bonne et même nécessaire, mais qu’elle ne suffit pas.

 

Comment vous sentez-vous, lorsque vous voyez dans certaines vidéos, des personnes qui vous insultent, vous accusant de tous les péchés d’Israël ?

 

Quand je vois cela, contrairement aux objectifs que les auteurs peuvent viser, ça me pousse davantage à continuer le combat, la défense de l’idéal pour lequel je me bats. Cela, pour la simple et bonne raison que je comprends qu’il y a toujours et encore des personnes qui sont prêtes à tout pour des intérêts bassement égoïstes et bassement matériels pour décourager celles qui s’engagent au profit de la communauté.  Quand on vous fait ça et que vous abandonnez, vous leur donnez raison, vous leur offrez une victoire qu’ils ne méritent pas. Si vous abandonnez à cause de calomniateurs, vous abandonnez une lutte mais aussi et surtout, des gens qui ont cru en vous. Chaque jour que je vois ou que j’entends ces insultes ou ces accusations infondées et que l’envie d’abandonner me visite, ma conscience m’interpelle. Elle me dit, Hervé, ne te laisse pas abattre par la méchanceté des gens mauvais ; lève-toi et marche car tu as encore des combats à mener pour faire changer les choses pour la majorité des Burkinabè.

 

« Notre pays est tombé bas mais il peut s’en sortir »

 

 

Comment entrevoyez-vous l’avenir du Burkina Faso ?

 

 J’aime dire que dans toutes les difficultés qui se posent à une personne,  à une entreprise ou à un Etat, il appartient à cette entreprise, à cette personne ou cet Etat de trouver une opportunité de transformer ces difficultés en opportunités. Le terrorisme a frappé le Burkina Faso. Il a fait près de 2 millions de déplacés internes, près de 3 millions de compatriotes en insécurité alimentaire, plusieurs centaines de personnes tuées, etc. Il a fait reculer la présence de l’Etat qui n’était pas fameuse à certains endroits du pays. Il a fait fermer près d’un millier d’écoles, prenant ainsi une hypothèque dangereuse sur l’éducation de nos enfants. Malgré tout, notre conviction est qu’il n’est pas impossible pour le peuple burkinabè de s’en sortir. Mais il ne suffit pas de le dire. Il faut que chacun de nous, à quelque niveau qu’il soit, ait déjà une pleine conscience de son rôle et un sens élevé de ses responsabilités dans ce changement nécessaire et le combat qu’il doit mener pour voir réussir ce changement.

 

« Nous mènerons le combat qu’il faut pour que cette transition soit recadrée pour le bien du peuple burkinabè »

 

J’ai eu l’occasion de rencontrer le Lieutenant- colonel Damiba et je lui ai dit qu’il avait personnellement une responsabilité plus grande que chacun d’entre nous, parce qu’il a fait un coup d’Etat et que par malheur ou  par bonheur pour lui, le coup d’Etat a été toléré. Mais que cette tolérance n’est pas un chèque en blanc et qu’à la fin de la transition, on retiendra que Damiba a échoué ou que Damiba a réussi. Et pour cela, il avait une responsabilité personnelle directement engagée à mettre le pays sur la voie de la reconquête totale du territoire, du retour des déplacés, de la résolution de la crise humanitaire et du retour à l’ordre constitutionnel normal. Il ne peut pas le faire comme il est en train de le faire en divisant le pays davantage. Pour le faire, le lieutenant-colonel Damiba a besoin de l’unité nationale et de la cohésion sociale à ne pas confondre avec la réconciliation amnésie qu’il veut servir. L’unité nationale et la cohésion sociale ne s’imposent pas par la force ; elles ne se décrètent pas. Il faut en créer les conditions. Et tant que le régime du MPSR restera entouré par des personnes qui veulent le flatter pour trouver leurs moyens de subsistance, les portes de l’enfer s’ouvriront inévitablement ; pas seulement pour lui seul, mais pour tout le Burkina Faso. Mais s’il prend conscience de sa responsabilité historique et décide de recadrer les choses, le peuple burkinabè n’aura aucun mal à s’unir comme un seul homme pour nous permettre de sortir de cette ornière. Nous, de notre part, nous mènerons le combat qu’il faut pour que cette transition soit recadrée pour le bien du peuple burkinabè. Mais nous disons que le lieutenant-colonel Damiba peut abréger la souffrance des populations en prenant conscience lui-même que pendant les 7 mois passés, il n’était pas sur la bonne voie, et décider de se mettre sur la bonne voie.

 

Que pensez-vous de la problématique du pouvoir kaki dans la sous-région ? (Mali, Guinée, Burkina Faso)

 

 C’est dommage ! C’est la preuve, s’il en fallait, de l’échec de la démocratie telle que nous l’avons adoptée. Mais dans la vie des nations, ce sont   des étapes possibles, souvent même utiles. Personnellement, je n’ai aucune sympathie pour les coups d’Etat. Mais il faut toujours prendre ce qui se passe dans la vie d’un pays comme une expérience sur laquelle il faut se dresser pour bâtir l’avenir. Avant le coup d’Etat de Damiba, beaucoup de Burkinabè, surtout la frange jeune, étaient convaincus que l’armée était la solution. Ces jeunes ont le mythe du militaire intègre et compétent. Ils ont le mythe que la tenue transforme tout le monde en Thomas Sankara. Ils oublient que Thomas Sankara n’était pas intègre parce qu’il était militaire mais qu’il était un homme intègre en tenue militaire, et que donc, ce n’est pas la tenue qui rend intègre, mais l’intégrité qui donne de  la valeur ajoutée à la tenue militaire. Je pense que le simple fait, pour la génération actuelle, notamment les plus jeunes, de voir les militaires à l’épreuve du pouvoir d’Etat, aux antipodes de ce que Thomas Sankara a fait et a été, va faire en sorte que plus jamais, personne ne souhaitera de nouveau voir l’armée au pouvoir. La situation actuelle va faire en sorte, et c’est ce que je souhaite, que le coup d’Etat de Damiba soit le dernier coup d’Etat dans notre pays.  Je pense que cela est aussi valable pour l’ensemble des pays ouest-africains qui sont dans cette situation.

 

« Parmi les partis politiques et les OSC qui se créent aujourd’hui, il y a du bon, du mauvais, et du très mauvais »

 

Quelle lecture faites-vous de la recomposition en cours de la classe politique au Burkina Faso ?

 

Je note que le coup d’Etat du 24 janvier 2022 a précipité une chose qu’on voyait venir : c’est la fin de la génération 1983. Je parle de tous ces Burkinabè qui ont géré le pays depuis 1983 et l’ont pris en otage jusqu’à ce jour. Le coup d’Etat du 24 janvier a créé les conditions de l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes politiques. Dans ce sens, tout ce qu’on voit, c’est-à-dire le printemps des partis politiques et des organisations de la société civile, est tout à fait normal. Au début de l’hivernage, lorsque vous semez, il y a  le bon grain qui pousse, mais il y a aussi la mauvaise herbe qui va pousser. Parmi les partis politiques et les OSC qui se créent aujourd’hui, il y a du bon, du mauvais, et du très mauvais.  Maintenant, c’est au peuple de faire le tri de sorte que ceux qui avancent soient les bons ou au pire des cas, les moins mauvais et que ceux qui constituent la mauvaise herbe, meurent.

 

Djibrill Bassolet avait bénéficié d’une sortie médicale hors du pays. A la grande surprise des Burkinabè, il a été aperçu à N’Djamena au Tchad.  Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

 

Pour beaucoup de compatriotes, ce n’était pas seulement une surprise. C’était une honte pour le Burkina Faso. C’est un discrédit jeté sur notre pays, sur tous les démocrates et particulièrement sur notre Justice que de voir une personne sous-main d’une justice en train de se promener et d’exécuter des missions personnelles ou pour le compte d’un Etat étranger. Quelle image le Burkina Faso donne-t-il ? Je pense que ce n‘est pas bien. Ce qui s’est passé en 2014 était aussi une réaction du peuple burkinabè contre l’injustice et contre l’inégalité devant la loi.  Ce que nous voyons depuis le coup d’Etat du 24 janvier 2022, c’est le retour de l’illégalité, une tentative de contrôle de la Justice par les autorités politiques, le retour des magistrats couchés. Dans la justice, on distingue les magistrats debout, composés des procureurs et leurs substituts qui sont debout lorsqu’ils prennent la parole à l’audience, et les magistrats assis, composés des juges qui sont assis lorsqu’ils jugent. Mais ce que l’on voit depuis le 24 janvier 2022, en tout cas en ce qui concerne la Justice militaire, ce sont de plus en plus des magistrats couchés. Le cas de Djibrill Bassolet en est un exemple mais aussi le cas de Gilbert Diendéré qui a bénéficié très récemment d’une permission en toute illégalité, en toute violation de la loi de la part de juges qui ont prêté serment. C’est dangereux pour notre pays.  Je précise que je n’ai absolument aucun problème personnel ni avec Gilbert Diendéré, ni avec Djibril Bassolet, ni avec ceux qui bénéficient de ces mesures irrégulières.  Quand je dis cela, je pense plutôt à ce qui doit constituer le socle de la démocratie, à savoir l’égalité devant la loi et la justice. Si nous détruisons cela, nous faisons le lit des mécontents et nous créons le lit de l’injustice. A ce propos, j’aime à reprendre les propos de Martin Luther King qui disait que « la paix n’est pas l’absence de violence mais la présence de la justice ». Si donc on sème l’injustice, on ne doit pas s’étonner de ne jamais avoir la paix.

 

Y a-t- il eu des tentatives de caporalisation de la Justice par les  nouvelles autorités ?

 

Ce n’est pas seulement une tentative de caporalisation de la Justice, mais de toutes les institutions de la République. Pour la Justice, au-delà de ces décisions irrégulières qui ont été prises par des juges parce qu’ils ont sans doute été incités à le faire, il y a que le chef de l’Etat n’a pas craint d’écrire au Conseil supérieur de la magistrature pour lui demander de relever certains magistrats de leurs fonctions. C’est scandaleux tout simplement et c’est inquiétant. Hormis la Justice, vous noterez qu’aujourd’hui, le Conseil supérieur de la communication (CSC) ne fonctionne pas par la faute directe et personnelle du chef de l’Etat qui refuse de signer le décret qui nomme son Président, malgré une décision de Justice. On voit clairement une tentative de mettre sous ordre, les institutions importantes de la République. Quand on prend l’Assemblée législative de Transition (ALT), l’instance législative est déjà sous ordre. Sur 71 membres, le président, à lui seul, a désigné 36, soit plus de la moitié. Ainsi donc le chef de l’Etat a le contrôle de l’Exécutif et du Législatif et il veut en plus contrôler le Judiciaire et la presse. Finalement, quand on parle de refondation, comment le citoyen qui constate cela, peut-il croire à la parole de l’Etat, à la parole des dirigeants ?

 

A-t-il pu  relever ces magistrats  ou pouvez-vous en dire davantage ?

 

 Heureusement, nous constatons que dans les faits, ces lettres sont restées sans suite. Les Burkinabè peuvent se sentir heureux d’avoir pris des textes qui font aujourd’hui que notre Justice est une Justice indépendante.  J’aime le dire, au regard des textes, nous avons l’une des justices les plus indépendantes qui existent dans le monde.  A un certain moment, nous avons douté que ces mesures étaient bonnes, parce que nous nous posions la question de savoir si nous n’avions  pas donné trop de pouvoirs, trop de libertés aux magistrats. Nous nous demandions : qui jugera les juges ? Mais aujourd’hui, avec toutes ces tentatives d’immixtion dans la justice, nous nous disons qu’heureusement, par l’effet positif de l’insurrection, la Justice a été indépendante et que vous avez beau être chef de l’Etat et militaire, vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez. Maintenant, on ne peut pas empêcher des magistrats, individuellement, de choisir de respecter la volonté d’une personne plutôt que de respecter la volonté de la loi.

 

Craignez-vous le retour probable de la formule selon laquelle : « Si tu fais, on te fait et il n’y a rien »  ?

 

 Dieu merci, notre pays a une histoire. Dans cette histoire, il y a l’affaire David Ouédraogo et l’affaire Norbert Zongo qui ont permis une sorte de prise de conscience de la population et qui ont renforcé le sentiment de liberté du peuple burkinabè.  Aujourd’hui, quand on voit comment les choses se passent, on a l’impression qu’il y a la volonté de gouverner par la menace et la peur. Cela veut dire, en d’autres termes, le retour du « si tu fais, on te fait et il n’y a rien ».  Sauf qu’heureusement, on peut dire aujourd’hui, « si tu fais, on te fait » mais on ne peut pas dire si tu fais, on te fait et il n’y a rien. Le « il n’y a rien » n’est plus certain parce que le peuple burkinabè, à partir de son expérience et de son histoire, ne va pas oublier, ne va pas permettre cela et c’est sans doute ce qui fait qu’aujourd’hui, ceux qui nous dirigent sont prudents. C’est l’occasion de dire au peuple burkinabè, attention, battez-vous pour conserver jalousement les avancées démocratiques, notamment les libertés  que nous avons eues par le sacrifice de Norbert Zongo !

 

Issa SIGUIRE

 


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