MEDIATION RUSSE ENTRE LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD : Quand un vendeur d’armes s’érige en négociateur de la paix
Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, a invité ses homologues du Soudan Ibrahim Ghandour et du Soudan du Sud, Barnaba Marial Benjamin, à une rencontre tripartite à Moscou en vue d’une normalisation des relations bilatérales entre les deux voisins de la Corne de l’Afrique. C’est également l’occasion, on s’en doute, pour la Russie de proposer à chacun de ses invités, une offre de médiation pour éteindre les braises politico-sociales qui menacent leur propre existence, surtout celle du Soudan du Sud qui est en proie à une guerre civile dévastatrice déclenchée au lendemain de son indépendance en juillet 2011. En décidant de mettre les mains dans le cambouis, Moscou a certainement pris la mesure du gigantisme de la tâche, mais espère toutefois tirer profit, économiquement surtout, d’un éventuel rapprochement entre les deux Etats et d’une signature, somme toute hypothétique, d’un accord de paix durable entre les frères ennemis du Soudan du Sud. Les relations plutôt bonnes qu’entretient Moscou avec le Soudan de El Béchir, et la relative neutralité de la Russie dans le conflit qui déchire le Soudan du Sud et qui lui vaut une certaine confiance de Juba, pourraient faciliter la tâche à la diplomatie russe dans cette médiation qu’elle entame depuis ce mercredi 9 septembre, afin de faire respecter les accords bilatéraux relatifs aux exportations de pétrole et à la sécurité à leurs frontières respectives, signés entre les deux Etats. Depuis plusieurs années, et c’est un secret de Polichinelle, Moscou livre des équipements militaires au pays du Général El Béchir, malgré l’embargo sur les armes décrété par le Conseil de sécurité contre Khartoum. C’est d’ailleurs une partie de ces armes qui est envoyée aux partisans de Riek Machar, afin de leur permettre de tenir la dragée haute aux troupes de Salva Kiir, et le Soudan n’a d’ailleurs jamais fait mystère de son soutien à la rébellion de son voisin du sud.
L’investissement de la Russie dans le rapprochement des deux Soudan n’est pas désintéressé
La Russie peut donc se prévaloir de son « entente cordiale » avec le Soudan pour exercer indirectement des pressions sur les hommes de Riek Machar qui occupent de vastes territoires, riches en pétrole, de l’autre côté de la frontière, afin qu’ils fassent des concessions indispensables au retour de la paix dans leur pays. Du côté de Juba, la médiation russe pourrait également être vue d’un bon œil, le président Salva Kiir ayant à plusieurs reprises manifesté son agacement vis-à-vis des injonctions de Washington avant de signer, à contre-cœur, l’accord de paix avec la rébellion. L’un dans l’autre, et sous réserve des rebondissements et des volte-face auxquels nous ont habitués l’actuel président du Soudan du Sud Salva Kiir et son ennemi juré et chef de la rébellion, Riek Machar, on peut dire que cette médiation de la Russie a des chances de réussir là où près d’une dizaine de rounds de négociations ont piteusement échoué. Car, la paix au Soudan du sud ne peut être gagnée si on exclut du jeu son puissant voisin du nord qui n’en finit pas de ruminer sa colère et de tirer les ficelles de la guerre, depuis qu’il a perdu l’essentiel de ses réserves pétrolières au profit du nouvel Etat du sud. L’investissement de la Russie dans le rapprochement des deux Soudans et dans la recherche de la paix dans chacun des deux pays, n’est certainement pas désintéressé, et il serait naïf de croire que Moscou se contenterait de simples lauriers diplomatiques. Non, il y a certainement mieux que ça à gagner pour cette Russie actuellement avide de pétrole et dont les magasins d’armes sont pleins à…crépiter, et c’est peu de dire que les deux voisins soudanais lui offrent une belle occasion de faire « d’un tir, 3 victimes » : elle pourrait, en effet, déclasser la Chine en tant que principal acheteur du pétrole sud-soudanais, et principal investisseur dans le secteur pétrolier, supplanter les Etats- Unis dans le rôle de partenaire incontournable du pays de Salva Kiir, et mettre fin aux ambitions d’Israël d’être le premier partenaire commercial du nouvel Etat. Si on peut se féliciter de cette initiative pour le moins inédite de la Russie, il ne faut certainement pas croire au discours diplomatiquement hypocrite que le ministre russe des Affaires étrangères, Serguéi Lavrov, pourrait être amené à débiter sur les efforts de Moscou qui n’auraient pour unique objectif que de mettre fin au drame humain dans cette partie de l’Afrique, surtout quand on sait que le pays de Lénine a plusieurs fois escaladé les murs de l’ONU pour aller livrer des engins de la mort à des belligérants en Afrique et ailleurs dans le monde.
Espérons que les frères soudanais n’iront pas à Moscou pour boire de la Vodka et repartir chez eux, Kalachnikov en bandoulière, et qu’ils auront suffisamment de lucidité pour traduire sur le terrain les propositions de paix qui sortiront de ces énièmes conclaves, sans pour autant accepter, en contrepartie, que leur pétrole soit « syphonné » à vil prix et leurs territoires inondés d’armes de tous calibres achetées à plusieurs milliards de roubles.
Hamadou GADIAGA