MELEGUE TRAORE, A PROPOS DE LA PRESIDENTIELLE 2020
Votre rubrique « Mardi Politique » de ce jour, reçoit comme invité, un homme politique qui n’a pas sa langue dans la poche mais qui, comme il se définit lui-même, reste « modéré » et « courtois ». Il s’agit de Mélégué Traoré, président du Haut conseil du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Nous revenons avec lui sur les circonstances dans lesquelles Eddie Komboïgo a été désigné candidat de l’ancien parti au pouvoir à la présidentielle de 2020.
« Le Pays » : Votre candidat, Eddie Komboïgo, a été élu pour défendre les couleurs du CDP à la présidentielle de 2020. Est-ce une surprise pour vous qui êtes un de ses principaux soutiens ?
Mélégué Traoré : Ce n’est pas une surprise pour moi. Pour être honnête avec vous, depuis un an, je n’ai jamais imaginé que ça puisse être quelqu’un d’autre, surtout que le ministre Jean de Dieu Somda, l’ancien vice-président de la Commission de la CEDEAO et moi-même, avons décidé, en juin dernier, de retirer nos projets de candidature. Il ne restait plus que Eddie Komboïgo et Juliette Bonkoungou, puisque Kadré Désiré Ouédraogo avait déclaré que sa candidature ne se présente pas dans le cadre du CDP, et puis personne d’autre ne se déclarait. Juliette étant absente du pays depuis déjà plusieurs mois, il ne restait plus que Eddie Komboïgo. Je ne suis donc pas surpris qu’il soit le candidat du CDP. Cependant, je suis conscient que ce n’était pas évident pour tout le monde, et que certains n’ont pas aimé cela. Mais, ainsi va la démocratie. On doit, en tout cas, féliciter tous les cadres et les militants du CDP pour leur maturité.
Pourquoi dites-vous que tout le monde n’a pas aimé la candidature de Eddie Komboïgo ?
C’est évident non ? Il y a chez certains, une fixation sur la personne de Eddie Komboïgo. Si fait qu’ils ne voulaient pas de lui et n’en veulent toujours pas comme candidat. Mais à partir du moment où une instance comme le Bureau politique a décidé que Eddie Komboïgo est le candidat, il devient difficile pour un militant de ne pas l’accepter. Je dis bien un militant, car il est visible que certains qu’on a sanctionnés, et qui ont réintégré le parti, n’ont plus le cœur au CDP. C’est leur liberté, sauf que quand on ne se sent plus en phase avec son parti, si on est un homme, on s’en va.
Qu’est-ce qui a fait la différence entre Eddie Komboïgo et les autres candidats (Mahamadi Kouanda et le député Yahaya Zoungrana) ?
Ecoutez, Eddie est le président du parti, les deux autres en sont des militants. Je comprends la candidature de Kouanda. Il a été dans les sphères et l’ambiance qui ont vu naître, non pas le CDP comme il le répète chaque fois, mais l’ODP/MT. Il a beaucoup fait dans le passé pour le parti, et il lui est resté incontestablement fidèle. Beaucoup d’anciens du CDP l’ont quitté. Lui, est resté. Il a sa propre histoire et une légitimité historique. Sur ce plan, je le comprends, mais je ne suis pas d’accord avec la manière dont il aborde les problèmes du parti. De plus, il se trompe en se comparant à Lamizana. Celui-ci a fait l’école jusqu’à un niveau de ce qui serait aujourd’hui un diplôme universitaire. Et surtout, il était un officier supérieur de l’armée française et de l’armée voltaïque quand il a accédé au pouvoir. Il avait une expérience des affaires depuis les années cinquante. Il faut comparer ce qui est comparable. On ne peut comparer la mort au sommeil. Par ailleurs, Kouanda ne le sait sans doute pas, les individus ne peuvent saisir, ni la Cour internationale de Justice, ni le Tribunal pénal international, qui sont toutes deux à La Haye. Le député Yahaya Zoungrana s’était mis au départ dans la perspective de contrer la candidature de Eddie. Nous savons très bien qu’il travaille avec le parti AGIR ; il ne le cache de toute façon pas. Mais il a eu le courage de ne pas quitter le CDP. Il est allé jusqu’au bout de sa candidature ; ce qui n’était pas évident du tout, et il a fait un très bon exposé devant le Bureau politique. Quand il est venu nous présenter sa candidature et son programme, nous tous l’avons trouvé excellent. Tout le monde a apprécié la démarche qu’il a eue en revenant dans la salle avec Eddie, après l’annonce des résultats du vote. Il a alors tenu un discours rassembleur. Le lendemain, je l’ai appelé d’ailleurs pour le féliciter. C’est ainsi qu’on doit se comporter au sein du parti. Son discours a été un modèle du genre. Maintenant que nous avons notre candidat, j’espère qu’il va abandonner AGIR et jouer pleinement son rôle au sein du CDP. Ce serait apprécié par tous, y compris, je pense, le président d’honneur du parti.
Comment pouvez-vous accepter qu’un militant dont vous dites qu’il travaille pour un autre parti, soit candidat aux primaires de votre parti ?
C’est un débat qu’on aurait pu ouvrir mais en l’état actuel du CDP, où faire le plus large rassemblement possible, est capital, nous sommes amenés à accepter cela. Autrement, à partir du moment où un militant du CDP déclare soutenir un candidat hors du parti, on devrait l’exclure. De toute façon, s’il est honnête avec lui-même, et se respecte, s’il a de la dignité, un tel militant doit quitter le CDP.
Dans le fond, il n’y avait qu’un seul candidat aux primaires du CDP : Eddie Komboïgo !
Non ! Il n’y avait pas un seul candidat. La preuve est que des gens ont voté pour Yahaya Zoungrana. Et puis, même s’il a été recalé, Kouanda était candidat. Du reste, en tant que citoyen burkinabè, la Constitution lui permet de se présenter. Il faut comprendre que nous sommes dans une situation exceptionnelle aujourd’hui au CDP. Certaines choses se font, qui ne devraient pas être. Quand la normalité sera rétablie, je ne pense pas que le parti continuera à tolérer certaines anomalies.
En même temps que le camp Eddie crie victoire, c’est une défaite « cuisante » pour ses emblématiques adversaires et contempteurs que vous connaissez certainement ?
C’est à eux d’apprécier. Il n’y a pas de défaite entre militants, même si on peut être en compétition. Il n’y a pas des camps au CDP. Je n’ai pas l’habitude de parler de façon violente ou excessive. Je pense qu’ils se sont trompés et ils ont perdu. Mon souhait est qu’ils s’associent à tous les militants, pour assurer la victoire du parti en novembre. La politique n’est pas la guerre. Personnellement, même si nous avons des divergences, je ne me connais pas d’adversaires ou d’ennemis au sein du parti, à moins que certains nourrissent ces sentiments à mon endroit. Par tempérament et par principe, je reste modéré ; nul n’a tout seul la vérité.
« Si Blaise Compaoré descend dans nos querelles, il ne pourra plus tenir sa place »
Pour certains, le choix de Eddie est une manière de désavouer Blaise Compaoré qu’ils soupçonnent de ne pas vouloir d’une candidature de Eddie au nom du CDP. Le choix de Eddie est une victoire personnelle pour vous ou non ?
Je suis heureux pour lui, mais mon problème n’est pas là. En tout cas, en votant pour Eddie, personne parmi nous, n’avait le sentiment de désavouer le président d’honneur. Mon problème, c’est pourquoi Blaise doit choisir le candidat. Ce n’est pas l’attribution d’un président d’honneur. Tout le monde connaît ma position depuis plus d’un an sur cette question. Je suis contre cette façon de comprendre les choses. Ce n’est pas Blaise Compaoré qui dirige le parti. J’estime que Blaise est une référence et il faut s’en tenir à cela. Il faut garder Blaise Compaoré à sa place, et que lui-même reste au-dessus de la mêlée. Je lui ai déjà dit cela directement, et il sait ce que j’en pense. Si Blaise Compaoré descend dans nos querelles, il ne pourra plus tenir sa place. On le voit déjà dans le parti. Il se fait attaquer par des gosses. Des militants, qui n’ont jamais rien été, font des commentaires irrévérencieux sur Blaise Compaoré. Tout cela arrive parce qu’on a tiré l’ancien président vers le bas dans le bourbier. Dans une interview dans votre journal l’année dernière en décembre, j’avais déjà dit que je n’imaginais pas Blaise Compaoré nous imposer un candidat à partir d’Abidjan. J’avais dit aussi que Blaise ne pouvait pas récuser un candidat que les militants auraient majoritairement choisi. Je ne crois même pas que c’est ce qu’il voudrait faire lui-même. Quel serait l’intérêt pour lui de contrer les militants ?
A quoi sert-il alors de soumettre la candidature de Eddie Komboïgo à Blaise Compaoré pour validation ?
Personnellement, je suis contre cette démarche et tout le monde connaît ma position. Cela étant, nous devons respecter les termes de la directive du Bureau exécutif national. On envoie le nom du candidat à Blaise Compaoré parce qu’il est la référence et le président d’honneur. A mon sens, ce n’est pas pour qu’il prenne une décision. Peut-on imaginer aujourd’hui Blaise Compaoré dire que c’est quelqu’un d’autre que Eddie Komboïgo qui sera le candidat du CDP après le vote des militants ? Croyez-vous qu’il peut le faire ? Mais admettons même que cela arrive, rien n’empêche Eddie de se porter candidat, et personne ne pourrait empêcher le CDP de le soutenir, si telle est la volonté des militants.
Quel est le rôle de Blaise Compaoré dans le CDP ?
C’est la référence symbolique et historique ; ça s’arrête là. Nous lui sommes tous fidèles. Il faut s’en tenir à ce point essentiel. Je suis celui qui a toujours eu le courage de le défendre dans les médias. Quand le gouvernement l’accusait de soutenir les djihadistes, qui a eu le courage de le défendre dans les journaux ? C’est moi. Quand on a débaptisé l’hôpital qui portait son nom, qui a dit que c’était ridicule ? C’est encore moi, et j’ai ajouté qu’il faut alors débaptiser ou raser Kossyam, Rood Wooko, ZACA, Samendeni, les échangeurs de Ouaga, Ziga, et j’en passe. Je me sens donc libre de parler et de ne pas cautionner des incohérences ou des anomalies.
On a l’impression que le CDP a besoin de l’image de Blaise Compaoré pour mieux rassembler. Est-ce la bonne impression ?
Je n’en suis pas si sûr. Le parti a besoin de Blaise Compaoré pour son unité, c’est incontestable. C’est le nom de Blaise Compaoré qui nous rassemble tous ; il faut le reconnaître. Le parti doit exploiter son nom, mais il faut savoir aussi qu’il y a des gens qui n’aiment pas Blaise Compaoré dans ce pays. Et ce ne sont pas les militants seuls du CDP qui voteront le 22 novembre. C’est le pays tout entier. Quand le CDP se réfère à Blaise, c’est à ses risques et périls. Il en tire des avantages, car Blaise a dirigé le Burkina pendant 27 ans ; il est le plus connu dans le pays. Dans beaucoup d’endroits, quand vous prononcez le nom de Blaise Compaoré, tout le monde est prêt à vous suivre. Mais la réalité inverse existe aussi, et il y a beaucoup de personnes qui ne veulent pas entendre parler de lui. Il faut en être conscient. Il revient à la direction du parti, d’être lucide.
La fixation sur la personne de Blaise Compaoré, ne risque-t-elle pas de faire oublier aux militants leurs rôles dans le parti ?
Non, les militants sont les acteurs principaux des victoires ou des échecs du parti. Je n’aime pas les discours qui ne font que se référer à Blaise Compaoré à tout bout de champ. Ce n’est pas utile et lui-même ne demande pas cela. Je ne suis pas d’accord avec le discours qui donne l’impression que tout ce que le CDP fait, c’est au nom de Blaise Compaoré et pour Blaise Compaoré. Ce dernier peut même être embarrassé par cette façon de faire. De même, ce discours n’est pas toujours porteur dans l’opinion. Il pourrait nous aliéner une partie de l’électorat. Le CDP n’est pas là pour Blaise. Il est là pour le Burkina Faso. On doit distinguer clairement Blaise Compaoré et le CDP, mais un CDP fidèle à son président d’honneur.
En 2015, vous avez voulu d’une candidature de Kadré Désiré Ouédraogo ; ce n’est pas le cas en 2020. Pourquoi ?
Kadré Désiré Ouédraogo fait partie du top de l’élite burkinabè. En 2015, nous avons tous voulu de sa candidature, parce que cela nous arrangeait. On savait, avec les évènements, que nous étions tous mal placés. Avec la loi inique, la loi Cheriff – qui était d’ailleurs anticonstitutionnelle – Kadré était le mieux placé pour être candidat. Malheureusement, il ne l’a pas été. C’est dommage, car le CDP aurait gagné l’élection, haut la main.
Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
On avait tous voulu que Kadré soit notre candidat, mais cela n’a pas été possible pour lui. Je crois qu’il y avait aussi le problème de son statut à la CEDEAO. De toute façon, ce débat est actuellement inutile. Il n’a plus d’intérêt. Quand il a voulu être candidat avec le soutien du parti pour la prochaine élection, certains lui ont demandé pourquoi, en 2015, il avait refusé. Il a donné des explications dont certaines sont fondées, d’autres beaucoup moins. Je pense qu’il avait tort, mais lui seul pouvait décider, et c’est sa liberté. Et puis, vous savez, en politique, rien n’est impossible. Rien ne dit qu’en novembre, nous ne serons pas des alliés s’il y a un deuxième tour. Il ne faut jamais insulter l’avenir.
« Si le CDP revient au pouvoir, il doit avoir l’intelligence, et nous aurons l’intelligence, de proposer une nouvelle politique aux Burkinabè »
Quelle offre politique peut proposer le CDP pour faire oublier ce qui a conduit à l’insurrection en octobre 2014 ?
Une offre de qualité et de haute tenue. Sans oublier que nous avons les hommes de notoriété et expérimentés. D’abord, il faut avoir une lecture lucide et correcte de l’insurrection. Au commencement, ce n’est pas une insurrection, même si elle l’est devenue. Une partie des Burkinabè n’étaient pas d’accord avec le projet de révision de l’article 37 de la Constitution. C’était tout. Même au sein du CDP, beaucoup étaient contre la révision, sans oser le dire. Si vous regardez bien, les jeunes qui ont envahi l’Assemblée nationale le 30 octobre 2014, y compris mon bureau qui a été pillé, et où j’ai perdu cinq cents livres, étaient à près de 50%, des militants du CDP. Le parti a tiré les leçons de ce qui s’est passé. Il ne faut pas répéter les mêmes erreurs. Ceux qui dirigent le pays actuellement ont été les premiers lieutenants de Blaise pendant au moins 26 ans. Je les appelais les « janissaires du président ». Ils veulent mener une nouvelle politique. C’est leur droit. Pourquoi le CDP ne peut-il pas le faire aussi ? Ce n’est pas la politique de Blaise Compaoré qui était en cause. C’est lui qui a construit le pays tel qu’il est. Si le CDP revient au pouvoir, il doit avoir l’intelligence, et nous aurons l’intelligence, de proposer une nouvelle politique aux Burkinabè. Elle viendra s’ajouter à ce que les gouvernants qui ont été nos devanciers depuis 1960, ont fait. C’est cela qui fait avancer un pays, et non les imprécations aussi inutiles que véhémentes contre le pouvoir déchu.
Comment voyez-vous la relève au niveau politique au Burkina Faso ?
Ce que je sais, c’est qu’il n’y aura jamais un jour, un décret ou une ordonnance, pour dire qu’une nouvelle génération va remplacer celle qui est là. C’est la dynamique sociale qui amène les changements de générations. De toute façon, il y a une dynamique irréversible en marche. Notre génération a fait son temps, et celle qui nous suit, ne réussira pas sans nous. Les jeunes devront beaucoup apprendre avec les anciens. Ces derniers, de leur côté, doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas rester aux affaires éternellement. A mon avis, nous sommes à la dernière phase de notre génération comme dirigeants du Burkina Faso. Les deux mandats présidentiels à venir, seront les derniers pour les hommes et les femmes de notre génération. On devrait plutôt se réjouir qu’il y ait une relève compétente, dévouée, et donc de qualité, et créer un continuum entre les générations.
L’opposition discute autour d’un accord politique pour affronter le camp du pouvoir en place. Quelles peuvent être les grandes orientations d’un tel accord politique ?
Oui, c’est très intelligent et avisé comme démarche. Cela n’arrive pas souvent en Afrique. Pour le reste, quand l’accord sera finalisé, vous l’aurez; mais ce qui est fondamental, c’est la volonté du CFOP d’apporter le changement, car la politique actuelle n’est pas la meilleure qui soit. L’opposition prend acte et examine ce qu’il faudrait changer, si elle arrivait au pouvoir. Elle veut proposer une nouvelle politique dans les différents secteurs et c’est son rôle.
L’expérience a démontré que les accords de ce genre posent problème dans leur application. C’est le cas de la majorité qui dirige actuellement et de certains partis dans l’opposition aujourd’hui !
C’est pourquoi dans cet accord politique, il faut s’assurer que les bases sont solides et que tous les partis qui s’engagent, respecteront leurs engagements. Cette fois-ci, je pense que ça va marcher, mais tout dépendra des résultats des élections. Il faut savoir aussi que le camp du pouvoir a sa propre stratégie. C’est la compétition républicaine. Ses chefs chercheront à démarcher des gens chez nous, comme nous chercherons à démarcher des gens chez eux. Dans tous les cas, nous devons nous battre dans les urnes pour qu’il y ait un second tour. Mais, admettons qu’au soir du 22 novembre, Roch soit réélu et qu’il fasse appel à quelqu’un de notre alliance, pour être le Premier ministre. La personne va réfléchir deux fois avant de dire non. On est au Burkina et on se connaît tous. La personne dira évidemment qu’elle se positionne pour l’intérêt supérieur de la Nation.
Croyez-vous qu’il y aura un second tour ?
J’hésiterai avant de répondre à cette question dans un sens ou dans un autre. La chance de Roch Kaboré, c’est l’affaiblissement du CDP. Une fois qu’on a dit ça, il faut aussi dire que si Roch Kaboré n’atteint pas 40 ou 45% au premier tour, il sera battu. Il va donc tout faire pour l’emporter au premier tour.
Certains questionnent déjà la légitimité des prochaines élections qui se dérouleront dans un contexte d’occupation du territoire par des terroristes. Quel est votre avis sur le sujet ?
Je pense qu’il y aura les élections, mais il faut attendre pour voir ce qui va se passer. C’est vrai, on ne fait pas des élections pour des élections. C’est vrai aussi qu’on ne fait pas des élections dans n’importe quelles conditions. Pour que les élections soient vraiment légitimes, c’est clair qu’il faut d’abord qu’elles soient organisées conformément au droit inscrit dans notre Constitution et dans notre Code électoral. Mais tout n’est pas que du droit. Nous sommes dans une situation sécuritaire extrêmement difficile. Il faut que la proportion des gens qui voteront, par rapport à l’ensemble de la population, atteigne un certain niveau. Et puis, de vous à moi, si demain, Bobo-Dioulasso est prise par les djihadistes, pensez-vous qu’il y aura des élections au Burkina ? Supposons, en raisonnant par l’absurde, que Ouagadougou soit prise et que le gouvernement se replie quelque part à Léo ou à Bouroum-Bouroum chez les primitifs ; pensez-vous qu’il y aura des élections ? Evidemment, non. Il faut qu’il y ait un minimum de volume de la population qui participe à ces élections, et que les conditions de sécurité soient réunies. Si la situation reste en l’état, on peut organiser les scrutins, mais, ce ne sera pas facile. Cela étant, on serait avisé d’étudier dès maintenant tous les scenarii envisageables pour l’avenir. Et quand je dis ‘’on’’, c’est tout le monde, à commencer par l’opposition et nous, les leaders de l’opposition, mais également le gouvernement.
Ces élections vont coûter 100 milliards de F CFA à l’Etat burkinabè dans un contexte de difficultés multiples. Dans l’opinion, des voix s’élèvent pour parler d’exagération. Qu’en dites-vous ?
Je suis toujours dubitatif quant aux élections en Afrique. Il faut savoir ce qu’on veut. Je ne rentre pas dans les chiffres parce que je ne sais pas sur quelles bases ils ont été calculés. Dépenser cent milliards n’a de sens que si les élections en valent la peine. Si on met tant d’argent dans les élections, il faut s’assurer qu’elles seront organisées selon les règles et à la satisfaction générale. La démocratie n’est pas sa propre légitimation.
« Il n’y a pas de vision stratégique de l’éducation actuellement »
En tant qu’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, quel regard portez-vous sur l’école burkinabè ?
Il faut faire confiance au gouvernement et au ministre de l’Education, car les conditions ne sont plus les mêmes qu’en mon temps ; les mentalités non plus. Les rapports que j’avais avec les syndicats en tant que ministre des Enseignements, n’ont rien à voir avec ce qui se passe actuellement. Personnellement, je consultais beaucoup. Les syndicats auront toujours à cœur de défendre les intérêts des travailleurs, mais il y a une limite, c’est dans mes méthodes que j’ai acquises dans le scoutisme. Le ministre défend l’Etat, et tient compte de l’intérêt général du pays, et bien entendu, des moyens dont le gouvernement dispose. Il me semble que l’éducation aujourd’hui n’est pas une question de moyens. C’est d’abord une question de conception de ce que doit être notre système éducatif. L’avantage que j’avais, avec ma collègue Mme Alice Tiendrébéogo de l’Enseignement de base, c’est que nous avions réactivé le Conseil supérieur de l’éducation en 1994. Ce Conseil était présidé par le Premier ministre, Roch Marc Christian Kaboré, l’actuel chef de l’Etat. C’est aussi lui qui a présidé les états-généraux de l’éducation, pendant lesquels tous les acteurs ont pu s’exprimer. La loi d’orientation de l’éducation en fut issue. Mais depuis les années 2000, l’évolution n’est plus la même. Il n’y a pas de vision stratégique de l’éducation actuellement. Tous les acteurs doivent s’entendre sur la vision dans ce domaine. Il faut prendre en considération les intérêts de tous les acteurs, surtout ceux des élèves et des étudiants. Mais tout doit demeurer dans le cadre de l’Etat, de ses intérêts et de ses moyens. Les syndicats doivent comprendre que c’est parce que l’Etat existe qu’il y a des revendications.
Que faut-il faire pour sauver l’année scolaire ?
Franchement, je ne le sais pas, parce qu’à la situation sécuritaire, est venue s’ajouter la crise sanitaire qui a tout désorganisé. Personnellement, je crois qu’il fallait prendre acte dès mars, du fait qu’il serait difficile de sauver l’année scolaire. Pour moi, il fallait faire le maximum pour sauver les classes d’examen, et fixer une date précise et ferme pour la rentrée prochaine. Cela pourrait être le 15 septembre. Maintenant, tout le monde ne sera pas d’accord avec moi, mais l’Etat doit s’assumer. En tout cas, la priorité doit être donnée aux classes d’examen. Pour le reste, si la situation empire, le gouvernement ne doit pas hésiter à prendre des décisions courageuses, même si elles sont impopulaires.
« Le titre de porte-parole du gouvernement ne correspond pas à un département ministériel, c’est une tâche qu’on confie à un ministre»
Sur la question de la gestion de la Covid-19, le gouvernement a été critiqué. Selon vous, ces critiques sont-elles justifiées ?
C’est un gros débat, mais il n’est pas sain de tomber dans la polémique lorsque la vie des gens est menacée. Certaines critiques sont fondées ; mais d’autres sont purement politiciennes. Il faut être conscient que nous sommes dans une situation imprévue. Une situation extrêmement difficile qu’aucun gouvernement au monde n’avait prévue. Il suffit seulement de se mettre à la place du gouvernement pour se demander ce qu’on aurait fait si on avait été là comme gouvernants. Face à une situation de ce type, il faut se forger de la vision, se fixer des objectifs et adopter une stratégie. Vu la manière dont la maladie est venue, le gouvernement n’avait pas le temps de faire tout ce qu’il faut, mais il aurait dû être plus clair dans les objectifs visés, et dans sa démarche. Il n’y a pas de miracle dans ce domaine. Cela étant dit, il y a eu des points positifs, et des points négatifs. Le gouvernement a eu raison d’insister sur la panoplie de mesures pour contrer le virus. C’est plus que du simple mimétisme. En revanche, quelques incohérences sont étonnantes. Je ne parviens toujours pas à m’expliquer comment le porte-parole du gouvernement peut signer des arrêtés qui concernent la fermeture ou l’ouverture des classes. Cela relève des compétences du ministre de l’Education nationale. Le titre de porte-parole du gouvernement ne correspond pas à un département ministériel, c’est une tâche qu’on confie à un ministre. On ne le comptabilise pas dans le système de spécialisation des fonctions gouvernementales, qui fonde, à partir de la Constitution, la répartition des compétences entre les ministres. Dandjinou communique beaucoup et bien ; mais pour ces arrêtés, il s’agit d’une erreur, sans compter la dimension juridique. Nous sommes en face d’une crise mondiale, où chaque pays se cherche. Beaucoup continuent de dire, contre toutes les évidences, que la maladie n’existe pas. Pour certains, le coronavirus est une maladie des riches et des personnalités. Et puis, il y a ceux qui clament qu’après tout, d’autres maladies tuent beaucoup plus. Non, il faut prendre ce virus au sérieux. Oui, le paludisme tue ; mais il n’emporte pas des dizaines de milliers de personnes en une nuit, et cent mille en deux mois comme aux Etats-Unis. Imaginons que le coronavirus sévisse toute une année. Croyez-moi, on cessera de faire ce type de comparaisons. Quoi qu’il en soit, je doute fort qu’on dise un jour que le coronavirus est fini ; en tout cas, avant d’avoir trouvé un vaccin. En attendant, nous devrons apprendre à vivre avec le fameux Covid-19. En mi-mars, je l’ai dit à un de mes amis, c’était le Premier ministre Luc Tiao. Je continue à le croire.
Sur le plan communautaire, les lignes semblent être en train de se fissurer au Burkina Faso. Quel commentaire vous inspire cette situation ?
C’est vrai, il y a eu les évènements de Yirgou, mais Yirgou n’était qu’un indicateur de la situation qui prévaut dans les tréfonds de la société et de nos communautés. Il ne faut pas créer un problème peulh qui n’existe pas. Dans certaines zones, pour les populations, peulh égale djihadiste. C’est dangereux. Or, on sait aujourd’hui que ces groupes terroristes enrôlent dans toutes les ethnies. Là où ils sont, ils recrutent dans toutes les ethnies. Sous un autre angle, il est important que les Peulhs ne fassent pas comme s’il n’y avait qu’eux qui sont attaqués. A Kantchari dans l’Est, on a tué il y a quelques temps, 16 personnes : 14 étaient des Ouoba, les deux autres étaient aussi des Gourmantché. Si on doit défendre les communautés, il faut une vision d’ensemble pour qu’elles soient toutes défendues. Ce n’est pas de Peulh seulement. Pour moi, il faudrait créer et organiser un Forum national des communautés lors duquel on discutera de notre vivre-ensemble. Vous savez, quand on commence à rentrer dans les conflits communautaires, on ne sait pas quand cela va s’arrêter. Pour le Forum, il ne faut pas en faire une affaire gouvernementale, mais l’initiative ne peut prospérer sans le soutien du gouvernement, notamment l’Administration territoriale. Je suis prêt, avec un certain nombre d’intellectuels, à jouer un rôle sur ce plan.
Les FDS sont accusées d’exactions à l’encontre de la population dans les zones de guerre. Votre commentaire ?
Tout le monde doit soutenir les FDS, mais celles-ci doivent le mériter. Autant les FDS ont des droits, autant elles ont des devoirs. L’un des devoirs, c’est d’être correct avec la population. Toutes les guerres se gagnent avec le soutien de la population, et non le contraire. En Afrique, les plus grandes guerres de libération ont été gagnées avec l’appui du corps social. Il est donc dans l’intérêt des FDS que le corps social les soutienne et qu’elles évitent d’agir en dehors du droit. Les exactions commises par des militaires, des gendarmes ou des policiers, doivent être punies sans hésitations, même dans le cadre de la lutte anti-terroriste.
En tant que chef coutumier, avez-vous un message particulier à lancer aux communautés ?
Je souhaite qu’il y ait une vraie nation burkinabè. Nous ne devons pas oublier que ce pays a été créé à partir de communautés qui n’avaient pas demandé à être ensemble. Mais elles ont su s’agréger et créer la Nation. On doit travailler à faire prévaloir l’esprit et les valeurs de la Nation. Cela dépend des intellectuels et des cadres. C’est nous qui devrions pouvoir montrer la voie, en restant les plus unis possibles. Quand des personnalités, à commencer par les autorités gouvernementales ou territoriales, commencent à dériver sur cette question, nous devrions pouvoir leur dire stop. Il en est de même des chefs des communautés à la base, mais aussi des grandes entités confessionnelles et autres.
Propos recueillis par Boureima KINDO