HomeA la uneNAZI KABORE, ECRIVAIN, ANCIEN SYNDICALISTE : « Le plus grand défi de Roch reste la restauration de l’autorité de l’Etat »

NAZI KABORE, ECRIVAIN, ANCIEN SYNDICALISTE : « Le plus grand défi de Roch reste la restauration de l’autorité de l’Etat »


Il s’appelle Nazinigouba Félix Marc Kaboré. Aujourd’hui à la retraite, il a servi comme Contrôleur de la circulation aérienne à l’ASECNA et à l’ANAC. Formateur et dirigeant syndical, le sieur Kaboré est auteur de plusieurs ouvrages dont les 5 tomes de « Y a-t-il un pilote dans l’avion ? ». Avec lui, nous avons abordé plusieurs sujets dont le premier anniversaire du pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré. A ce propos, Nazi Kaboré, comme l’appellent certains, pensent que l’attelage RSS a bien fonctionné. Mieux, il se dit confiant en l’avenir du Burkina avec le Plan national de développement économique et social (PNDES). Mais, prévient-il, le plus grand défi de Roch reste la restauration de l’autorité de l’Etat.

« Le Pays » : Que devient Nazi Kaboré ?

Nazi Kaboré : Après une excursion infructueuse dans l’arène politique comme candidat indépendant aux législatives de novembre 2015 au Namentenga, je me suis rappelé que « lorsque le cheval se libère de ses entraves (ou s’emballe), il retourne à son pieux d’attache, à sa base ». Donc, depuis janvier 2016, je me consacre entièrement à ma fondation « Les Ecoles de la Vie », qui offre des formations et des livres en gouvernance personnelle, familiale et organisationnelle, en termes simples, en développement personnel, bien-être, couples et leadership.

Quel regard portez-vous sur la lutte syndicale telle que menée aujourd’hui ?

Avec l’arrivée de jeunes dirigeants à la tête des centrales, la formalisation progressive de l’Unité d’action syndicale (UAS), son rôle dans la résistance face au putsch manqué de septembre 2015 et des acquis comme les baisses du prix du carburant et la mise en œuvre de la loi n° 081-2015/CNT portant statut général de la Fonction publique d’Etat, je peux affirmer que le syndicalisme burkinabè est aujourd’hui dans une phase ascendante.  Les syndicats viennent d’ailleurs de commémorer, dans l’unité, le soulèvement populaire de janvier 1966, qui rappelle un des temps forts de l’épopée du syndicalisme burkinabè.  Ensuite, j’ai noté avec bonheur, que de nombreux leaders syndicaux ont pris conscience des méfaits de la division, division due principalement au manque de démocratie interne, plus exactement à la dépendance politique et financière de leurs organisations. Une étude conduite par le Programme Africain pour le développement de la participation des travailleurs (PADEP) de 1997 à 2001, avait relevé des rivalités et des divergences politiques et idéologiques entre leaders syndicaux, et la division des organisations syndicales en deux collectifs :

– le groupe des 13 (5 centrales et 8 syndicats autonomes) ;

– le collectif CGT-B (CGTB et 5 syndicats autonomes).

Depuis 1999, les deux collectifs se sont réconciliés, mais face à certaines situations, les deux morceaux du puzzle ont tendance encore à se décoller. Ainsi, en 2014, les syndicats, à ma connaissance, n’ont pas pu dégager une position consensuelle claire face aux débats sur le Sénat et la modification de l’article 37 de la Constitution. Ceci, malgré les approches menées à l’époque par le Chef de file de l’opposition (CFOP).  Bien sûr, les syndicats ont joué leur partition dans l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, mais pas en première ligne comme en janvier 1966, en décembre 1975 et en octobre-novembre 1981. Pour ce qui concerne la dépendance financière, je note que la subvention de l’Etat (aux organisations syndicales) constitue la principale source de revenu pour de nombreux syndicats, heureusement pas pour tous. La deuxième source de financement de certains syndicats, est l’aide des syndicats amis de l’Occident. Non seulement, comme l’a dit quelqu’un, c’est la main qui donne qui dirige, mais cette aide, notamment les voyages à l’extérieur pour des congrès et des séminaires, a développé au sein d’organisations traditionnellement basées sur le bénévolat, le phénomène de la perdiémite. La perdiémite se réfère à cette tendance de certains dirigeants et militants syndicaux à privilégier les perdiems, les moyens, les avantages personnels qu’ils tirent des activités syndicales, au détriment des objectifs et finalités de ces activités. Les cotisations des membres, si elles existent encore dans certains syndicats, sont tellement insignifiantes, comparées aux deux sources susmentionnées, que les bases ne peuvent plus exercer leurs rôles d’orientation et de contrôle de l’action des exécutifs. Il faut aussi retenir que les syndicats peinent encore à investir les entreprises privées et restent majoritairement implantés dans l’Administration publique et les grandes entreprises d’Etat. De sorte qu’aujourd’hui, nombre de travailleurs, surtout du privé, pensent qu’ils ne peuvent plus compter sur les syndicats pour les défendre face à leurs employeurs, au Gouvernement et surtout, face aux puissantes multinationales qui règnent en Afrique. De ce qui précède, je pense que les dirigeants syndicaux doivent, malgré les victoires évoquées ci-dessus, redoubler d’efforts pour construire des syndicats forts, indépendants, démocratiquement gérés, solidaires et à même de défendre efficacement leurs membres.

Pour revenir à l’ébullition du front social observée l’année passée, je pense que le régime a prêté le flanc

Nous avons assisté à des revendications tous azimuts pendant la 1ère année du mandat de Roch. Comment expliquez-vous cela ?

Seuls les stratèges des syndicats qui ont entrepris les actions au cours de cette période, peuvent vraiment les expliquer. Je ne peux émettre que des hypothèses. D’abord, les syndicats, en tant que contre-pouvoir, sont dans leur rôle de veille républicaine entre deux élections. Comme le dit une sagesse chinoise : « Les hommes qui créent le pouvoir contribuent de façon remarquable à la puissance de leur pays ; les hommes qui mettent ce pouvoir en doute y contribuent eux aussi, parce que ce sont eux qui nous disent si nous nous servons du pouvoir ou si le pouvoir se sert de nous ». Pour revenir à l’ébullition du front social observée l’année passée, je pense que le régime a prêté le flanc, en satisfaisant tout de suite à toutes les revendications des magistrats. Généralement, un pouvoir qui vient d’être légitimé par une élection, ne pose pas d’actes qui puissent être interprétés comme des signes de faiblesse ou de fébrilité.  Il se peut que dans l’éventualité d’un arbitrage du Pouvoir judiciaire dans la lutte sourde entre anciens et nouveaux dirigeants du pays, ces derniers aient cherché à s’attirer les faveurs des juges militants des syndicats face aux « juges acquis » de l’autre camp. Cette générosité envers les magistrats a pu être interprétée comme si, avec le nouveau régime, il faut continuer à crier pour se faire attendre. Ce qui expliquerait que tous ceux qui ont des muscles aient décidé de donner de la voix. A commencer par les médias et les télécommunications, le Quatrième pouvoir qui a pu voir qu’après l’Exécutif et le Législatif, le Troisième pouvoir a exigé et obtenu sa part du lion. Ce qu’il faut saluer, c’est qu’aujourd’hui, une paix des braves semble avoir été conclue entre les protagonistes, au grand soulagement des usagers des services publics.

Le Burkina a connu de nombreuses attaques terroristes en 2016. Pensez-vous, comme certains, que notre système sécuritaire mérite un toilettage ?

Tout d’abord, je voudrais exprimer ma compassion aux familles qui ont été endeuillées et apporter mon soutien aux forces de défense et de sécurité (FDS) qui, au front, jours et nuits, dans l’adversité, exposent leurs vies pendant que nous dormons. C’est un domaine que je ne connais que comme étant un des creusets où s’est développé le leadership, avec notamment le bestseller « Wisdom Of The Generals » de William A. Cohen.   Mais en tant que citoyen lambda, je note que les armées africaines, à quelques exceptions près (je pense aux Tchadiens), n’ont pas fait preuve d’efficacité face aux rébellions armées et maintenant face aux terroristes.  J’ai appris qu’à la première moitié du siècle dernier, lorsque le colon recrutait des combattants pour les envoyer sur le terrain des opérations en Europe, en Indochine et en Algérie, les jeunes, avec la complicité de leurs parents, fuyaient les villages, voire le pays. Aujourd’hui, il semblerait que des parents payent de l’argent à des réseaux occultes pour faire recruter leurs enfants dans l’armée, la police et la douane ou pour les envoyer aux écoles qui préparent aux cours d’officiers. Ensuite, quand j’étais enfant, je voyais les officiers dans les jeeps sans portières. Aujourd’hui, j’en vois de plus en plus dans des véhicules V8 climatisés, forts de cette observation de Napoléon que « on ne va pas chercher une épaulette sur un champ de bataille quand on peut l’avoir dans une antichambre ».L’absence de guerres a pu faire oublier aux agents des FDS, qu’ils se sont engagés dans les métiers les plus risqués au monde. C’est vrai aussi que, par peur des coups d’Etat militaires, certains régimes africains ont volontairement désorganisé leurs armées, en se débarrassant des officiers les plus valeureux, ceux adulés par la troupe, pour promouvoir des béni-oui-oui, incapables d’obtenir des subordonnés une obéissance entière, et une soumission de tous les instants.  Enfin, une des raisons de la popularité des Koglwéogo auprès des populations et du peu de collaboration des celles-ci avec les FDS, est sans conteste la perte de confiance des premières vis-à-vis des dernières, suite à certaines attitudes et comportements répétés des brebis galeuses en leur sein. Les FDS burkinabè ont démontré leurs compétences dans les missions de maintien de la paix, aux côtés de leurs collègues d’autres pays. Mais les revers de ces derniers mois interpellent leur hiérarchie et justifient amplement la réforme entreprise par les autorités pour construire une armée « républicaine, apolitique et opérationnelle ». Je pense que nous devons, les intellectuels et les dirigeants politiques en premiers, accepter d’abord notre part de responsabilité dans la situation

Nous assistons, ces derniers temps, à une mobilisation mondiale contre le F CFA. Quel commentaire en faites-vous ?

Sur ce sujet aussi, je ne m’y connais pas. Aussi j’adhère aux positions de nos économistes pour une monnaie unique, d’abord dans la sous-région CEDEAO, puis, pour l’ensemble du continent, à l’image du dollar, du yuan ou de l’euro. Cependant, je prônerais plutôt une mobilisation en faveur de ces nouvelles monnaies que contre le F CFA, en prenant en compte les expériences du franc malien et de l’Eco. En fait, la problématique du franc CFA est celle de la dépendance des anciennes colonies françaises à l’ex-métropole. A ce sujet, nous avons souvent indexé la France… qui est dans son rôle. Mais je pense que nous devons, les intellectuels et les dirigeants politiques en premiers, accepter d’abord notre part de responsabilité dans la situation. Car, comme l’a dit Gandhi, « Aucun peuple sur terre ne peut être finalement assujetti sans sa coopération volontaire ou involontaire. Vous vous prêtez à une coopération involontaire quand, par peur de quelque mal physique, vous vous soumettez à un tyran ou à un despote ». Et comme, à la suite du Mahatma, nous a averti Benjamin Franklin, « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une, ni l’autre et finit par perdre les deux ».

Quelle appréciation faites-vous de l’an 1 de Roch Marc Christian Kaboré au pouvoir ?

A partir des éléments d’appréciation à ma disposition, je pense que le Burkina Faso, avec Roch Marc Christian Kaboré aux commandes, a pris un nouveau cap et a même amorcé une nouvelle trajectoire, différente de celle des 27 ans du pouvoir Compaoré.  Je m’appuie, entre autres, sur :

– la conception, l’élaboration et les promesses de financement du Programme National de Développement Economique et Social (PNDES) 2016-2020 ;

– la nouvelle dynamique observée dans certains ministères comme ceux de la Culture, du MATDSI, de l’Economie et de finances et  dans certaines institutions comme l’Assemblée nationale qui, de par le passé, n’était qu’une caisse de résonance de l’Exécutif;

– la gratuité des soins pour les femmes en grossesse et les enfants de moins de 5 ans,

– le recrutement des 4000 enseignants du secondaire ;

– la diminution significative de l’arrogance des « grands » et des cas de crimes économiques.

Pour moi, l’attelage « RSS » a bien fonctionné.

Il faut se rappeler, comme l’a écrit Jeune Afrique, que « Roch Marc Christian Kaboré … a hérité d’un champ de ruines sur le plan économique et d’un pays où tout est à reconstruire ». Ensuite, dès sa prise de fonction, le défi sécuritaire s’est invité comme un os en travers de la gorge dès la première bouchée. Certe, les populations s’attendaient, avec le changement de régime, à une amélioration significative de leurs conditions de vie, de leurs ordinaires, à des actions d’éclat en matière de réduction du train de vie de l’Etat et en matière de justice ; notamment à l’instauration de l’égalité de tous devant la loi, aux jugements des crimes économiques et de sang. Mais si j’écoute les experts du domaine judiciaire, il faut éviter toute précipitation dans le traitement des dossiers judiciaires. Je ne suis donc pas du même avis que ceux qui disent que « l’alternance, au Burkina, a consisté simplement à remplacer le chauffeur par un de ses apprentis, et que c’est le même véhicule dans le même voyage ».  Je pense que c’est surtout la suite de la trajectoire qui peut finir de convaincre les sceptiques. Pour cela, le Gouvernement doit maintenant s’atteler à réussir le PNDES. A ce propos, le Chef de l’Etat a déclaré à Dori, le 18 octobre 2016, lors du lancement officiel du Programme d’appui au développement des économies locales (PADEL), que « pour développer le Burkina, il faut changer les mentalités ». Je trouve que cet aspect « changement des mentalités » n’est pas suffisamment pris en compte dans l’axe 2 du PNDES qui porte sur le développement du capital humain. Dans les pays anglo-saxons, une différence nette est faite entre l’enseignement (acquisition de connaissances, de savoirs), la formation (training, acquisition de compétences techniques, d’habiletés, de savoir-faire) et l’éducation (acquisition de compétences humaines, d’attitudes, de savoir-être efficaces). L’Ecole mondialisée met l’accent sur l’enseignement et la formation, l’acquisition de compétences professionnelles qui, selon le Carnegie Institute of Technology (Etats Unis), n’interviennent que pour seulement 15% dans la réussite, « même dans les professions purement techniques comme l’ingénierie », contre 85% aux compétences humaines, à la construction de la personnalité. Tous les pays qui ont aujourd’hui un développement économique et social pérenne (sustainable) et une situation politique stable, (Pays Nordiques, Etats-Unis, Etats Neufs), ont mis l’accent sur le changement des mentalités des dirigeants et des populations. Notamment, ils les ont formés (certains par l’éducation populaire), à l’élaboration de visions, à l’acquisition de la confiance en soi, à la conscience et à la maîtrise de soi, à la mentalité d’abondance, à l’éthique, à la tolérance, à l’attitude mentale positive, à la persévérance, au perfectionnement continu de soi (en tirant des leçons des difficultés rencontrées), etc., puis au véritable leadership. Ils ont fait ce qui se faisait dans les camps d’initiation africains et qui est perçu de nos jours comme rétrograde : la préparation des jeunes afin qu’ils puissent évoluer, s’épanouir, s’intégrer harmonieusement dans leur environnement et contribuer au développement de leurs communautés. Mais pour moi, le plus grand défi de Roch aujourd’hui, reste la restauration de l’autorité de l’Etat, par la justice économique et sociale, la restauration de la confiance entre gouvernés et gouvernants.  Au total, je trouve qu’au cours de cette première année, Roch a fait montre de leadership et de carrure d’un grand Chef d’Etat. En particulier, il a fait preuve de maîtrise de soi, de sérénité. Face notamment aux attaques terroristes et politiques, il a eu l’attitude que recommande le Mahatma aux leaders, à savoir que :  “Le chef doit se dominer en tout, ignorer le manque de sincérité, la colère, la crainte”.

 

Sous certains cieux, des mouvements syndicaux se sont transformés en partis politiques

A quand le prochain livre de Nazi Kaboré ?

Inch Allah en fin mars 2017. Je suis sur les finitions de « Y a-t-il un capitaine dans l’équipe ? », titre provisoire du manuel de formation sur le leadership, et la suite logique de ‘Y a-t-il un pilote dans l’avion ?’. Je prépare aussi la réédition de « Réaliser le rêve américain », le manuel de formation en création et en gestion d’entreprises.

Pensez-vous que la lutte syndicale puisse être d’essence corporatiste seulement ou croyez-vous, comme certains, qu’elle a parfois un contenu politique ?

Le syndicat est défini comme étant « l’outil que les travailleurs se sont forgé pour défendre leurs intérêts communs et lutter pour l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie ». Les syndicats cherchent à influencer les relations entre les travailleurs et les employeurs, que ces derniers soient du privé ou du public. De par leur nature, ils interviennent donc dans le champ de la politique définie comme étant « l’art et la pratique de gouvernement des sociétés humaines, l’art et la pratique de la “gestion de la cité”, la réglementation des rapports entre individus (voisins, conjoints, propriétaires et locataires, automobilistes) et entre groupes d’individus (patrons et salariés, organismes privés et publics), etc. » Les syndicats et les partis politiques travaillent donc sur le même “terrain”, et la très grande majorité des habitants de “la cité” est constituée des travailleurs et de leurs familles. Les activités syndicales ont donc forcément des impacts sur la politique. Mieux, sous certains cieux, des mouvements syndicaux se sont transformés en partis politiques. C’est le cas du Parti travailliste en Angleterre. D’autre part, en tant qu’organisations disposant d’une force de frappe économique et sociale, les syndicats ne laissent pas indifférents les partis politiques. Bien souvent, ces partis ne lésinent pas sur les moyens pour “faire la cour” aux dirigeants syndicaux et pirater leurs organes. D’une manière générale, le syndicat, qui est par essence un contre-pouvoir, aura pour alliés naturels les partis dits d’opposition. Constatant que parfois ces partis utilisent les syndicats comme bras armé pour les déstabiliser, ceux qui sont au pouvoir, disposant de plus de moyens, chercheront à leur tour à rallier des syndicalistes à leur cause… Je pense que c’est cette dérive putschiste que le Président par intérim du MPP évoque lorsqu’il parle « des forces invisibles… qui pensent qu’on peut toujours prendre le pouvoir par la grève ». Mieux, certains gouvernements et certains employeurs travaillent à affaiblir les syndicats, à les diviser et n’hésitent pas à créer des syndicats jaunes. Enfin, comme mentionné dans ma réponse à la question 3, dans une démocratie représentative, les syndicats qui disposent d’une force économique, ont, au niveau national, un rôle de veille républicaine. En effet, entre deux élections, les élus peuvent abuser de leurs pouvoirs ; et il revient aux syndicats et aux OSC du domaine politique, d’exercer le contrôle populaire.  En conclusion, je pense que les syndicats ne doivent pas se cantonner aux revendications corporatistes. Ils doivent aller au delà, pour y inclure, comme aux premières heures des indépendances, des éléments importants concernant la société tout entière, prendre en compte les préoccupations de la majorité de la population qui n’a pas accès au savoir et aux instances de prise de décisions.

Avez-vous totalement décroché du syndicalisme ou vous arrive-t-il d’inspirer ou de conseiller vos jeunes frères syndicalistes ?

Je suis de temps en temps sollicité pour des formations, des études et des conseils. Certains syndicats me font appel pour traiter des thèmes comme « les techniques de négociation et de médiation », « la formation des formateurs », « le leadership ». Des DRH me font aussi appel pour le thème, « le rôle des délégués du personnel dans un contexte de management participatif ». Côté recherche syndicale, en 2014, j’ai conduit une étude, commandée par le Ghana TUC et SASK Finlande, sur « l’Etat des lieux du travail décent dans le secteur des mines au Burkina ». Aujourd’hui, je suis sur une autre, sur « les potentialités et les opportunités d’organisation des travailleurs dans le secteur de la santé au Burkina Faso », à la demande de l’International des Services Publics. Enfin, certains syndicalistes, mais aussi des employeurs, me consultent en cas de conflits du travail.

Dans la vie syndicale, que faut-il privilégier : les droits, les devoirs, la formation ?

Les 5 axes stratégiques de l’action syndicale sont :

– L’action revendicative (réclamation de ce qui est déjà garanti par les textes et les accords) ;

– L’action normative (conception et négociations de nouveaux textes et accords) ;

– L’action représentative ;

– L’action éducative ;

– L’action socio-économique.

L’action éducative est, pour moi, la priorité des priorités. C’est elle qui permettra de mobiliser les travailleurs dans le syndicat (recrutement et accroissement de leur participation dans les activités), de les organiser (afin que chaque acteur interne, du simple adhérent au dirigeant, puisse jouer en synergie sa partition) ; en un mot, c’est par la formation que le syndicat pourra réussir les 4 autres actions. Ensuite, un adage africain dit que « vous ne pouvez entrer prendre que ce que vous aviez déposé ». Travailleurs et employeurs sont des partenaires dans la production et la distribution des biens et services, les uns apportant le capital humain, ‘‘le mâle’’, les autres, le capital financier et matériel, ‘‘la femelle’’. Pour avoir une part plus importante du gâteau, des résultats, il faut d’abord les produire.  Mon expérience a montré que les employeurs sont plus prompts à satisfaire les doléances des travailleurs lorsque celles-ci sont présentées comme une demande de moyens supplémentaires pour accroître la productivité et les rendements, améliorer permanemment la performance globale, maintenir une qualité optimale des produits et de l’image de marque de l’entreprise et faire face à la concurrence. Aussi, bien que leurs buts soient « l’amélioration des conditions de vie et de travail » de leurs mandants, les grands négociateurs syndicaux utilisent les arguments ci-dessus que les managers aiment entendre. Et une fois les acquis engrangés, il est du devoir des leaders syndicaux, par esprit d’intégrité, de reconnaissance, de justice et d’équité envers le partenaire, d’encourager les travailleurs à :

– participer à la réalisation des objectifs fixés par les Conseils d’Administration,

– communiquer aux managements  les meilleures idées qu’ils auront sur la façon dont les choses pourraient être mieux faites,

– proposer des solutions créatives aux problèmes ;

– voir le changement comme une opportunité, et non comme une menace,

– développer leurs talents pour être plus productifs et indispensables.

La revendication pour une répartition équitable des revenus interviendra après que les travailleurs se sont appropriés leurs tâches et leurs responsabilités et ont travaillé davantage pour atteindre les cibles. En résumé, pour moi, c’est la formation d’abord, les devoirs ensuite et les droits après.

Mon pire souvenir reste la sanction que j’ai prise, lorsque j’étais à la tête du Syndicat de la météo et de l’aviation civile (SUMAC), contre des membres du syndicat

Quel a été votre meilleur souvenir du temps où vous étiez sur le terrain de la lutte syndicale ?

Je pense d’abord à la négociation que j’ai menée pour obtenir la libération d’un syndicaliste congolais emprisonné sous Kabila Père, à l’Agence nationale de renseignements (ANR), les services de renseignements de la RDC, là où, en mars 2015, le militant du Balai Citoyen, Oscibi Jhoann a été détenu. Mais, définitivement, mon meilleur souvenir reste le forum international que les organisations syndicales que j’ai dirigées ont organisé, à Ouagadougou, les 21 et 22 mars 2013, pour marquer mes trente (30) années de syndicalisme, avec des participants venus de l’Afrique du Sud, du Bénin, du Burkina, de la Côte d’Ivoire, de la France, de la Grande Bretagne, du Niger, du Sénégal et du Togo. A cette occasion, le Secrétaire général de l’International des Transport (ITF), M. David Cockroft, venu en personne de Londres, est allé remercier le Premier ministre pour ma contribution à l’amélioration des conditions de vie et de travail dans le secteur des transports en Afrique francophone et dans la région CEDEAO.

Votre pire souvenir ?

Là aussi, ce qui me vient tout de suite en tête, c’est le refus, en avril 2013, de ma réintégration à mon administration d’origine à la fin de mes disponibilités/détachements pour mandats syndicaux. Ce refus, qui n’a été levé que dans la semaine qui a suivi la chute du régime Compaoré, a fait endurer à ma famille dix-neuf (19) mois sans salaire. Mais la traversée du désert a été fortement atténuée par la solidarité spontanée dont j’ai bénéficié de la part de ma famille, de mes frères du Namentenga, de mes amis et de mes ex-collègues du bureau ITF de Ouaga. Si bien que mon pire souvenir reste la sanction que j’ai prise, lorsque j’étais à la tête du Syndicat de la météo et de l’aviation civile (SUMAC), contre des membres du syndicat qui n’étaient pas d’accord avec nous et qui avaient entrepris de démobiliser des travailleurs la veille d’une grève. J’ai appris par la suite que : « Toute personne qui use de coercition pour imposer ses idées à autrui, agit ainsi parce qu’elle est incapable d’en démontrer le bien-fondé ou qu’elle sait, en son âme et conscience, qu’elles sont injustes ». Aussi je voudrais profiter de votre journal pour :

– présenter mes excuses à tous ceux que j’ai pu blesser pendant ma carrière syndicale et professionnelle;

– renouveler ma gratitude à tous ceux qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui, tous ceux qui ont œuvré pour l’atteinte des résultats que nous avons engrangés, surtout à l’ASECNA : mes mentors, mes proches collaborateurs, les nombreux militants qui nous ont fait confiance, les partenaires du patronat et du gouvernement.

Votre mot de la fin ?

Comme mot de la fin, permettez-moi de lancer un appel à ceux qui, parmi les retraités, pensent, à tort, que c’est la fin et restent cloués toute la journée à leurs chaises longues. Je voudrais les encourager à se ressaisir, à initier des projets pour contribuer davantage à la construction du pays, bien sûr dans la mesure de leurs moyens actuels ; ou tout simplement pour vivre des expériences qu’ils pourraient, sur leur lit de mort, regretter de n’avoir pas vécues au cours de leur existence. Avec les progrès de la médecine, ils peuvent vivre encore 20-30 ans s’ils restent actifs et positifs. En plus, des études ont montré que les personnes qui poursuivent des buts vivent plus longtemps que celles qui sont sans buts. A la limite, ils peuvent, d’une manière ou d’une autre, mettre leurs riches expériences à la disposition des jeunes de leurs secteurs d’activité ou de leurs domaines de compétences.

En Afrique, on dit que « le vieux est un remède, une source de solutions, une bibliothèque… et qu’il est du devoir des anciens de conseiller, quitte à la jeunesse d’en profiter ou pas ».

Propos recueillis par Dabadi ZOUMBARA


Comments
  • Tu oublies de dire que tu as été un CDR qui a participer au dégagement de gens sous le CNR

    23 janvier 2017
  • Les grands défis de Rock M.C.K sont les suivants : Réconciliation Nationale, Sécurité nationale, Relance conjoncturelle et stratégique de l’économie nationale, création de l’emploi des jeunes, développement de l’agriculture etc..Ainsi, de 2017 à 2020 il faut absolument des taux réels de croissance économique annuel minimum de 7% à 8% si nous voulons amorcer un décollage économique et social, autrement l’avenir présenterait des risques. Salut !

    10 février 2017

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