PORT DU MASQUE EN CLASSE
L’un des plus anciens lycées de la capitale burkinabè dont l’ancien nom était le Cours normal des jeunes filles, aujourd’hui lycée Nelson Mandela, compte un important nombre d’élèves. Nous nous y sommes rendu dans la matinée du lundi 8 juin 2020, soit une semaine après la reprise des cours. Objectif : nous mettre dans la peau d’un élève afin de nous imprégner des réalités de la dispensation de cours et de réception de ceux-ci par les élèves, dans ce contexte du Covid-19 où le port du masque ou du cache–nez est obligatoire. Même si les élèves et les enseignants savent finalement comment s’y prendre, il n’en demeure pas moins qu’ils auraient voulu être en classe sans cet accessoire désormais entré dans leur quotidien. Celui-ci est visiblement encombrant, mais les acteurs sont obligés de composer avec.
Lycée Nelson Mandela, il est 10h 20 mn à notre montre, quand nous mettons les pieds dans cet établissement qui a formé des milliers voire des millions d’élèves. L’ambiance n’était pas comme d’habitude. Et pour cause, la plupart des élèves ont été libérés par le ministère en charge de l’Education qui a pris la décision de valider l’année scolaire de ceux des classes intermédiaires. La raison avancée est le contexte du Covid-19 où un retard aurait été constaté. Nous montons l’escalier de l’administration du lycée et nous sommes reçu par le proviseur him self dans son bureau. Facile d’approche, grand et habillé en Faso Dafani, Victorien Bonou, puisque c’est de lui qu’il s’agit, après quelques minutes d’explications pour justifier notre présence, nous lâche ceci : « Ah ! Ce n’est pas facile ce contexte ! ». Entre sollicitations pour les convocations des enseignants d’EPS et entrevues avec d’autres professeurs, celui qui tient les rênes de ce lycée, nous donne l’autorisation de suivre un cours. Et séance tenante, il nous fait accompagner par l’un de ses collaborateurs. Nous sommes accompagné par celle-ci au pas de course, car celle commise à cette tâche, a bien d’autres choses à faire. Cela n’empêche pas qu’elle nous y conduise sereinement car au bout du compte, les portes de la classe de la Terminale A2 nous sont grandement ouvertes. Nous nous présentons et lorsque les élèves entendent « Le Journal Le Pays », les voilà en train de bouger sur les tables-bancs, en émettant de petits bruits d’étonnement. Nous sacrifions au lavage des mains avec notre masque bien posé sur le nez et la bouche, première condition pour avoir accès à la classe. Un peu surprise par notre démarche, dame Rachelle Bénon, enseignante d’anglais, nous reçoit dans sa classe en mode élève. Nous choisissons de nous installer sur un table-banc au fond de la classe avec pour voisin, Marie-René Soubeiga. Cette position nous permet de mieux nous imprégner de la capacité des enseignants à se faire entendre par toute la classe. Un silence a régné durant quelques secondes, mais l’enseignante a vite repris les choses en main et c’est reparti pour le cours. Les élèves et l’enseignante portent tous un masque. Si Cela semble normal, les bruits de motos, de voitures, agacent certains élèves. A ces bruits, s’ajoutent aussi ceux créés par les ventilateurs. C’est dans cette atmosphère que dame Rachelle Bénon doit dispenser son cours d’anglais. Un journaliste dans la peau d’un élève avec port de masque, tombe sur un cours sur la démocratie. Le titre de la leçon : Democracy in Africa. Une élève au tableau, des questions–réponses. Celle qui doit enseigner cette langue étrangère se démène comme elle peut. Des paroles audibles, une parfaite diction, même au fond, nous sommes soulagés d’entendre à nouveau de l’anglais scolaire et tout ceci, orchestré par Rachelle Bénon. Calme, elle interagissait avec les élèves comme si de rien n’était. Le masque semble ne pas émousser son envie de dispenser le cours. Même si le masque ne lui facilite pas la tâche avec le parler, sa main, par contre, est régulièrement utilisée pour ramener le masque sur le nez. Les élèves, quant à eux, s’y adonnent à cœur joie, avec ferveur et l’envie d’apprendre, car les examens se profilent à l’horizon. Et ces derniers ne manifestent pas de signes d’inconfort ni d’agacement avec le masque. Mieux, ils avaient l’air d’avoir retrouvé leur ambiance de cours d’antan. A une question, des réactions fusent de partout. Elodie, au fond de la classe, à trois bancs d’écart de moi, répond de façon audible. Et une autre réponse fuse de l’autre bout de la classe. C’est ainsi jusqu’à ce que mon voisin immédiat, Marie-René Soubeiga, s’en mêle. Quand l’enseignante demande si la démocratie est réelle en Afrique, d’un ton grave et bien audible, les élèves répondent : « No ! » Et Rachelle Bénon de demander Why ? A cette question, c’est un calme total mais au bout de quelques secondes, certains élèves s’essaient à des réponses, en s’inspirant d’un document papier donné comme support au cours dispensé à l’occasion. Mais cette attitude semble être un forcing pour participer, car le temps presse et il y a, selon certains élèves, un avant et un après masque. « Moi, en tout cas, avec le masque, ce n’est pas facile. Et cela engendre de la chaleur lorsqu’on parle. C’est difficile vraiment ! », a soutenu Marie-René Soubeiga, élève de la classe de Terminale A2. Mais pour ce dernier, depuis la reprise des cours il y a de cela une semaine, il pense quand même que les choses s’améliorent, comparativement aux premiers jours de cours. « Nous sommes contents même si souvent, quand on parle, on ne nous entend pas bien », ajoute-t-il. Et d’insister sur le fait qu’il entend et se fait comprendre mais souvent, il a l’impression que ce constat n’est pas toujours réel. Car, « peut-être que c’est aussi dû à la fatigue », a expliqué Marie-René Soubeiga. Et de préciser : « On aurait souhaité faire les cours sans les masques ».
« On arrive quand même à consentir des efforts afin de nous faire entendre »
Même son de cloche chez sa camarade de classe, Roukiatou Tiendrébeogo : « Avec le masque, ce n’est pas facile. Mais comme il y a la maladie du coronavirus, on n’a pas le choix. Comme ce sont des mesures-barrières, on les respecte. On arrive quand même à consentir des efforts afin de nous faire entendre et de nous comprendre lors des cours ». Des efforts, ces élèves semblent en faire au vu de leur participation au cours. Mais, sont-ils angoissés ou anxieux chaque matin, au réveil, en ayant à l’idée qu’ils porteront un masque pour aller aux cours ? Roukiatou Tiendrébeogo dit ne pas avoir ce sentiment. Car, selon elle, à l’image de Marie-René Soubeiga, après une semaine de cours à l’épreuve du masque, les choses commencent à aller dans le bon sens pour eux. L’habitude s’installe donc, au bonheur de ces élèves pour qui le masque est actuellement un accessoire avec lequel il faut désormais composer. « Maintenant, ça va ! Ça va ! Sinon, au commencement, ce n’était pas facile », a voulu être plus claire, Roukiatou Tiendrébeogo.
« Ils ne se plaignent pas ! »
Ce tableau synoptique décrit par ces élèves, rejoint aussi le constat de ceux-là même qui doivent assurer les cours. En effet, celle qui a été notre enseignante d’anglais d’une quinzaine de minutes dans cette classe de la terminale A2 au Lycée Nelson Mandela à Ouagadougou, a fait le même constat mais planche sur l’adaptation. Pour le masque, Rachelle Bénon pense que la situation avant la maladie, les mettait dans une posture plus confortable. Mais elle est obligée de faire avec, contexte de Covid-19 oblige. Reçoit-elle des plaintes de la part des élèves ? Elle répond par la négative : « Ils ne se plaignent pas ! Comme l’effectif des élèves est réduit à cause de la distanciation physique, on essaie, autant que faire se peut, de parler plus fort en vue de se faire comprendre par eux ». Et elle indique ceci : « On aurait souhaité faire le cours sans le masque».
« Tous les enseignants font des efforts pour parler plus fort»
Ce contexte de port obligatoire du masque n’a donc pas émoussé les ardeurs des élèves. Mieux, ils réagissent comme d’habitude, foi de Rachelle Bénon. Les élèves, quant à eux, pensent que leurs enseignants font des efforts « pour parler plus fort. En tout cas, on arrive à entendre maintenant », affirme Roukiatou Tiendrébeogo, élève de la Terminale A2 au Lycée Nelson Mandela. Après avoir échangé avec le professeur d’anglais Rachelle Bénon et des camarades de classe, nous prenons congé après une trentaine de minutes passées parmi eux. Mais nous ne quittons pas le Lycée pour autant, car nous nous dirigeons à nouveau dans les bureaux du proviseur Victorien Bonou. Ce chef d’établissement nous affirme que les élèves des classes d’examen ont tous reçu deux masques ainsi que les enseignants. Il relève aussi que chaque classe a été dotée d’un dispositif de lavage des mains. Les propos du proviseur corroborent notre constat, même si certains élèves portent des masques différents de ceux donnés par les autorités en charge de l’Education. Face à notre inquiétude sur le climat social et l’achèvement à temps du programme, le proviseur du Lycée Nelson Mandela est plutôt optimiste : « Les cours se déroulent bien. Et normalement, les enseignants devraient finir le programme. Jusque- là, nous n’avons pas enregistré de plaintes de la part des enseignants, concernant les nouvelles dispositions prises par notre ministère de tutelle. Les élèves aussi suivent assidûment les cours». Il a d’ailleurs appelé l’ensemble des acteurs à continuer à consentir des efforts. Il a souhaité que les examens se déroulent bien.
Boureima KINDO