HomeA la unePRESIDENTIELLE BENINOISE : Les raisons de la défaite de Lionel Zinsou

PRESIDENTIELLE BENINOISE : Les raisons de la défaite de Lionel Zinsou


 

C’est un véritable camouflet pour le président sortant du Bénin, Boni Yayi. Son rival, pour ne pas dire son ennemi juré, Patrice Talon, vient de remporter la présidentielle au nez et à la barbe de son poulain. En effet, cette victoire s’est faite au détriment du candidat soutenu par le président Boni Yayi, Lionel Zinsou. On peut, d’ores et déjà, se réjouir de l’élégance du perdant qui a félicité, avant même la publication officielle des résultats, le vainqueur. Du reste, cela tend à devenir une tradition heureuse en Afrique de l’Ouest. Ce fut notamment le cas au Sénégal, au Mali, au Nigeria et plus récemment au Burkina Faso où les perdants ont eu le même geste à l’endroit des vainqueurs. Cela permet, faut-il le rappeler, de couper court à toute tentative de contestation des résultats, les candidats perdants coupant ainsi l’herbe sous les pieds d’éventuels militants zélés qui auraient envie de faire monter le mercure politico-social. Il existe de nombreuses raisons à cette défaite du candidat du camp présidentiel. D’abord, bien des électeurs n’ont pas toléré cette « entrée par effraction » de Lionel Zinsou dans cette présidentielle. Comme on le sait, il a été imposé par Boni Yayi et sa candidature n’a pas fait que des heureux dans le camp présidentiel. Il partait donc déjà avec quelques soutiens en moins à ce niveau. On sait, en effet, que des bonzes du régime ont refusé de cautionner et de soutenir ce choix présidentiel. C’est en cela que cette défaite est aussi et surtout celle de Boni Yayi qui avait à cœur d’empêcher son ancien conseiller devenu ennemi, de lui succéder.

Le candidat Zinsou a eu un handicap d’avoir joué au laquais de Boni Yayi

C’est aussi la preuve que les parachutages ne marchent pas toujours, surtout quand on a en face un peuple mûr comme celui du Bénin. Lionel Zinsou a été étiqueté comme le candidat de la France. Cela ne lui a pas rendu service dans un Bénin où le peuple entend affirmer sa maturité et son refus d’ingurgiter des mets qui lui auraient été concoctés dans les cuisines de la Françafrique. Zinsou fait l’amère expérience de ces réalités, de l’âme rebelle de ce peuple attaché à son indépendance. Le Bénin, faut-il encore le rappeler, est l’un des phares de la démocratie sur le continent et son peuple n’entend pas se laisser dicter son choix par qui que ce soit. Pas même, voire surtout pas, par la France. Les Béninois ont certainement voulu donner la preuve qu’ils ne sont pas dans l’esprit de l’Afrique des « papa a dit », mais dans celle où les peuples prennent en main leur destin. Cette défaite est donc, quelque part, aussi celle de la France. C’est déjà quelque chose même si on sait que Patrice Talon n’est pas non plus un ennemi de l’Hexagone. En outre, le candidat Zinsou a eu un autre handicap qui est celui d’avoir joué au laquais de Boni Yayi. Mais pouvait-il en être autrement, sa candidature ayant été, à la limite, imposée par le président sortant ? Toujours est-il que cette posture n’a pas joué en sa faveur en ce sens que les Béninois voulaient opérer une rupture. Ce n’est certainement pas un hasard si 24 candidats ont rallié l’équipe de Patrice Talon pour le second tour. Et, comme on peut le constater, les consignes de vote ont été suivies. En quelque sorte, les électeurs béninois ont choisi de sanctionner les 10 ans de gouvernance Yayi marqués par bien des scories dont des soupçons de corruption. Toutes ces raisons contribuent à expliquer la victoire de Patrice Talon. Cette élection de l’homme d’affaires qui, avant sa candidature à la présidentielle, aura d’abord pactisé avec Boni Yayi avant de se réfugier en France parce que traqué par le régime de son ami d’hier, renforce une tendance sur le continent : pour multiplier ses chances d’arriver au pouvoir, il faut d’abord rouler sa bosse auprès du « boss », se faire une petite fortune et étoffer son carnet d’adresses, avant de claquer bruyamment la porte et revenir ensuite en homme nouveau pour empoigner son « naam »[1]. En tout cas, son cas ressemble singulièrement à ce qui s’est passé au Burkina Faso où ce sont des proches de Blaise Compaoré qui ont remporté la présidentielle après un court séjour dans la case « opposition ».

A présent qu’il est élu, il appartient à Talon de se montrer à la hauteur de la confiance que les Béninois ont placée en lui. En tout cas, les défis qui se présentent à lui sont nombreux. Il lui revient d’abord de travailler à éviter la collusion entre le pouvoir politique qu’il étrenne et le pouvoir économique dont il a été, pendant longtemps, un des symboles forts. Il est évident que l’arrivée d’un homme d’affaires au pouvoir est de nature à susciter des craintes sur sa façon de travailler avec le milieu des affaires. Le risque que le pouvoir politique soit le relais des décisions du milieu des affaires, n’est pas négligeable. A lui donc de faire mentir les mauvaises langues en évitant que le modèle béninois se transforme en ploutocratie.

Les larges coalitions ne riment pas toujours avec bonne gestion du bien public

Autre défi et non des moindres à relever : la consolidation de la démocratie. Et à ce niveau, on attend de voir la capacité  du président Talon à ne pas verser dans la vengeance vis-à-vis de son prédécesseur, mais aussi et surtout sur sa capacité à respecter son engagement de ne faire qu’un seul mandat à la tête de l’Etat. Car, la crainte de voir le président élu faire un rétropédalage du genre de celui de Macky Sall, n’est pas à écarter. Comme le dit l’adage, « l’appétit vient en mangeant ». Patrice Talon pourrait donc se laisser happer par la boulimie du pouvoir. Ce qui serait fort déplorable, tant le respect de la parole donnée est une valeur cardinale à laquelle il convient de donner toute sa place dans la gouvernance de nos Etats. Du reste, dans des pays comme le Honduras et le Paraguay, le principe du mandat unique en vogue en Amérique latine au début des années 90, est encore de mise et visiblement bien défendu. Au Honduras par exemple, les auteurs du putsch contre le président Manuel Zelaya en 2009, ont indiqué vouloir, par cet acte, mettre en échec la volonté du président de remettre en cause le principe du mandat présidentiel unique. Dans chacun de ces pays, la Constitution actuelle empêche un président en exercice de briguer un second mandat. En d’autres termes, le mandat présidentiel y est non renouvelable. Cela peut avoir un avantage en ce sens que le président a les coudées franches pour travailler sans penser constamment à comment s’assurer sa réélection à la tête de l’Etat. Cela met également à l’abri tout président, de faire main basse sur le pouvoir et l’empêche d’étouffer toute possibilité d’alternance. Patrice Talon pourra contribuer à rehausser le niveau d’exemplarité de la démocratie au pays de Kérékou s’il arrive à tenir parole et à ne pas céder aux sirènes des nombreux courtisans qui ne manqueront pas de le pousser à la faute. D’ailleurs, cela peut lui permettre de bien relever un autre défi qui est celui de l’attitude à observer envers ses alliés, surtout ceux du second tour. En rappel, il a bénéficié, pour le second tour, du soutien de nombreux candidats malheureux du premier tour et c’est un euphémisme de dire que chacun de ces candidats caresse le rêve d’être appelé à la table du Seigneur. S’il ne veut pas d’un autre mandat, il peut se permettre plus facilement un « devoir d’ingratitude » envers ceux qui l’ont aidé à se hisser au pouvoir. Et cela peut aider le Bénin, quand on sait que les larges coalitions ne riment pas toujours avec bonne gestion du bien public. Enfin, Talon devra faire face au défi d’améliorer le quotidien des populations béninoises. Les Béninois, en votant pour la rupture, entendent que les choses s’améliorent dans leur vécu quotidien, de façon plus concrète. Ils veulent notamment que le panier de la ménagère s’améliore tant dans la quantité que dans la qualité de son contenu. Patrice Talon, qui a fait ses preuves dans le monde des affaires, devra maintenant montrer qu’il sait mettre cette expérience, ce succès au service du Bénin et de l’ensemble des Béninois. Tels sont les défis majeurs qui se présentent au successeur de Boni Yayi. A lui donc de se montrer à la hauteur des attentes de son peuple et de son pays.

« Le Pays »

[1] Pouvoir en langue mooré


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