RECOURS DE RAILA ODINGA CONTRE LA VICTOIRE DE WILLIAM RUTO AU KENYA : La Cour suprême n’a pas droit à l’erreur
Comme il l’avait promis, Raila Odinga a introduit, le 22 août dernier, date butoir de réception des réclamations par la Cour suprême, un recours contre la victoire de son rival, William Ruto, déclaré vainqueur avec 50,49% des voix au premier tour de la présidentielle du 9 août dernier, par le président de la Commission électorale. Comment pouvait-il en être autrement quand, au-delà des espoirs et de l’optimisme qui animaient légitimement, après cinq tentatives infructueuses, l’éternel opposant qui partait, cette fois-ci, avec les faveurs des pronostics sur fond de soutien du président sortant, la Commission électorale a exposé sur la place publique, ses contradictions internes et ses désaccords quant aux résultats proclamés ? En rappel, quatre des sept commissaires de l’instance électorale, s’étaient désolidarisés des résultats proclamés le 15 août dernier, arguant d’un potentiel second tour, tant les deux principaux candidats étaient au coude à coude. Mais c’était sans compter avec la détermination du président de ladite instance dont les propos justificatifs laissaient plutôt entrevoir une volonté de manipulation des résultats par les frondeurs.
Ce recours du perdant, est une façon de mettre l’institution judiciaire suprême de son pays au défi
Qui dit vrai ? Qui dit faux ? Bien malin qui saurait répondre à ces questions. Mais la conséquence est d’autant plus désastreuse qu’au lieu de rasséréner les Kényans au moment où la Nation tout entière retenait son souffle, ces tiraillements au sein de la commission électorale ont plutôt contribué à semer le doute dans les esprits et à jeter le discrédit sur les résultats d’une élection qui se voulait l’une des plus ouvertes au Kenya. C’est dire si même le vainqueur proclamé, William Ruto, n’avait pas de quoi s’enorgueillir d’une telle victoire. Maintenant que le contentieux a été officiellement porté devant les grands juges, les Kényans restent suspendus à leur décision. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la Cour suprême n’a pas droit à l’erreur. D’autant que de sa décision, dépendra fortement la paix sociale dans un pays où les démons des violences électorales et post-électorales ne sont jamais assoupis que d’un œil. Le Kenya n’a pas besoin de ça. C’est le lieu de saluer le sens des responsabilités de Raila Odinga qui, malgré l’amertume des résultats, a privilégié le recours aux voies légales de résolution du contentieux électoral tout en appelant ses militants au calme et à la retenue, là où certains, au Kenya ou sous d’autres cieux en Afrique, auraient déjà jeté leurs militants dans la rue. C’est un choix hautement responsable qui honore l’Homme politique et qui devrait tendre à être la règle plutôt que l’exception dans cette Afrique où élections riment souvent avec violences. En même temps, ce recours du perdant à la Cour suprême, est une façon de mettre l’institution électorale suprême de son pays au défi. Celui de dire le droit et rien que le droit, dans l’intérêt supérieur du peuple kényan et dans un esprit de préservation de la paix sociale.
La Cour suprême a une réputation à défendre
Autant dire que la Cour suprême doit faire preuve d’impartialité dans sa décision, en se donnant les moyens de réunir tous les éléments nécessaires à la manifestation de la vérité des urnes. Si Raila Odinga a gain de cause, que la Cour suprême se prononce en conséquence mais si c’est William Ruto le vainqueur, qu’il soit confirmé dans sa victoire. C’est dire si l’instance judiciaire suprême ne joue pas forcément sa crédibilité dans cette présente affaire pour avoir su, dans un passé encore récent, se montrer à la hauteur de l’histoire en invalidant la réélection d’un président sortant, en l’occurrence Uhuru Kenyatta en 2017. Elle a cependant une réputation à défendre. Et si elle a su, en son temps, prouver qu’elle n’était pas inféodée à un système encore moins au régime en place, il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement aujourd’hui où le président sortant n’est pas candidat à sa propre succession, et où l’élection présidentielle est des plus ouvertes entre les candidats, à égalité de chances. C’est pourquoi l’on espère que les grands juges siégeant sauront construire leur notoriété sur celle de l’institution qu’ils incarnent aujourd’hui afin d’éviter au Kenya, les affres d’une crise post-électorale dont nul ne saurait mesurer a priori ni l’ampleur ni les conséquences. Quant au requérant, Raila Odinga, l’on espère qu’en formulant son recours devant la Cour suprême, il se dispose à se soumettre à sa décision et qu’à tout le moins, il fera montre de la même hauteur de vue et de la même grandeur d’esprit, en cas de résultat défavorable. Il en va de même pour William Ruto qui entend sans doute succéder à Uhuru Kenyatta au State House, dans des conditions qui ne souffrent pas de débat. En tout état de cause, il n’y a aucun mérite ni aucune gloire à tirer de l’image d’un président mal élu. Et cela vaut pour les deux candidats.
« Le Pays »