HomeBaromètreREPONSE AU DOCTEUR YACOUBA GNEGNE : « Les fondements du PNDES sont substantiellement différents de ceux de la SCADD »

REPONSE AU DOCTEUR YACOUBA GNEGNE : « Les fondements du PNDES sont substantiellement différents de ceux de la SCADD »


L’auteur du point de vue ci-dessous, répond au Dr Yacouba Gnégné qui, dans une tribune parue dans nos colonnes, livrait sa lecture sur la politique économique du président du Faso et, par là même, son avis sur le Plan national de développement économique et social. Pour Dr Alain Siri, puisque c’est de lui qu’il s’agit, il n’y a pas matière à inquiétude. Lisez plutôt !

 

Dans un article paru le vendredi 23 septembre 2016 dans les colonnes du journal « Le Pays », dans la rubrique baromètre et intitulé la «politique économique de Roch», le Dr Yacouba Gnégné a cru bon de donner sa lecture de la politique économique du Président du Faso et, par là même, son avis critique sur le Plan national de développement économique et social (PNDES) récemment adopté par le gouvernement et que nous appellerons indifféremment PNDES ou Plan dans le reste de cet article.

Cet acte démocratique et citoyen est tout à son honneur. Cela étant, dans cette critique de la Politique économique du Président, où ont été passés en revue, entre autres, les dossiers judiciaires hérités de la transition politique, la loi de finances 2016 et ses modificatifs, les problèmes structurels du pays, le PNDES, le Dr Gnégné a amalgamé les thèmes de sa propre réflexion et servi aux lecteurs de nombreuses contre-vérités.   

Le propos de ma réaction n’est pas de soutenir un

mémoire en défense de la politique du Président, mais d’apporter un éclairage aux lecteurs sur le contenu et les ambitions du PNDES  en raison de ma participation au groupe de travail l’ayant rédigé.

Mon article abordera également les incohérences de la diatribe du Dr Gnégné et les récupérations opportunistes faites des avis d’acteurs institutionnels influents de la politique économique burkinabè.

 

Une critique aveugle, déplacée et non professionnelle portée sur le PNDES

 

En effet, abordant son appréciation du Plan sous le titre: «le PNDES est symptomatique des difficultés de l’Administration Roch à opérationnaliser le développement», non seulement le Dr Gnégné fait usage d’un titre inapproprié, mais plus encore, la partie est jetée dans le mélimélo d’article servi aux lecteurs, sans respect de la moindre règle de la critique scientifique. Concernant le titrage de la partie, M. Gnégné étant docteur en économie, reconnaîtra aisément que le développement ne peut «s’opérationnaliser» en l’espace d’une année. Imputer  les difficultés économiques actuelles du pays  auxquelles vous faites  allusion, à l’incapacité de l’Administration du moment à mettre en œuvre le développement est une accusation démesurée.

Relativement au respect des règles de la critique, l’article aurait de la crédibilité si les insuffisances reprochées au Plan -, à savoir le fait d’être essentiellement inspiré de la SCADD et de la Politique nationale de développement durable (PNDD) et la modestie de ses ambitions-, avaient été présentées ne serait-ce que sommairement. Au lieu de cela, ce qui devrait être la conséquence d’une analyse logique est apparu brusquement dans la parole de M. Gnégné en la manière du prêche venant d’un pasteur extrémiste.

En outre, la référence faite aux réserves émises par les partenaires extérieurs du Burkina Faso à l’encontre du Plan est entièrement inopportune. En effet, ces réserves émises lors de la deuxième session du Comité d’orientation et de supervision de l’élaboration du PNDES qui valida le projet de Plan, le 18 juillet 2016, avant son adoption en Conseil des ministres, le 20 juillet 2016, ont été prises en compte dans la version finale du document. Ces réserves avaient trait aux résultats attendus du Plan, jugés trop ambitieux en termes d’objectif de croissance et de volume d’investissement prévu. Sur ce plan, votre article nie donc au Plan et à tort, son manque d’ambition.

Dr Gnégné, permettez-moi de livrer ici aux lecteurs les lignes de la démarcation du PNDES d’avec la SCADD, de même que quelques-uns de ses points saillants, qui permettent d’apprécier en leur juste valeur, les ambitions et vous verrez que vous enfoncez une porte déjà largement ouverte.

Les fondements du PNDES sont substantiellement différents de ceux de la SCADD. En effet, élaborée et adoptée en 2010, vers la fin du troisième mandat de l’ancien Président, la SCADD a eu pour fondements, la vision prospective Burkina 2025, les OMD et les rapports des études commanditées dans le cadre de son élaboration. Naturellement, en tant que référentiel des politiques de développement à moyen terme, le PNDES s’inscrit également dans la quête de l’opérationnalisation de la vision Burkina 2025 et prolonge certaines orientations de la SCADD. L’Etat est une continuité ! Cela étant, les points communs se limitent là. Le PNDES a pour socle, le Programme présidentiel, la déclaration de politique générale du Premier ministre en date du 5 février 2016, l’agenda 2063 de l’Union africaine, les 17 ODD et non pas les 8 OMD et la PNDD.

Du point de vue de l’approche de planification utilisée, le PNDES se différencie des autres référentiels nationaux en ce sens qu’il est bâti sur l’approche de la Gestion axée sur les résultats (GAR) qui renforce la transparence et la redevabilité dans la gestion des politiques et met l’accent sur la génération de résultats de développement et non sur la simple conduite des activités.

Par ailleurs, Dr Gnégné semble ignorer qu’une des différences fondamentales entre la SCADD et le PNDES réside dans le modèle économique retenu par chacun des deux référentiels. En effet, contrairement à la SCADD qui préconisait un modèle fondé sur les pôles de croissance, sans se préoccuper trop des interrelations dynamiques entre les secteurs, le PNDES envisage un modèle de développement fondé sur la transformation structurelle de l’économie.  Il s’agit de modifier  la structure de production  du Burkina Faso, modification  qui fera passer progressivement le pays d’une économie agricole de subsistance à une économie industrielle et par la suite,  à

une économie de services. Il est clair que tout économiste doué de bon sens peut comprendre qu’on ne peut pas réaliser le taux de croissance de 10% de la SCADD dans une économie dont près  80% de la population évolue dans un secteur primaire avec des moyens de production aussi rudimentaires comme la daba !

C’est au regard de ce modèle de croissance que les axes  majeurs du PNDES ont été définis. Ces derniers sont au nombre  de trois. Le premier axe, «réformer les institutions et moderniser l’Administration», est consacré au renforcement de la gouvernance dans ces dimensions politique, administrative, sécuritaire, économique et locale. 

Le deuxième axe, «développer le capital humain», met l’accent sur l’éducation, la formation professionnelle et technique, la santé, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Cet axe est également relatif au renforcement de la protection sociale et à la prise en compte des personnes vivant avec un handicap.

Le dernier axe, «dynamiser les secteurs porteurs pour l’économie et l’emploi», traduit l’ambition de transformer la structure de l’économie, bâti sur l’amélioration de la productivité agricole, l’accroissement de la valeur ajoutée des industries agroalimentaires, des industries de services ; toute chose qui nécessite le renforcement des secteurs de soutien à la production comme l’énergie, les infrastructures, les TIC, le financement, etc.

Toutes ces transformations doivent nous permettre d’atteindre l’impact global suivant : la réalisation d’une croissance forte d’environ 8% par an créatrice d’au moins 50 000 emplois décents par an et devant permettre de réduire l’incidence de la pauvreté à moins de 35% à l’horizon 2020.

Lever les contraintes majeures qui bloquent le décollage économique du Burkina Faso nécessite des financements importants. C’est pourquoi le schéma de financement proposé dans le PNDES est audacieux, avec un montant total des dépenses d’investissement jamais égalé et estimé à 8 408,2 milliards de francs CFA dépassant  largement le coût total de le SCADD (2011-2015) qui était d’ environ 7 496,2 milliards de F CFA dont 4 238,5 milliards pour les investissements. Le coût total du PNDES est de 15 395,4 milliards F CFA.

Puisque votre article se termine par de fortes inquiétudes quant à la montée du chômage, à l’accroissement démographique et à l’aggravation de la crise sociale, les résultats saillants  attendus de la mise en œuvre du Plan dans ces domaines sont les suivants: (i) le recul de la fécondité qui passerait de 5,4 enfants par femme en âge de procréer en 2015 à 4,7 enfants en 2020, afin d’accélérer la transition démographique; (ii) l’accroissement des effectifs de l’Enseignement et de la formation techniques et professionnels (EFTP), de 3,4% en 2015 à 16% en 2020; (iii) l’accroissement de la proportion de la main-d’œuvre bénéficiaire de l’EFTP dans les filières agropastorales de 1,1% en 2015 à 15% en 2020 afin d’améliorer  la productivité agricole, action qui sera complétée par l’installation d’une usine de production d’engrais phosphaté, d’une unité de montage de tracteurs, pour ne citer que ces actions novatrices. Le Plan prévoit en outre, de porter la proportion des étudiants inscrits dans les filières professionnelles de 8% en 2015 à 30% 2020 pour améliorer l’employabilité de ceux-ci.

En réponse aux problèmes structurels de l’économie burkinabè assimilés uniquement à la faible financiarisation de l’économie et à la sous- productivité du système bancaire dans votre article, le Plan a prévu d’exécuter une série d’investissements structurants dont certains sont déjà entamés. Ainsi, pour améliorer les conditions de financement des projets privés, le Plan prévoit de créer deux banques spécialisées respectivement dans le financement des PME/PMI et des activités agricoles, une agence d’octroi de crédits sociaux aux jeunes filles et une caisse de dépôts et consignation.   

Afin de briser les coûts structurels qui plombent la compétitivité de l’économie, le Plan envisage de tripler la production intérieure d’électricité, en la faisant passer de 300 mégawatts en 2015 à 1 000 en 2020, au moyen de l’installation de centrales solaires, de quelques centrales thermiques et centrales hydroélectriques. Le Plan prévoit, en outre, de parachever l’interconnexion des réseaux électriques du pays avec ceux du Ghana et du Nigeria, via le Niger. Au total, l’ambition est d’accroître l’offre d’électricité et de réduire son  coût. Sur le plan des infrastructures routières, le PNDES a prévu la construction et/ou la réhabilitation de 4 492 km de routes bitumées, voiries

urbaines comptées, afin de mieux relier le Burkina Faso à ses pays limitrophes et de désenclaver les principales zones de production.  Le Plan prévoit également la construction de 382 km de routes en terres ainsi que l’aménagement de 5 000 km de pistes rurales dans les 13 régions du pays et l’entretien périodique de 3 130 km de routes en terres qu’elles soient revêtues ou non. Enfin, pour ne pas allonger la liste avec les infrastructures aéroportuaires et ferroviaires, il sied d’indiquer, tout de même, la cible des 50 000 logements sociaux dont la construction est également envisagée au même titre que le vaste programme d’assistance à l’auto-construction.

C’est à l’aune des résultats attendus du PNDES dont seulement une fraction est ici présentée que devrait être appréciées les ambitions du Plan qui sont indéniablement ambitieux, cohérents et rigoureux.

 

Un décryptage faussé ou délibérément déséquilibré de la perception du retard de relance de l’activité économique

 

Le contexte socio-politique qui a prévalu au cours des neuf premiers mois de l’année 2016 et les cinq années précédant ces mois est incontestablement caractérisé par de fortes tensions dont les conséquences sur la gestion de l’économie ont rapidement été ignorées dans votre article. En effet, depuis la crise socio-politique de 2011, la situation économique du pays est restée morose à cause de l’incertitude accrue générée par les velléités de modification de la Constitution. Aussi, suite à l’insurrection populaire d’octobre 2014 qui conduisit à la démission du Président du Faso et à la mise en place d’un gouvernement de transition, le parcours de celui-ci fut émaillé de nombreuses difficultés dont la plus grave fut le coup d’Etat manqué de septembre 2015. En outre, à la faveur  du report des élections législatives couplées avec la présidentielle, occasionné par ce coup d’Etat manqué, le Parlement de la Transition, le Conseil national de Transition (CNT) termina son mandat par le vote d’une loi de finances n’assurant à l’image d’un douzième provisoire, que le fonctionnement de l’Administration publique.

A peine les élections législatives couplées avec la présidentielle tenues et le gouvernement mis en place en janvier 2016, que le pays fut frappé par un attentat terroriste au cœur de sa capitale. Cet attentat s’ajoute à une série de prises d’otages et d’attaques à ses frontières nord avec le Mali dont la dernière remonte au début du mois de septembre 2016.

Ces attentats ont  inévitablement conduit le gouvernement à changer de priorité, c’est-à-dire à accorder davantage d’importance à la sécurité des personnes et à la sureté de l’Etat. L’inflexion de la politique budgétaire pour davantage de sécurité intervient également dans un contexte marqué par de fortes pressions en faveur de l’augmentation des salaires des agents de l’Etat. Le Dr Gnégné fait bien allusion au reversement des fonctionnaires dans le régime de la loi 081 votée par le CNT tout en évitant d’indiquer aux lecteurs que cette loi a coûté au Trésor public une centaine de milliards de F CFA et que les augmentations salariales consenties à certains corps du fait des engagements pris par la Transition, coûtent également au Trésor public une belle fortune.

Malgré l’étroitesse de la marge de manœuvre budgétaire, les prévisions budgétaires retenues dans le cadre du Plan tablent sur une croissance nette de l’investissement budgétaire qui passerait de 7,6% du PIB en 2015 à 11,3% déjà en 2016 et à 21,2% en 2017. N’est-ce-pas déjà là l’amorce d’une politique budgétaire rigoureuse et vigoureuse ? Et que dire de la construction des 240 collèges et lycées engagée à travers le Budget 2016, du recrutement des 4 200 jeunes diplômés pour l’enseignement post-primaire, l’enseignement et la formation techniques et professionnels?

 

Une présentation tronquée du multiplicateur budgétaire keynésien comme solution de la relance de l’économie

 

Un étudiant du premier cycle en économie pourrait ignorer que le principe du multiplicateur keynésien de la politique budgétaire ne marche pas dans une économie extravertie comme celle du Burkina Faso. En effet, comment une politique de relance par la demande peut-elle être efficace dans un contexte où l’offre domestique est embryonnaire et que la demande finale est, en grande partie, satisfaite par l’offre extérieure? M. Gnégné, sachez que dans un tel contexte, la relance budgétaire par la consommation est non seulement inefficace, mais aussi dangereuse car elle viendra creuser le déficit extérieur à travers l’augmentation des importations. C’est d’ailleurs pourquoi, les institutions comme le FMI usent de tout leur poids pour convaincre les pays comme les nôtres de conduire une politique budgétaire prudente.  Dr Gnégné devra donc faire un effort pour comprendre la logique du gouvernement qui préconise d’utiliser le levier de l’investissement public pour relancer l’activité. Car dans ce cas, en plus de l’effet multiplicateur qui est incertain dans notre contexte, l’accroissement de l’investissement public permet de doper le potentiel de l’économie et donc d’avoir à moyen et long termes, une croissance forte permettant de réduire la pauvreté. C’est d’ailleurs pourquoi dans le projet de loi des finances 2017, il est prévu  une augmentation considérable des dépenses d’investissement qui passent à près de 1 229, 792 milliards de F CFA contre 710,473 milliards en 2016, soit une hausse de 73%.

Aussi pour terminer, permettez-moi de préciser que le PNDES a été élaboré dans le cadre d’un processus largement participatif ayant permis à tous ceux qui le voudraient, d’apporter leur contribution. Le Plan ayant été adopté par l’ensemble des acteurs le 18 juillet 2016 et entériné par le Conseil des ministres du 20 juillet 2016, le temps de la spéculation intellectuelle est passé. C’est celui de l’action qui est en cours. Commencez donc par vous approprier le Plan qui est disponible sur le site internet du ministère de l’Economie, des finances et du développement et apportez votre part d’action pour sa réussite. Cela vaudrait mieux que de vous perdre dans un pessimisme injustifié.

 

Dr  Alain SIRI, Economiste

 


No Comments

Leave A Comment