RESULTATS DES LEGISLATIVES EN AFRIQUE DU SUD : Cyril Ramaphosa en sursis ?
Le secret des urnes en Afrique du Sud est désormais connu. Et le moins que l’on puisse dire d’entrée, C’est qu’ils tiennent toutes leurs promesses pour un scrutin que l’on peut considérer comme l’un des plus disputés de l’Histoire de la Nation Arc-en-ciel. Si ce n’est pas la bérézina pour l’African National Congress (ANC) qui règne presque sans partage sur le pays depuis la fin de l’apartheid en 1991, l’on n’en est pas véritablement loin. En effet, le parti du président Cyril Ramaphosa a recueilli 40,21% des suffrages exprimés, passant pour la première fois, sous la barre critique des 50% et perdant, de facto, la majorité absolue au parlement. Et l’on n’est pas à la fin des surprises dans cette élection qui est partie pour rebattre les cartes au pays de Nelson Mandela. Car le dissident du parti présidentiel, l’ancien président déchu, Jacob Zuma, qui s’en est allé créer le Ukhonto weSizwe (MK), il y a juste quelques mois, réalise la performance inattendue de 14,61%. Le reste des voix se répartissent, pour l’essentiel, entre la plus grande formation de l’opposition, l’Alliance démocratique (AD) qui récolte 21,79% des suffrages et les radicaux de gauche, les Combattants pour la liberté économique du très turbulent Julius Malema (EFF) qui restent à 9,48%.
La défaite de l’ANC est aussi consécutive au génie politique de ses adversaires qui ont su exploiter ses failles
L’évidente question qui taraude tous les esprits face à ce verdict des urnes est la suivante : quelles sont les causes du revers historique du parti de Nelson Mandela après plus de 30 ans de domination sur la scène politique sud-africaine ? La principale et évidente cause de cette défaite qui frise la catastrophe, est que les successeurs de Nelson Mandela ont vendangé son héritage et cela, sur plusieurs plans. D’abord, au plan de la qualité même des hommes. Les leaders successifs de Madiba ont tous éclaboussé la scène politique avec leurs frasques où s’entremêlent corruption et détournements crapuleux. L’exemple qui aura, en la matière, fait le plus de bruit, est celui du très sulfureux Jacob Zuma dont les scandales les plus retentissants sont ceux de la villa de Nkandla, de la collision d’intérêt avec la richissime famille indienne, les Gupta et de la corruption avec le groupe français Thomas CSF. Mais les dérapages de Jacob Zuma n’ont, peut-être, été que la partie visible de l’iceberg de la déliquescence morale des leaders de l’ANC après Nelson Mandela. En effet, tous, sans exception, de Tabo Mbeki à Cyril Ramaphosa, ont été pris dans les rets de la Justice, plaçant ainsi leur parti dans des zones de fortes turbulences dont les conséquences se payent cash aujourd’hui dans les urnes. Mais s’il y a un plan sur lequel les héritiers de Nelson Mandela ont profondément déçu les attentes, c’est au plan de la gouvernance économique. Ils n’ont véritablement réussi qu’à perpétuer l’apartheid sans les Blancs en accentuant les inégalités sociales. Dans une Afrique du Sud qui se présente comme la seconde puissance industrielle du continent, le chômage frappe un tiers de ceux qui sont en âge de travailler et plus particulièrement les jeunes. La pauvreté est devenue la plaie qui ronge le tissu social qui traduit toute sa fragilité par les explosions de violences et de criminalité qui sont en passe de devenir un label sud-africain.
l’Afrique du Sud a pris un nouveau virage pour un trajet qui s’annonce très agité
L’accès de tous aux services sociaux de base promis par l’ANC au sortir de l’apartheid est donc devenu un serpent de mer, suscitant ainsi la colère de la population qui l’a exprimée dans les isoloirs. Cela dit, la défaite de l’ANC est aussi consécutive au génie politique de ses adversaires qui, le plus souvent issus de ses rangs, ont su exploiter ses failles. C’est le cas de Julius Malema et plus récemment de Jacob Zuma qui a surfé sur le sentiment ethnique zoulou pour se faire une place confortable dans le landerneau politique sud-africain en dépit de ses scandales. Faut-il alors craindre une résurgence des violences ethniques ? Ce n’est pas à exclure lorsque l’on sait que sa seule arrestation avait produit une éruption de violences qui avait fait près de 300 morts. La menace est d’autant plus à prendre au sérieux que l’ex-président conteste déjà les résultats de l’élection et sur un ton, pour le moins belliqueux. En attendant que la commission chargée de l’organisation vide ce contentieux, l’on s’interroge naturellement sur les conséquences de la défaite de l’ANC. Car, en Afrique du Sud, le président est élu par le parlement. L’on peut donc dire que Cyril Ramaphosa est en sursis, son destin ne dépendant plus de son seul parti même si l’hypothèse de croire que le pouvoir changera de main reste, pour l’instant mince. Par contre, la forte probabilité est que l’ANC gouverne en faisant des alliances avec d’autres formations politiques. Dans une telle hypothèse, la question que l’on se pose est la suivante : avec qui et à quel prix, les nouvelles alliances se feront ? Pour ne prendre que le seul exemple d’un rapprochement avec Julius Malema, le compromis porterait sur des demandes radicales telles que la redistribution sans compensation des terres aux Noirs et la nationalisation des secteurs économiques clefs. Cela dit, il reste aussi possible que l’ANC gouverne seul malgré la perte de sa majorité absolue, sur la base de simples accords avec certains partis sur des aspects clefs comme le budget. Mais que quelle que soit l’option prise, l’Afrique du Sud a pris un nouveau virage pour un trajet qui s’annonce pour le moins très agité
« Le Pays »