HomeSur la braiseSuspension de la coopération judiciaire entre Rabbat et Paris

Suspension de la coopération judiciaire entre Rabbat et Paris


Jusqu’où ira le courroux royal?

Le torchon brûle entre le Maroc et la France. A l’origine de cette mésintelligence, la convocation du directeur du contre-espionnage marocain, Abdelatif Hammouchi, par un juge d’instruction français, lors d’une visite officielle à Paris. En effet, des détenus marocains avaient déposé plusieurs plaintes pour torture, contre ce super flic. La convocation de cet homme à la réputation sulfureuse, par la Justice française, est perçue par le royaume chérifien, comme un crime de lèse-Majesté. Il a, en réaction donc, suspendu sa coopération judiciaire avec l’ex-puissance coloniale. Cette affaire semble être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Pour qui connaît l’histoire entre le Maroc et la France, c’est la première fois qu’on atteint un tel niveau de brouille

Car on le sait, les incidents diplomatiques entre Rabat et Paris se sont multipliés ces dernières années à telle enseigne que l’on se demandait si le couvercle n’allait pas finir par sauter un jour. La visite de Hollande au Maroc en 2013 avait permis de réchauffer un tant soit peu les relations entre les deux pays, mais les nuages ne s’étaient pas totalement dissipés. En tous les cas, si le Maroc en vient à prendre une décision aussi importante et ce, de façon unilatérale, c’est qu’il ne veut plus se laisser manger la laine sur le dos. Pour qui connaît l’histoire entre le Maroc et la France, c’est la première fois qu’on atteint un tel niveau de brouille. Sous le règne du père, Hassan II, Paris et Rabat entretenaient d’excellentes relations d’amitié voire de complicité. L’affaire de l’opposant marocain, le général Oufkir, en était la parfaite preuve. Il est vrai, les temps ont changé, les pratiques aussi. Car il est plus difficile aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans, pour un président français, d’orienter une action judiciaire dans une direction ou une autre, eu égard à la vigilance citoyenne française et à la percée des mouvements et associations de défense des droits de l’Homme. Ceci explique-t-il cela ? Sous Mohamed VI, la France et son ancienne colonie n’arrivent pas à gérer les incidents diplomatiques dans la discrétion. Or, les intérêts en jeu sont énormes. Autant le Maroc a des intérêts à préserver en France, autant ce pays en a beaucoup à défendre à Rabat. Et Hollande en est conscient.

Ni la France, ni le Maroc qui abrite d’importants ressortissants et entreprises françaises, n’ont intérêt à ce que cette brouille perdure

L’Afrique est le continent de l’avenir, dit-on, et s’aliéner un pays comme le Maroc dont le poids économique pèse lourdement dans la balance, c’est perdre un partenaire important. En dehors de l’aspect économique, le Maroc représente un allié important sur le plan géopolitique. En vérité, ni la France, ni le Maroc qui abrite d’importants ressortissants et entreprises françaises, n’ont intérêt à ce que cette brouille perdure. L’homme qui est dans le collimateur de la Justice française est un élément-clé de l’appareil sécuritaire du Maroc. C’est ce qui, de toute évidence, justifie la colère du roi. Une juste colère car les policiers français n’ont pas respecté les usages diplomatiques en pénétrant dans l’ambassade du Maroc à Paris. Mais jusqu’où ira ce courroux royal ? L’escalade risque de contraindre Paris à revoir sa copie et à ne pas seulement se contenter de faire part de ses regrets. Faire passer Abdelatif Hammouchi sous les fourches caudines de la Justice, c’est amener le Maroc à suspendre les échanges de renseignements dans la lutte contre la montée vertigineuse du terrorisme en France et Afrique dont les cibles privilégiées sont les intérêts français et plus généralement occidentaux. Et tout semble indiquer que Paris n’est pas prête à prendre ce risque. On peut donc dire que cette affaire est bien partie pour s’arrêter comme elle a commencé. Mais il s’agira de faire en sorte que, de part et d’autre, dans la discrétion, l’honneur soit sain et sauf.

Dabadi ZOUMBARA


No Comments

Leave A Comment