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TRANSITION POLITIQUE AU BURKINA : «Il y a des réformes à faire et des redressements à entreprendre


L’auteur du point de vue ci-dessous revient sur l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre derniers qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir. Selon lui, certains courtisans du régime voyaient venir les choses, mais se refusaient à voir la réalité devant eux.

Il dégage quelques événements symptomatologiques qui, selon lui, laissaient présager la chute du système Compaoré. Lisez !

 

Formidable Burkina Faso !

En 48 heures le peuple du Burkina a mis fin à 48 ans de règne militaire (1966-2014).

Quel peuple ! Docile, silencieux mais toujours maître de son destin.

Les pronostics apocalyptiques ont été déjoués. Tous ceux qui comptaient faire de la médiation au Burkina (avec dialogue direct entre protagonistes de la crise politico-militaire et processus DDR) ne sont venus que pour encourager la transition civile.

Blaise n’est pas parti en laissant des charniers mais des chantiers, comme s’il avait fait sien ma citation : « lorsqu’un Président refuse de partir et laisser des CHANTIERS, il part laisser des CHARNIERS ».

Qu’on le veuille ou non, Blaise Compaoré a été sage, même s’il a été contraint ou trahi, car il avait des hommes acquis qu’il pouvait activer et faire des milliers de morts avec les armes mortelles qui l’ont accompagné dans la forêt de Nobéré.

Les prémices d’un ras le bol et d’une aspiration à la considération, donc au changement étaient perceptibles. Malheureusement, les politologues du Régime n’ont pas su lire l’anthropologie du changement social. Ces politologues sont dépassés car ils se sont retrouvés chanceux au bon lieu, au bon moment où toute erreur était excusable. Ils s’étaient surtout adossés à des hommes forts qui constituaient pour eux, des forteresses tels Thomas Sankara sous le CNR (vous comprenez pourquoi il décidait souvent seul), et Blaise Compaoré sous le Front populaire, l’ODP-MT et le CDP. Qu’ils soient du côté du CDP ou anciens « CDPistes », ils refusent l’effort de réflexion (actualisée) et se cantonnent dans des déclamations, usent du louvoiement et de l’opportunisme, s’égarent dans l’aventurisme. Ces has-been, infantilisés à loisir ont à travers des concepts de guidisme éclairé et suprême, déifié Blaise Compaoré pour qui ils réclamaient même le prix Nobel de la Paix.

D’autres percevaient la réalité, mais avaient intérêt à ce que les choses soient ainsi afin que le pouvoir tombe pour qu’ils s’affranchissent de l’ombre tutélaire des frères Compaoré. C’est cette attitude à scier la branche sur laquelle on est assis que Francine Bucchi caractérise par la citation :‘’ le cynisme est la couleur unique du pouvoir’’.

L’étude symptomatologique de l’imminence de la chute du système Compaoré révèle les évènements suivants du processus révolutionnaire :

-Le fort taux d’abstention aux élections présidentielles, législatives et municipales ;

-La déclaration de Salif Diallo « Je ne suis pas un Yes man » en 2008 ;

-la naissance du CCVC (Collectif contre la vie chère) en 2008 et les grandes et violentes manifestations contre la vie chère qui en ont suivi ;

-la naissance du FOCAL (Forum des citoyennes et citoyens de l’alternance) en 2009 ;

-la naissance de l’UPC (Union pour le progrès et le changement) en 2010, parti qui prône le libéralisme mais qui a des pratiques et un discours socialiste ;

-la crise consécutive à la mort de Justin Zongo en 2011 ;

-la mutinerie des militaires et policiers de 2011 ;

-la position officielle de l’église catholique contre la modification de l’article 37 ;

-la montée grandissante de l’incivisme ;

-la mise à la retraite politique anticipée de Salif Diallo lors du 5è congrès du CDP en mars 2012, et la fusion entre le CDP et la FEDAP/BC par absorption du CDP par la FEDAP/BC ;

-la naissance du Balai citoyen en juillet 2013 et l’expression de son option révolutionnaire « chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir » ;

-les grandes manifestations de l’opposition et de la société civile le 29 juin 2013 contre la révision de l’article 37 ;

-les grandes manifestations de l’opposition et de la société civile le 28 juillet 2013 contre la révision de l’article 37 ;

-la naissance du MPP (Mouvement du peuple pour le Progrès) en janvier 2014 ;

-la grande marche de l’opposition le 18 janvier 2014 ;

-la pétition lancée par le Balai citoyen en janvier 2014 pour le respect de l’état de droit ;

-la naissance du Collectif anti référendum (CAR) regroupant 365 associations en février 2014 ;

-la naissance de l’Alliance des jeunes pour l’ndépendance et la république (AJIR) en février 2014 ;

-le grand meeting de l’ODJ (Organisation démocratique de la Jeunesse) en juin 2014, association composée majoritairement des camarades étudiants ou ex-étudiants ayant milité dans les structures d’obédiences révolutionnaires dont moi même, ainsi que les laissés-pour-compte (vendeurs à la crié, cireurs, mendiants, dockers, etc…) qu’ils ont conscientisés et organisés en cellules de réflexion et d’action (ce que les acteurs politiques officiels ne connaissent pas, car étant habitués à l’achat des consciences par des dons, des gadgets et d’argent) ;

-le discours (appel à la résistance) de l’ambassadeur des USA au Burkina le 04 juillet 2014 dans lequel, il dit : « les Burkinabè doivent se sacrifier pour prôner l’alternance », avant de paraphraser le président Obama qui dit : « il n y a pas de changement sans risques, et pas de progrès sans sacrifice » ;

– l’historique et prémonitoire discours de l’ambassadeur de France au Burkina le 14 juillet 2014, dont l’extrait :

[je cite Aristote qui distingue différentes formes de démocratie dont la meilleure vise aussi bien l’égalité que la liberté, et où « tous partagent principalement de la même manière le pouvoir politique ». Pour lui encore, une des formes les plus abouties de la démocratie consiste à être « tour à tour gouverné et gouvernant »

Etant là aussi pour observer la société burkinabè, je partage la préoccupation de beaucoup que le combat politique engagé en vue de l’élection présidentielle de fin 2015, soit mené dans le respect de toutes les personnes et des institutions, que le bien commun l’emporte toujours sur les intérêts privatifs et que toute idée de revanche ou de vengeance soit écartée.

Lorsque je voyage, ce qui m’arrive fréquemment, je note les proverbes que j’entends. Celui-ci en moré m’a interpellé par rapport à la situation actuelle : « San tara panga, en tar sougri ». La vraie grandeur, c’est de savoir écouter.]

-la réaction effrontée du président Compaoré aux propos du Président Obama lors du sommet Etats-Unis/Afrique en Août 2014. En rappel, le Président Obama, après avoir invité les Chefs d’Etat africains à ne pas modifier les constitutions pour s’accrocher au pouvoir, a déclaré que « l’Afrique a besoin d’institutions fortes mais pas d’hommes forts » ; et le Président Compaoré a répliqué en disant qu’ « il n’y a pas d’institutions fortes sans hommes forts », « il n’y a pas d’expérience unique à partager à travers le monde » ;

 

Comme le disait Thomas Sankara, « à la révolte passagère, simple feu de paille devait se substituer pour toujours la révolution, lutte éternelle contre toute forme de domination ».

N’est-ce pas vrai aussi comme le disait Alexandre Zinoviev dans son livre « le communisme comme réalité » que la révolution est l’enfant naturel d’un désir populaire ?

Formidable Burkina Faso !

Côte à côte, on voyait des progressistes et des réactionnaires, la société civile structurelle et conjoncturelle.

Bras dans bras, on voyait les partis politiques officiels (CFOP et partis non-alignés) et le parti clandestin (PCRV). Il y avait aussi les syndicats radicaux et non radicaux, les syndicats révolutionnaires de luttes de classe. Bref, il y avait des maoïstes, des tiers-mondistes, des alter-mondistes, des diopistes, des marxistes-léninistes, des socio-démocrates, des libéraux. Tous ont réussi. Ceux qui voulaient l’annulation du projet de révision ont réussi, ceux qui voulait faire aboutir la Révolution nationale démocratique et populaire (RNDP) ont réussi. Ceux qui voulaient un coup d’Etat ont surtout réussi.

Les chefs traditionnels et les autorités religieuses ont joué la médiation et ont/avaient refusé de prendre des postes dans le gouvernement et le CNT.

Un scénario de transition a été tracé, allant de l’adoption d’une Charte de transition à la mise en place d’un Conseil national de la transition (CNT) et d’un gouvernement de transition, et le tout de façon inclusive.

Il n’y a ni vengeance, ni revanche comme l’a souhaité l’ambassadeur de la France dans son discours du 14 juillet 2014.

L’ancienne majorité n’a pas été ostracisée et il n’y a pas de prisonniers politiques ou d’opinion.

Formidable Burkina !

C‘est le pays du panafricaniste Thomas Isidore Sankara ;

C’est le pays où la dernière voie idéologique (le tiercérisme du professeur Laurent Bado) est née ;

C’est le pays du journaliste émérite Norbert Zongo ;

C’est le pays qui a réussit une insurrection populaire en 1966 ;

C’est le pays qui a réussi une révolution populaire en 1983 ;

C’est le pays qui a réussi une insurrection populaire en 2014 ;

C’est le pays du médiateur Blaise Compaoré, omniprésent sur tous les théâtres de combat, je veux dire de médiation ;

C’est le pays qui a violé l’embargo Onusien sur la Lybie en y allant ;

C’est aussi et surtout un pays d’hommes courageux et téméraires ;

Ce peuple a un totem que je vais dévoiler aux présidents à venir : « la patrimonialisation du pouvoir par l’imbrication de la famille dans les affaires et la gestion du pouvoir d’Etat ». Et les exemples sont là : Dénis Yaméogo tomba Maurice Yaméogo son grand frère, et François Compaoré tomba Blaise Compaoré son grand frère.

L’histoire du Faso se répète souvent dans la forme, et je vois, superstitieux peut-être ,que certaines têtes (Hermann et Salvador) entraînent l’aveuglement, l’insurrection populaire, la chute et la fuite en Côte d’voire. Contestez-moi si je me trompe.

Le nébuleux Hermann Yaméogo en 2011 au plus fort de la crise consécutive à la mort de Justin Zongo disait sur les ondes que si Blaise ne prend pas au sérieux l’aspiration du peuple au changement, il pourrait être emporté par une insurrection populaire comme le fut « feu » son père Maurice Yaméogo. Il est clairvoyant et légaliste, il faut le reconnaître, mais l’opportunisme et l’appât du gain l’ont souvent aveuglé. Tout comme les autres, il n’a pas compris que l’aspiration du peuple au changement a ôté de son corps la peau du lion de Némée

Au Burkina Faso, les choses ne seront plus jamais comme avant ; il y a des redressements à faire et des réformes à entreprendre. Cette transition doit tracer les voies de l’espoir pour le Burkina Faso. Par conséquent, et pour permettre le suivi-évaluation de la feuille de route et rassurer le peuple et les partenaires sur certaines questions, le Premier ministre doit traduire la feuille de route en programme, et présenter devant le CNT son discours de politique générale. Le temps semble faire défaut, mais comme les partenaires internationaux qui nous oxygènent nous observent, il est impératif de restaurer le pouvoir par le vote dans les délais. Allons donc à l’essentiel, en vitesse mais sans précipitation.

Jean- Claude Kaboré,

Contrôleur, auditeur interne au CNRST,

Enseignant d’université

[email protected]

 

 


Comments
  • Bien dit M. Kaboré ; certains faits relatés doivent pouvoir redirigés tous Leaders politiques aspirant jouer un rôle pour leur pays. Aussi, la très bonne remarque est que notre Transition doit aller à l’essentiel et surtout poser un bon gabarit pour les futurs Gouvernements.

    16 février 2015

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