HomeA la uneTRANSITION POLITIQUE AU MALI : Pourquoi les autorités se montrent-elles allergiques à la critique ?

TRANSITION POLITIQUE AU MALI : Pourquoi les autorités se montrent-elles allergiques à la critique ?


Hier, c’était « Ras Bath » et « Tantie Rose », deux leaders d’opinion qui étaient interpellés pour des raisons diverses. Le premier, de son vrai nom Mohamed Youssouf Bathily, chroniqueur radio et activiste très connu de son état, a été arrêté et placé sous mandat de dépôt à Bamako, le 13 mars dernier. Il est poursuivi pour « atteinte au crédit de l’Etat » pour avoir tenu des propos qualifiant la mort, en détention, de l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, d’«assassinat ». Dans la foulée, la deuxième, Rokia Doumbia à l’état civil, était placée en garde à vue quelques jours plus tard, pour avoir dénoncé sur les réseaux sociaux, la vie chère en des propos sans équivoque, mettant directement en cause les autorités de la transition dont elle a qualifié l’action à la tête de l’Etat, d’« échec avec un bilan de 0% ». Aujourd’hui, c’est le Parti socialiste démocrate africain (PSDA) qui est dans le collimateur de la Justice malienne, pour des propos tenus, en octobre dernier, par son président, Ismaël Sacko, à l’encontre du Premier ministre Choguel Maïga qu’il a notamment traité d’«ingrat », d’«imbu » et de « pleurnichard ».

 

 

Les interpellations se multiplient contre tous ceux qui sont soupçonnés de chercher à ramer à contrecourant de l’élan de la Transition

 

Des propos jugés « insultants à l’endroit des autorités de transition, notamment du Premier ministre par intérim » et qui semblent avoir provoqué le courroux du gouvernement, à en juger par la procédure judiciaire de dissolution engagée contre le parti. Ce dernier a été attrait devant la Justice pour « atteinte à l’ordre public et à la souveraineté nationale ». L’audience était au rôle du Tribunal de grande instance de la Commune II de Bamako, le 5 avril dernier. Le moins que l’on constate, c’est que les interpellations se multiplient au Mali où les autorités de la transition semblent décidées à sévir contre tous ceux qui sont soupçonnés, à tort ou à raison, de chercher à ramer à contrecourant de leur élan. Et avec ces assignations en Justice en cascade, il y a comme une intention manifeste de faire planer une véritable chape de plomb sur la tête de tous ceux qui osent donner de la voix pour porter la critique à l’action du gouvernement. La question qui se pose alors est de savoir pourquoi les autorités de la transition montrent une telle fébrilité qui frise parfois l’allergie à la critique.  De quoi ont-elles peur ? Ou alors, qu’est-ce qui se cache derrière cette propension à traîner, pour un oui ou pour un non, devant les tribunaux, ceux de leurs compatriotes qui se veulent autant de voix discordantes dans un pays où, sauf erreur ou omission, la liberté d’expression n’est pas officiellement remise en cause ?  Choguel Maïga aurait-il déjà oublié le trublion qu’il a été pour bien des régimes précédents à l’instar de celui de Ibrahim Boubacar Kéita contre qui il n’a pas eu de mots assez durs quand il était dans l’opposition où il a fini à la tête de la contestation du M5-RFP ?

 

Le seul combat qui vaille aujourd’hui pour le pouvoir de Bamako, c’est de réussir une transition au tournant de laquelle il se sait fortement attendu

 

Autant de questions qui interpellent d’autant plus que les cas ci-dessus cités semblent répondre de la même logique qui avait vu le leader d’une autre formation politique, le parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), Oumar Mariko, être écroué, en décembre 2021, pour des propos jugés irrévérencieux tenus à l’encontre du même locataire de la Primature. A la suite de cette première interpellation, l’opposant avait bénéficié d’une liberté provisoire avant d’être visé à nouveau, quelques mois plus tard, par une autre procédure judiciaire pour des accusations d’exactions portées contre l’armée. Une situation qui a obligé Oumar Mariko à disparaître de la circulation et à se faire plutôt discret, depuis lors. C’est dire s’il ne fait pas bon être catalogué aujourd’hui au Mali comme une note dissonante à ce qui se veut une « symphonie » de la transition. Pour en revenir à l’audience d’hier, au-delà du verdict, ce qui interroge, c’est moins la procédure judiciaire en elle-même que la démarche qui est allée directement à une requête en dissolution du parti pour des poursuites qui auraient pourtant pu trouver tout leur sens dans un procès en diffamation contre son président. C’est dire si la junte au pouvoir à Bamako doit se ressaisir au risque de prêter davantage le flanc à la critique si elle n’apporte pas tout simplement de l’eau au moulin de ses contempteurs qui la soupçonnent d’avoir un agenda caché en lien avec la fin de la transition censée signer le retour des civils au pouvoir. Toujours est-il qu’en éludant la procédure au pénal contre l’auteur des propos jugés « insultants » pour engager directement une procédure judiciaire de dissolution du parti, on peut s’interroger sur les motivations de la transition. Serait-ce pour des raisons pédagogiques ?  Est-ce des règlements de comptes politiques ? Ou bien cherche-t-elle à tailler des croupières à un potentiel adversaire dans la perspective des élections générales censées signer le retour à l’ordre constitutionnel ?  Sur ces questions, l’histoire se chargera sans doute d’apporter des éclairages édifiants. En attendant, tout porte à croire que le seul combat qui vaille aujourd’hui pour le pouvoir de Bamako, c’est de réussir une transition au tournant de laquelle il se sait fortement attendu, et par les Maliens, et par la communauté internationale. C’est à ce résultat que Choguel Maïga, son gouvernement et tout l’Exécutif seront jugés. Et c’est déjà dans quelques mois. Du moins, en principe…

 

«  Le Pays »  

 


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