TROUBLES VISUELS CHEZ L’ENFANT « Selon l’OPC, chaque minute, un enfant devient aveugle dans le monde », dixit Dr Amadou Ouattara
Les troubles visuels chez l’enfant sont une anomalie réfractive des yeux, qui touche les enfants de 0 à 15 ans. Ils constituent les affections oculaires les plus fréquentes. Les pathologies oculaires de l’enfant les plus récurrentes sont les affections occasionnant les opacités cornéennes séquellaires secondaires, l’onchocercose, le trachome, la cataracte rubeolique, ainsi que les affections génétiques et congénitales. Dans cette interview qu’il nous a accordée, le médecin ophtalmo-pédiatre du service de chirurgie du Centre hospitalier universitaire pédiatrique Charles De Gaulle (CHUP-CDG), Amadou Ouattara, nous parle de sa spécialité et des troubles de la vision chez l’enfant. Lisez !
Votre Santé : Qu’est-ce qu’un ophtalmo-pédiatre ?
Dr Ouattara : Un ophtalmo- pédiatre s’intéresse à toutes les pathologies et les troubles visuels du nouveau-né et de l’adolescent. Votre question me permet de faire un bref rappel concernant la pédiatrie qui s’est développée suite au fait que des médecins qui s’occupaient des adultes ont commencé à adresser des enfants à leurs collègues qui s’occupaient plus des enfants, donc qui avaient des compétences pour les observer, les examiner et questionner leurs parents.
De nos jours, cette spécialisation continue en se subdivisant en pédiatrie médicale et chirurgicale et chacune en surspécialités chirurgicales et médicales. C’est ainsi que vous rencontrerez des oncho-pédiatres, des pédopsychiatres, des neuro- pédiatres, des ophtalmo- pédiatres, etc.
Quel est le travail d’un ophtalmo-pédiatre ?
Vous aurez compris que l’ophtalmo-pédiatre est un ophtalmologiste qui s’est surspécialisé pour s’occuper du développement visuel, des pathologies oculaires de l’enfant, de la réhabilitation visuelle et de la réadaptation des enfants.Ce dernier point est capital, car on sait que si le développement visuel est perturbé par un trouble visuel ou une pathologie oculaire quelconque comme les troubles de la réfraction ou la cataracte, il faut vite mettre en route le traitement de l’amblyopie par une équipe composée d’ophtalmo-pédiatres, d’ophtalmologistes et d’orthoptistes.
Recevez-vous des patients en consultation dans votre domaine ?
Les consultations ont lieu chaque lundi et vendredi dans l’Unité d’ophtalmologie et concernent tout enfant de 0 à 15 ans.Les parents viennent parce que les yeux de leurs enfants collent, rougissent, coulent, ne s’ouvrent pas ou peu, sont déformés ou les yeux ne regardent pas dans la même direction, sont gros, sont petits. Les parents, les collègues, les infirmiers, les sages-femmes, les enseignants peuvent les adresser après avoir constaté un comportement visuel anormal de malvoyance ou de cécité. Par ailleurs, nous répondons aux sollicitations des collègues qui demandent un avis ophtalmologique pour les enfants hospitalisés, à tout moment.
Quels sont les types de patients que vous recevez ?
En termes d’âge, nous recevons les enfants de zéro à 15 ans donc les nouveau-nés, les enfants en maternelle, les écoliers et les non-scolarisés en provenance de toutes les régions du pays.
Quelle est la pathologie de l’œil la plus fréquente chez l’enfant ?
Nous disposons de données chiffrées par l’OMS concernant la fréquence de la cécité, de la malvoyance et de la distribution des affections oculaires dans le monde.
Au Burkina Faso, à l’instar des autres pays à faible revenus, les pathologies oculaires rencontrées sont :
-les affections occasionnant les opacités cornéennes séquellaires secondaires (ophtalmie néonatale, thérapies nuisibles des « médecines traditionnelles », la rougeole, avitaminose A), onchocercose, trachome.
-Cataracte rubéolique
En plus des affections génétiques et congénitales :
-la cataracte congénitale,
– le glaucome congénital,
-les dystrophies rétiniennes héréditaires.
Les traumatismes au Burkina Faso surviennent fréquemment par jets de pierre et accidents de la voie publique.
En 2004, l’OMS estimait à 19 millions de malvoyants les enfants de moins de 15 ans dans le monde dont les trois quarts vivent en Afrique et en Asie, et dont 12 millions par cécité réfractive et 1,4 million par cécité irréversible.
La prévalence de la cécité est de 1,5 pour mille dans nos pays, contre 0,3 pour mille dans les pays développés, d’où l’intérêt du dépistage précoce et du traitement des cécités évitables. En 2010, l’OMS estimait que 285 millions de personnes avaient une déficience visuelle dont 39 millions d’aveugles, 246 millions de malvoyants et 42% de ces malvoyants le sont par erreur réfractive non corrigée ; la cécité infantile était chiffrée à 4%.
Mathématiquement, la pathologie de l’œil la plus fréquente est l’erreur de réfraction, quel que soit l’âge et quel que soit le pays.
Par quoi est-elle causée ?
On ne sait pas exactement à quoi est due une erreur de réfraction ou vice de réfraction. Le terme médical est que les erreurs de réfraction sont constitutionnelles c’est-à-dire qu’elles dépendent de l’état dans lequel l’organe se trouve à la naissance et au cours de son développement. Cela sied bien au processus de développement de l’œil de l’enfant.
On a trois types d’erreurs de réfraction chez les enfants, à savoir un œil long donc myope avec une difficulté de voir de loin et une bonne vision de près ; un œil court, hypermétrope, avec la difficulté de voir de près, obligeant certains enfants à faire plus d’efforts d’où les maux de tête, et un œil avec une courbure de la cornée déformée c’est-à-dire astigmate ; dans ce cas, l’enfant voit déformé de près et de loin, il confond les lettres H, N, M, 0, 8, V et U…
La myopie et l’hypermétropie peuvent se combiner avec l’astigmatisme. Tous ces vices de réfraction sont amblyogènes.
Comment se manifeste-elle ?
La manifestation se résume à une vision floue, à la difficulté de dévisager ou de lire correctement de loin ou de près. C’est une cécité évitable, car si l’enfant porte des verres correcteurs, le problème est à 95% résolu.
Est-elle héréditaire ?
On n’a pas de mode de transmission génétique précis. Ce n’est pas forcément une maladie autosomique dominante, autosomique récessive, transmise par voie mitochondriale ou liée à l’X.
Cependant, en 2008, l’équipe d’ophtalmo-pédiatres du professeur Ian Morgan en Australie, a révélé un facteur épi-génétique, c’est-à-dire lié à l’environnement, notamment le manque ou l’insuffisance d’ensoleillement et d’exercice physique. D’ailleurs, dans les pays asiatiques, notamment à Taïwan où on a une épidémie de myopie, la technique en plein essor se fonde sur le fait de laisser les enfants apprendre et pratiquer les loisirs à l’air libre, au dehors. Les résultats sont encourageants.
A côté de cela, il faut prendre en considération les antécédents familiaux.
Quelles sont ces complications ?
La complication majeure chez l’enfant, c’est l’amblyopie, c’est-à-dire une baisse d’acuité visuelle d’un œil. L’amblyopie est fonctionnelle quand elle n’est pas due à une maladie provenant d’une structure de l’œil. Dans ce dernier cas, elle est dite organique.
L’œil normal aura tendance à travailler seul.
Chez l’enfant, il est établi d’une part, que si un œil présente une amblyopie, le développement visuel de cet œil se perturbe ; d’autre part si on stimule ce même œil pendant une période dite sensible qui va de 0 à 5 ans, le développement visuel se rétablit.
Le traitement de l’amblyopie donne 100% de réussite à moins de 2 ans, 50% quand l’enfant est âgé de 2 à 5 ans, au-delà de 5 ans, le succès du traitement de l’amblyopie est quasi nul.
En somme, dépistée avant 12 mois, la rééducation est plus aisée. Après, elle est plus longue et difficile. L’œil amblyope devient paresseux et son développement visuel se perturbe. Cet état va avoir des répercussions sur la vision du futur adulte et même de son insertion sociale. Cette complication a un coût économique, social et éducatif pour l’individu et la société.
Comment prévenir cette maladie ?
La prévention ici est secondaire. Comme on ne peut pas modifier l’œil, il faut dépister les erreurs ou vices de réfraction chez les enfants et les traiter.
Cela s’inscrit dans la stratégie globale de l’OMS, du dépistage précoce et du traitement des cécités évitables.
Comment se fait le traitement ?
Le traitement de l’œil amblyope se fait par la rééducation par une équipe d’ophtalmologistes, d’orthoptistes et d’opticiens.
L’orthoptiste fait les séances de rééducation après un bilan demandé par l’ophtalmologiste qui recherche d’autres signes associés comme un œil qui louche où qui tremble. L’opticien monte les verres sur des montures adaptées pour les enfants.
L’ophtalmo-pédiatre revoit l’enfant et vérifie la vision tout en cherchant d’autres pathologies associées jusqu’à l’âge de 15 ans où le développement visuel s’achève.
Une rééducation ne marche que si l’enfant a des verres correcteurs les mieux adaptés. De la qualité de la correction optique et de l’adaptation dépend le succès de la rééducation. La première étape du traitement passe par le port de verres correcteurs bien adaptés.
Quel est l’état des lieux de cette pathologie ?
Il l’est à plus d’un titre.
Primo, les enfants représentent la majeure part de la population mondiale. Selon l’INSD, en 2015, 48% des Burkinabè avaient moins de 15 ans. Secundo, le développement visuel va de la naissance jusqu’à l’adolescence et quand un enfant a une malvoyance, la durée de son handicap visuel est plus longue que celui d’un adulte.
En plus de ces deux aspects, dans notre contexte, du fait du manque d’équipements médicaux et chirurgicaux, d’insuffisance de personnel qualifié, c’est un problème de santé publique qui nécessite une réponse appropriée et urgente.
Pour dépister le plus grand nombre, il faut des moyens conséquents en équipement, personnel et disponibilité des lunettes adaptées aux enfants.
Combien d’ophtalmo- pédiatres compte le Burkina ?
(Sourire), je suis pour le moment le seul dans cette spécialisation.
Comment vous sentez-vous?
De prime abord, j’allais dire incompris, car le constat actuel décourage plus d’un, surtout les plus jeunes, à s’orienter vers l’ophtalmologie pédiatrique alors que le défi est grand et noble. Selon une étude de l’Organisation pour la prévention contre la cécité (l’OPC) en 2017, chaque minute, un enfant devient aveugle dans le monde. Il est évident qu’une seule personne ne peut pas tout faire en ophtalmologie pédiatrique, car il y a une tendance mondiale à la super-spécialisation en ophtalmologie pédiatrique. Les ultra spécialités d’oculoplastie, de strabologie, de chirurgien du vitré et de la rétine, de la basse vision et autres sont attrayantes.
Il faut que les jeunes et les autres ophtalmologistes se spécialisent à l’ophtalmologie pédiatrique, car la cible représente la moitié de notre population. Par ailleurs, le développement de cette spécialité s’est fait aux Etats-Unis et en France par des spécialistes en grand nombre, regroupés en associations ou sociétés savantes d’ophtalmo- pédiatres.
Etant le seul ophtalmo- pédiatre au Burkina, comment vous sentez- vous et comment arrivez- vous à prendre en charge les patients ?
C’est un choix qui me donne une satisfaction multiforme et une curiosité intellectuelle, technique et humaine permanente au contact des enfants et des parents. C’est aussi un choix de carrière, car l’ophtalmologie pédiatrique se pratique, en partie, à l’hôpital au sein d’une équipe pluridisciplinaire faite de pédiatres, de chirurgiens pédiatres, d’orthoptistes, d’infirmiers spécialisés en ophtalmologie, de psychologues, de neurologues, de dermatologues, de kinésithérapeutes et avec une interaction permanente avec d’autres acteurs hors de l’hôpital, tels que les opticiens, les prothésistes, les enseignants et bien d’autres spécialités que je ne cite pas ici.
C’est une spécialité centrale pour le dépistage, le traitement et l’accompagnement des enfants sur le plan éducatif et social. C’est une spécialité transversale à l’hôpital, tant par ses aspects médicaux que chirurgicaux. Enfin, l’exercice en milieu hospitalier permet d’entretenir et de foisonner le savoir-être et faire au contact des maîtres, par le biais de l’encadrement des stagiaires et la valorisation des observations cliniques. Il y a aussi le volet accompagnement, orientation et insertion sociale qui se fait en interaction avec plusieurs intervenants.Un enfant vu avec un handicap visuel définitif, je veux dire la cécité, doit être orienté vers un centre d’apprentissage du Braille. Si le déficit est partiel, je veux dire la malvoyance, il faut l’accompagner en l’aidant à utiliser le mieux la vision pour son insertion sociale. Nous souhaitons renforcer le réseautage des spécialistes qui sont en contact avec les enfants, pour faciliter l’accompagnement éducatif et social des enfants déficients visuels.
Faites-vous des interventions chirurgicales des yeux des enfants au CHUP-CDG ?
Nous envisageons de mettre en œuvre cette autre activité de notre spécialité, de façon progressive. En perspective, la direction médico- technique du CHUP-CDG souhaite rendre opérationnelle la chirurgie de la cataracte. Nous invitons tous les acteurs de la santé oculaire au Burkina Faso à nous accompagner. Il faut l’équipement du bloc opératoire (microscope opératoire, instruments chirurgicaux, appareils de chirurgie et de stérilisation) et un stage de recyclage en chirurgie de la cataracte.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Les difficultés sont celles inhérentes aux services de santé au Burkina Faso. L’absence d’équipement, le sous-équipement, les équipements de moindre qualité donc moins robustes et incomplets, ou des équipements qui ne tiennent pas compte des spécificités des utilisateurs, compliquent la prise en charge au lieu de la faciliter.
Quelles sont les spécificités de votre spécialité en équipements ?
Selon ce qui est commun à toutes les spécialités médicales, il faut que le matériel soit fabriqué pour l’examen ou le test que les praticiens font ou réalisent. Les maisons ou les sociétés qui les fabriquent sont connues mondialement. Je veux dire que le matériel doit être original, avec une garantie, une formation pour l’installation, une formation de prise en main, un suivi réel et rapide dans la réparation. Vous qui êtes femme, vous savez qu’on n’est pas forcément plus à l’aise avec un gros couteau, même s’il est plus costaud, qu’un petit pour couper les légumes ou éplucher des tubercules.
En médecine, le praticien doit être à l’aise avec le matériel. C’est pourquoi il doit être présent au début de la commande, donc identifier le matériel le plus performant à même de faire ce pour quoi il a été conçu. Mieux, il faut qu’il bénéficie de l’assistance technique des fabricants durant l’exploitation du matériel. C’est à ce prix qu’il peut atteindre les mêmes résultats que ses autres collègues d’ailleurs.
En ophtalmologie pédiatrique, la spécificité de l’équipement est liée à la difficulté d’accéder à l’œil de l’enfant. Généralement, pour faciliter l’examen, on met l’enfant en sommeil artificiel par le biais de l’anesthésie générale. Au bloc, nous utilisons des appareils en miniature ou portatifs dont beaucoup portent le nom que les maisons-mères leur ont donné.
Actuellement, n’ayant pas d’équipement adéquat à notre disposition, nous ne réalisons pas d’examen d’enfants sous anesthésie générale dans notre unité.
Par ailleurs, en consultation, on utilise soit des appareils communs aux adultes : la Lampe à fente (LAF), fixée sur un support solide ; soit spécifique aux enfants, le casque de Schepens par exemple.
Ce que je viens de citer ne constitue que les appareils nécessaires à l’examen des yeux. Pour affiner le diagnostic, on a recours, comme dans toutes les spécialités médicales, aux examens complémentaires de l’organe affecté, ici l’œil. Devant un enfant de moins de 3 mois avec un comportement de malvoyance ou de cécité en sus des données cliniques, on est amené à examiner les structures composantes de l’œil et à étudier leur fonctionnement par des appareils comme l’Electrorétinographe (ERG) Potentiels évoqués visuels (PEV), et parfois des appareils d’imagerie oculaire à partir de 3 ans (OCT, Angiographie, Echographie) de neuro imagerie : TDM , IRM et de laboratoires.
Vous parliez de réponse appropriée et urgente ; qu’est-ce que cela veut dire ?
Si vous le permettez, c’est un cri du cœur que je lance.
Nous lançons un appel pressant à l’endroit des partenaires nationaux et internationaux, afin qu’ils sachent que le besoin en soins oculaires des enfants est un problème de santé publique au Burkina Faso et que l’unité d’ophtalmologie pédiatrique du CHUP-CDG demande leur accompagnement afin que le droit à la vue via le programme vision 2020, initiative mondiale initiée par l’OMS en 1999 , à laquelle notre pays adhère, pour éliminer la cécité évitable dont les troubles visuels et la cataracte, soit en partie une réalité aux profits des enfants burkinabè.
Quels conseils pratiques pouvez-vous donner aux parents ?
Les parents sont nos accompagnants privilégiés en ophtalmologie pédiatrique. D’eux dépendent l’administration des collyres et pommades ophtalmiques, le port des lunettes, leur entretien et le suivi du comportement visuel des enfants. Cet accompagnement se fait sur le long et court termes, au prix de visites ou consultations médicales fréquentes.
Chez l’enfant, on ne sait pas exactement à quel moment surviendra ce problème, car ils naissent avec un système visuel immature. La maturation qui se fait par l’augmentation de la longueur de l’œil, allongement des articles externes des cônes et des bâtonnets, le développement des synapses dans l’aire corticale 17 peut se perturber à tout moment.
En somme, avant 10 ans, rien n’est acquis.
D’où l’impérieuse nécessité de contrôler la vue des enfants dès la naissance, à 3 ou 4 mois, à 6 mois, surtout si l’enfant louche, à 1 an, considérée comme la période la plus sensible, à 3 ou 4 ans et 6 ou 7 ans par un pédiatre, un médecin généraliste, un ophtalmologiste.
Valérie TIANHOUN