VERDICT DU PROCES DU 28-SEPTEMBRE EN GUINEE : Des leçons à tirer
Vingt-deux mois après son ouverture, l’interminable procès des événements du 28- Septembre en Guinée Conakry, a connu son épilogue le 31 juillet dernier, avec le verdict rendu par le tribunal criminel de Dixxin placé sous très haute sécurité, après un mois de délibération à huit clos. Dès l’ouverture de l’audience, le juge du fond a informé les accusés qui l’ont écouté avec la mine sombre et sans broncher, que les faits pour lesquels ils ont été renvoyés devant cette juridiction pénale de jugement, ont été requalifiés en de crimes contre l’humanité comme l’avait sollicité le représentant du ministère public lors de ses réquisitions orales et finales à l’audience du 22 mai dernier. Dès lors, l’ancien président Moussa Dadis et ses principaux lieutenants présents dans la salle, savaient que les carottes étaient cuites, et qu’ils allaient être fatalement condamnés au nom de la responsabilité du commandement ou du supérieur hiérarchique. Cette requalification in extremis des infractions, relève certes des prérogatives des juges du fond qui ont le pouvoir d’examiner les faits sous toutes les qualifications juridiques possibles et appropriées, mais elle reste cependant une surprise et même problématique au regard de la différence des éléments constitutifs entre les infractions originellement reprochées aux accusés et celles finalement retenues.
La conclusion de ce procès offre aux victimes une lueur d’espoir quant à la possibilité d’avoir enfin réparation
Les avocats de la défense qui s’y étaient vigoureusement opposés, vont certainement ruer encore dans les brancards et faire appel de cette décision rendue par le tribunal. En attendant, le président Brahima Sory Tounkara et ses assesseurs ont rendu le verdict tant attendu, avec des peines relativement clémentes pour les 11 accusés présents dans la salle d’audience. Ainsi, le sulfureux Moussa Dadis Camara qui était le président de la Guinée au moment des faits, a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité perpétrés le 28 septembre 2009 dans le stade éponyme. Mais le tribunal n’a pas suivi le Parquet qui a requis contre lui la prison à vie. Il s’en tire avec 20 ans de réclusion criminelle, malgré la litanie de crimes d’assassinats, violences sexuelles, actes de torture, enlèvements et séquestrations qui pesaient sur lui. Il sera accompagné à la maison carcérale de Conakry par son ancien Secrétaire d’Etat chargé de la lutte antidrogue, le colonel Moussa Tiégboro Camara qui écope de la même peine pour les mêmes faits. Le truculent Marcel Guilavogui est, lui aussi, dans la nasse, même s’il a déjà purgé 13 ans de détention préventive qui seront déduits des 18 ans de prison ferme dont il a écopé. Il pourrait d’ailleurs bénéficier rapidement d’une liberté conditionnelle pour avoir déjà purgé plus de la moitié de sa peine à la Maison centrale. C’est la bérézina, en revanche, chez le colonel Blaise Goumou, Mamadou Aliou Kéita et Paul Mansa Guilavogui qui sont envoyés derrière les barreaux respectivement pour 15, 11 et 10 ans.
Savoir se mettre à l’abri du verdict impitoyable de l’Histoire
Les juges du fond ont été sans pitié pour le grand absent, le colonel Claude Pivi qui s’est évadé de prison en plein procès. Son sang a dû faire un tour depuis sa planque quand il a entendu le juge Ibrahima Sory le condamner quasiment à la perpétuité incompressible, puisque la peine qui lui a été appliquée, est assortie d’une période de sureté de 25 ans et d’un mandat d’arrêt international. Celui dont le sort était le plus attendu était, sans conteste, l’ancien aide de camp du président Dadis, le commandant Aboubacar Toumba Diakité. Cet accusé-vedette du procès n’est pas sorti indemne de l’épreuve bien qu’il ait joué le rôle de témoin à charge contre la plupart de ses coaccusés, à la grande satisfaction du Parquet qui était à la peine dans la recherche de preuves et de témoignages pour confondre les présumés coupables. Si on ne peut pas dire que lui et ses avocats ont gagné le procès, ils ne l’ont pas perdu non plus, puisque le tribunal a eu la main moins lourde en le condamnant à seulement 10 ans de prison, dont les 7 ans qu’il a déjà passés en taule, seront déductibles. Quant à l’ancien ministre de la Santé Abdoulaye Chérif Diaby et à trois autres accusés, en l’occurrence Cécé Raphael Haba, Ibrahima Camara dit Kalonzo et Alpha Amadou Baldé, ils ont été tout simplement acquittés pour infractions non constituées
Tout est bien qui finit bien, et la conclusion de ce procès, le 31 juillet, offre aux victimes des pires violations des droits de l’Homme jamais perpétrées par les forces gouvernementales en Guinée, une lueur d’espoir quant à la possibilité d’avoir enfin réparation, du moins si les juges vont dans les prochains jours dans le sens des réquisitions de leurs avocats qui demandent entre un et trois milliards de francs guinéens pour panser les blessures physiques et le traumatisme psychologique qu’elles ont endurés. Reste à savoir si ce verdict et la condamnation des chefs de la transition guinéenne dirigée par Moussa Dadis Camara et de certains godillots pour leur implication dans les massacres du 28 septembre 2009, vont servir de catharsis et solder enfin les comptes dans ce pays fracturé par des considérations ethno-régionalistes qui ne cessent de le tirer vers le bas depuis son indépendance formelle en 1958. Rien n’est moins sûr. Car, d’ores et déjà, des voix se font entendre pour dénoncer une parodie de justice qui a condamné une infime partie des commanditaires et des exécutants, tout en laissant filer d’autres parce qu’ils sont tout simplement du bon côté du manche.
Cela dit, les leçons à tirer de ce procès, devraient d’adresser à tous les dirigeants africains champions de l’oppression et de la répression. Ils devraient se convaincre une fois pour toutes qu’il y a un temps pour faire la pluie et le beau temps et un temps pour rendre des comptes devant l’histoire. Ce faisant, dans l’exercice du pouvoir, ces grands manitous doivent se fixer des limites à ne pas franchir pour leur propre bien et celui des peuples qu’ils gouvernent. En un mot comme en mille, ils doivent se résoudre à exercer une gouvernance vertueuse, seule à même de les mettre à l’abri du verdict impitoyable de l’Histoire.
« Le Pays »