VIOLENCES PRE-ELECTORALES AU SENEGAL : Le pays de la Teranga n’a pas besoin de ça
Le 17 juin dernier, on a encore respiré le soufre et la poudre, notamment à Dakar et à Ziguinchor. En effet, comme promis, des partisans de Yewwi Askan Wi ont pris d’assaut, ce jour-là, les rues des deux principales villes du pays pour protester contre le rejet de la liste nationale menée par Ousmane Sonko pour les législatives prévues le 31 juillet prochain. En rappel, les autorités avaient, en des termes explicites, interdit cette manif. En dépit de cela, des partisans de l’opposant ont battu le macadam, munis de pancartes hostiles, non seulement à la justice accusée à tort ou à raison d’être aux ordres, mais aussi à Macky Sall, fortement soupçonné de nourrir le projet d’un troisième mandat. Certains croquants brandissaient également des banderoles dénonçant la chute du pouvoir d’achat. Bref, à la revendication originelle, sont venues se greffer d’autres revendications dont la nature laisse percevoir un amalgame de genres. Et ce que bien des observateurs avertis de la scène politique sénégalaise, redoutaient en termes de risques liés à cette marche interdite, a malheureusement eu lieu. En effet, à en croire l’opposition, trois personnes ont perdu la vie lors de la manifestation.
L’histoire se répète au Sénégal, et de manière tragique
Et l’activiste Guy Marius Sagna de « Frapp France Dégage », de préciser que l’une d’entre elles a succombé à une balle reçue dans le cou. Une autre précision qui est loin d’être superfétatoire, est que le directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal, Seydi Gassama, a demandé à ce que « tous les corps des personnes décédées suite aux manifestations, soient autopsiés avant d’être remis aux familles pour inhumation ». Pour le défenseur des droits humains, cela constitue une étape importante dans la recherche de la vérité sur les causes et les circonstances de leur décès. Ousmane Sonko, très remonté, a juré la main sur le cœur, que « ces crimes ne resteraient pas impunis ». Ainsi donc, l’histoire se répète au Sénégal, et de manière tragique. En effet, on se souvient qu’au mois de mars 2021, le pays avait été le théâtre d’émeutes meurtrières liées à des tensions politiques entre le pouvoir de Macky Sall et l’opposition. A quarante jour des législatives, l’on a véritablement des raisons de craindre le pire au Sénégal. En tout cas, Yewwi Askan wi n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. Pour elle, les choses sont claires. Les législatives du 31 juillet ne sauraient se tenir sans la participation de son mentor, Ousmane Sonko. Ce dernier qui était bloqué à son domicile par les forces de sécurité et qui, de ce fait, n’a pas pu se joindre à la manif de ce vendredi, a lancé un ultimatum au gouvernement, lui enjoignant de libérer sans condition, les manifestants dont des leaders de l’opposition, qui sont en situation de garde à vue. De son côté, Benno Bokk Yaakaar, la coalition au pouvoir, s’est félicitée « de l’efficacité de l’action publique à faire respecter la loi et maintenir l’ordre ». Et de rassurer les Sénégalaises et les Sénégalais, que le scrutin du 31 juillet prochain, se tiendra « normalement et en toute sécurité ».
On doit se garder d’aller vite en besogne en accusant l’institution suprême de rouler pour une chapelle en particulier
Comme on le voit, la césure entre l’opposition et le pouvoir est nette et abyssale. Pour les premiers, c’est-à-dire les partisans de Ousmane Sonko, les forces de l’ordre, tout comme la Justice sénégalaise, roulent pour la coalition au pouvoir. Pour les seconds, c’est-à-dire les militants de Benno Bokk Yaakaar, les contestataires de ce vendredi étaient tout simplement dans une logique insurrectionnelle. La loi leur a donc été logiquement appliquée. Sans forcément prendre parti pour l’un ou l’autre camp, l’on peut se permettre d’inviter tout le monde à respecter la loi. Car, celle-ci, dans une démocratie, est l’expression de la volonté générale, pour reprendre la formule de Rousseau. Et toutes proportions gardées, l’on ne peut pas dire que le Sénégal est une démocratie simulée. En tout cas, en Afrique, le Sénégal est perçu à juste titre comme une des vitrines de la démocratie. Celle-ci, bien sûr, reste perfectible. Mais, ce n’est pas à coups de violences meurtrières, à l’occasion de chaque scrutin, que les Sénégalais vont tirer la démocratie dans leur pays, vers le haut. Dans le cas d’espèce, c’est le Conseil constitutionnel qui a invalidé la liste menée par Ousmane Sonko. Et il l’a fait, en principe, sur la base d’irrégularités dûment établies. Sur cette base aussi donc, il a rejeté la liste du parti au pouvoir. Dès lors, on doit se garder d’aller vite en besogne en accusant l’institution suprême de rouler pour une chapelle en particulier. D’ailleurs, l’on peut prendre le risque de dire que la Justice sénégalaise, même si elle n’est pas la meilleure du continent, est loin d’être une institution digne d’une République bananière, comme on le voit dans bien « des pays de merde », pour parler comme l’ancien président américain, Donald Trump. En tout cas, le pays de la Teranga n’a pas besoin des violences meurtrières pré-électorales auxquelles l’on a assisté le 17 mai dernier. Il a plutôt besoin d’acteurs politiques qui se prêtent au jeu et aux exigences de la démocratie et de la République. Un tel paradigme, on le sait, ne peut pas s’accommoder avec la culture de la violence.
« Le Pays »