HomeA la uneARMAND BEOUINDE, MAIRE DE LA COMMUNE DE OUAGADOUGOU, A PROPOS DE LA CONSTRUCTION DES ROUTES « Il n’existe pas (…) de mode de passation de marchés qui soit exempt à 100% de magouille ou de corruption »

ARMAND BEOUINDE, MAIRE DE LA COMMUNE DE OUAGADOUGOU, A PROPOS DE LA CONSTRUCTION DES ROUTES « Il n’existe pas (…) de mode de passation de marchés qui soit exempt à 100% de magouille ou de corruption »


 

Gérer une commune de trois millions d’habitants comme Ouagadougou relève, bien évidemment, de la gageure. Armand Béouindé, un « self made man » à la tête de la mairie de Ouagadougou depuis juin 2016, est constamment sous les feux de la rampe et de critiques aussi. Nous l’avons rencontré dans le cadre de Mardi Politique. Et dans l’interview qu’il nous a accordée pour la première fois depuis qu’il a enfilé ses habits de premier magistrat municipal, M. Béouindé défend sa façon de faire. En plus des questions de lotissements et de l’incivisme routier qui font des gorges chaudes, le maire de Ouagadougou dévoile ses grands chantiers. Lisez plutôt !

Le Pays : Quel est le quotidien d’un maire de la ville de Ouagadougou ?

Armand Béouindé (A.B) : Le quotidien d’un maire de la ville de Ouagadougou, c’est d’abord le terrain et le contact avec ses concitoyens. C’est aussi le suivi de la mise en œuvre du programme de mandat, ponctué d’activités commandées par les sollicitations de la population, des partenaires, des autorités politiques, administratives, religieuses, etc. Un maire de la ville de Ouagadougou administre un territoire de 600 km² où vivent environ 3 millions d’habitants et qui reçoit de l’Etat, onze compétences que sont : le foncier des collectivités territoriales ; l’aménagement du territoire, la gestion du domaine foncier et l’aménagement urbain; l’environnement et la gestion des ressources naturelles; le développement économique et de la planification; la santé et l’hygiène; l’éducation, l’emploi, la formation professionnelle et l’alphabétisation ; la culture, les sports et les loisirs; la protection civile, l’assistance et les secours; les pompes funèbres et les cimetières; l’eau et l’électricité et enfin, les marchés, abattoirs et foires. Etre maire est une fonction très exaltante et passionnante et il est, dans ce sens, comme un prestataire de service public pour le plus grand bien de toute la communauté.

On vous sait très proche du président Roch Kaboré. Est-ce que cela n’a pas favorisé votre avènement à la tête de la mairie de Ouagadougou ?

Pour être maire d’une ville-capitale, il faut d’abord avoir la confiance de son parti qui, le premier, porte votre candidature, et partant, la confiance de ses premiers responsables. Le président du Faso est d’abord un grand frère, un ami et un camarade. Il m’a toujours gratifié de ses bons conseils et j’ai beaucoup appris à ses côtés. Je mettrai tout en œuvre pour continuer à mériter cette confiance qui dure depuis 30 ans.

Combien gagne, en termes de revenu, un maire central?

Il faut corriger l’appellation, il s’agit du maire de la commune de Ouagadougou et non du maire central. Pour répondre à votre question, le maire reçoit un revenu mensuel sous forme d’indemnités d’un montant de 700 000 FCFA, comme le prévoit le décret N°2017 portant grille indemnitaire du personnel de la fonction publique territoriale. Entre autres avantages, il a un véhicule de fonction et bénéficie d’une dotation de carburant et de frais de communication. Tout cela est transparent et les documents sont disponibles auprès de nos services financiers.

A combien estimez-vous exactement, aujourd’hui, la population de Ouagadougou ?

L’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) estimait qu’en 2018, Ouagadougou devrait compter 2 854 356 habitants. On note aussi annuellement 150 000 nouveaux habitants soit par les naissances, soit par la migration, surtout l’exode rural, des campagnes vers la ville. Tout ceci nous fait dire que notre ville compte autour de 3 millions d’habitants, avec le plus grand taux de croissance de la sous-région, soit 7,6% par an.

Lors d’une session municipale, il a été adopté un projet de bitumage de 254 km de routes à Ouagadougou. Beaucoup de Ouagalais sont dans la soif de connaître la cartographie de ces routes. Est-ce que vous pouvez nous en faire le point ?

Merci pour cette question. Je souhaiterais apporter un rectificatif au chiffre : c’est 145 km de voiries à bitumer et non 254 km comme indiqué dans un de vos articles. Le conseil municipal s’est fixé comme première priorité, la mobilité urbaine dans le cadre de son mandat. Dans ce sens, plusieurs actions sont prévues dont le projet de 145 km de voiries avec 290 km de caniveaux le long de ces voiries. Ce projet couvre les 12 arrondissements, soit à peu près 12 kilomètres par arrondissement, répartis sur 53 secteurs. Les études de faisabilité ont démarré ce mois-ci et les résultats sont attendus dans 7 mois. Sans attendre les résultats des études, nous avons entrepris de mobiliser le financement de ce vaste programme de bitumage que notre ville n’ait jamais connu. Pour ce faire, nous bénéficions du soutien du gouvernement et des partenaires techniques et financiers qui nous encouragent surtout à produire des études de qualité.

Combien va coûter cette opération ? Et quels seront les mécanismes de financements ?

L’Agence municipale des grands travaux (AMGT) qui assure la maîtrise d’ouvrage déléguée de ces études, estime provisoirement le coût du projet, c’est-à-dire les travaux de voiries et le suivi contrôle, à environ 250 milliards de F CFA. Le coût final de cette opération sera affiné par les études de faisabilité qui préciseront les profils nécessaires et les implications financières y relatives.
Pour les mécanismes de financements, l’approche auprès de nos partenaires techniques et financiers est préconisée et le plaidoyer auprès d’eux, a commencé. Cependant, nous sommes ouverts pour des Partenariats public privé (PPP) avec des garanties de l’Etat ou de certaines plateformes.
Je profite de vos colonnes pour rappeler que les travaux de voiries coûtent excessivement cher, mais qu’il est indispensable qu’on les réalise pour le bien-être de la population. Les Ouagalais souffrent de plusieurs maux liés à la qualité des routes et de l’air : traumatismes lombaires, problèmes respiratoires, etc. A ces soucis, s’ajoute la vulnérabilité aux inondations qui font qu’à chaque saison des pluies, les Ouagalais scrutent le ciel avec angoisse. Ce projet permettra de résoudre durablement ces ennuis.

A quand le lancement des travaux et les délais d’exécution ?

Nous espérons commencer le plus tôt possible pour résoudre le problème de la mobilité dans la ville. Le conseil municipal a mobilisé des ressources pour financer les études de ce projet mais nous avons davantage besoin du gouvernement et des partenaires pour la réalisation des travaux. Si le budget est bouclé, en trois ans, l’ensemble des voies sera aménagé.

N’est-ce pas l’échéance de 2020 qui dicte ce calendrier ?

Pas du tout ! Nous avons un programme et un calendrier que nous devons respecter. Mais au-delà de tout, c’est la pertinence des projets qu’il faut voir, surtout qu’ils répondent aux préoccupations pressantes de la population.

Quels ont été les critères de choix des routes à bitumer ?

Comme je le disais tantôt, les techniciens ont priorisé selon le schéma de hiérarchisation des voiries de notre ville et l’ont soumis aux différents conseils d’arrondissements qui l’ont validé.

Des maires de l’opposition vous accusent de faire de la discrimination dans la réalisation des routes à Ouagadougou. Que leur répondez-vous ?

Soit ils sont de mauvaise foi, soit ils sont des politiciens qui n’ont pas encore compris la méthode d’élaboration d’une politique de développement urbain durable. Une ville, c’est d’abord un territoire, un espace de vie où tout se tient. La subdivision en arrondissements et secteurs, répond à la nécessité de garantir une gestion administrative de proximité, sachant que ces entités partagent les mêmes voiries, les mêmes équipements. A l’opposition qui ferait de tels reproches, je lui rappelle que le cadre communal est inapproprié à la politique politicienne ; c’est un lieu de politique de développement communautaire. La localisation des grands projets qui vont démarrer avant fin mars, prend à contre-pied ces allégations en ce sens que 90% des investissements se feront dans des arrondissements dont les maires sont issus de l’opposition. Les critères s’inscrivent dans une politique de planification urbaine. Si certains conseillers de l’opposition voient les choses ainsi, je comprends maintenant pourquoi ils votent contre ou s’abstiennent lors des délibérations sur les investissements. Pour illustrer ce que je viens d’indiquer, l’arrondissement N°6 qui est géré par un maire de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), a voté contre la réhabilitation de la salle de ciné de Pissy qui fait aujourd’hui la fierté du quartier et de toute la ville. Ces gens-là sont plus enthousiastes quand il s’agit de déclasser des réserves administratives pour les vendre à des particuliers.  En attendant le grand projet, 35 kilomètres de voiries seront bitumés dans les mois à venir par la ville dans les arrondissements n°3, 4, 5, 6, 10 et 11 avec un financement de la Banque islamique de développement (BID) et l’Agence française de développement (AFD). C’est pratiquement prévu dans des arrondissements dirigés par l’opposition mais, faut-il tenir compte de la couleur politique pour investir dans le développement ? C’est l’urgence d’apporter des commodités aux Ouagalais, qui oriente notre action, sachant que les arrondissements, surtout périphériques, sont habités par des gens qui ne disposent pas d’un mètre linéaire de caniveau et de voiries revêtues sur des dizaines de km². Est-ce raisonnable de pénaliser nos braves populations pour des raisons politiques ? Ce qui est triste, c’est que des maires d’arrondissements de l’opposition ont refusé de donner leur accord pour passer les marchés d’études des 145 kilomètres de voiries qui devaient se faire dans l’urgence pour bénéficier de certaines opportunités parce que tout simplement, le maire que je suis, est du MPP. C’est déplorable ! Sur la construction des routes comme sur d’autres domaines, je peux dire que nous ne faisons aucune discrimination entre les arrondissements. L’arrondissement N°6 par exemple, qui est géré par l’UPC, dispose pour 2019 d’un budget de 147 millions de F CFA contre 139 millions pour l’arrondissement 12 dirigé par un maire MPP. Ce qui importe pour nous, c’est assurer un développement équitable en termes d’équipements et de réponses aux besoins des citoyens.

Au-delà de ça, ils ne cessent de dénoncer la forte concentration des pouvoirs entre les mains du maire central. Ce qui freine leurs initiatives de développement de leurs arrondissements. Ont-ils tort ou raison de penser cela ?

Les textes disposent que le maire de la ville est le seul ordonnateur du budget. Les maires d’arrondissements sont des ordonnateurs délégués qui gèrent les crédits qui leur sont alloués annuellement. Ce budget de fonctionnement qui était de 71 millions de F CFA par arrondissement dont 15 millions destinés à l’investissement en 2017, est passé à 127 millions de F CFA dont au moins 45 millions prévus pour l’investissement. Je suis donc surpris par de telles déclarations dans la mesure où nous avons travaillé à ce que la part de l’investissement soit conséquente dans les budgets des arrondissements ; ce qui n’était pas le cas avant. Savez-vous par exemple que dans le passé, certains maires consacraient 33 millions rien que pour le carburant sur un budget total de 50 millions ? Nous avons corrigé cette absurdité et c’est ce qui ne plaît pas à tout le monde.  L’opinion doit savoir une chose : la gestion du budget communal sous cette forme, est tributaire de l’organisation administrative communale. Les arrondissements ne disposent pas suffisamment de personnel pour gérer des marchés d’envergure. Aussi, nous avons élaboré, pour chaque arrondissement, un plan de développement afin que les maires puissent disposer d’outils pour rechercher aussi des financements avec l’appui de la commune. Certains le font brillamment et apportent des solutions aux préoccupations de leurs administrés.

Est-ce qu’il n’y a pas lieu de revoir les textes pour donner plus d’autonomie financière aux arrondissements ?

L’ensemble des arrondissements fait partie de la commune de Ouagadougou dont le développement est abordé dans sa globalité. Aucun arrondissement n’évolue en vase clos. Tout comme le développement des 13 régions et des 45 provinces est pris en compte dans le budget de l’Etat central, le budget de la commune est aussi géré par un ordonnateur qui répond de sa gestion. Les collectivités territoriales ont fonctionné ainsi depuis une trentaine d’années sans qu’un problème ne se pose. Les textes pourraient être revus pour plus de responsabilisation des arrondissements et nous le souhaitons.

Pour l’opposition, les crises au sein des mairies d’arrondissements qu’elle gère, sont fomentées par le MPP et alliés. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

Les crises de fonctionnement que rencontrent certains exécutifs municipaux, sont dues généralement à une méconnaissance des textes par les élus locaux d’une part, et d’autre part, à la mauvaise gouvernance de certains responsables d’exécutif. Ces crises ont existé dans des conseils municipaux gérés aussi bien par des maires MPP que par des maires de l’opposition. Donc, dire que ces crises sont l’œuvre du MPP n’est pas exact. J’ai bon espoir qu’avec le programme de renforcement des capacités que nous avons signé entre l’Association des municipalités du Burkina (AMBF) et l’Ecole nationale d’administration et de la magistrature (ENAM), ces crises seront résolues. Les nouveaux textes sur la décentralisation viendront corriger les insuffisances du cadre légal.

Dans la réalisation des infrastructures routières, on constate généralement qu’elles ne sont pas accompagnées par des ouvrages d’assainissement tels que les caniveaux et quand ils existent, ils sont à ciel ouvert. Comment expliquez-vous cela ?

Les raisons se trouvent sans doute dans la conception de départ de ces projets. Nous travaillons à l’amélioration de la qualité de l’ensemble des infrastructures qui seront réalisées dans le futur afin de mieux les adapter aux besoins.

Un projet d’assainissement et d’électrification des quartiers périphériques est mis en place depuis un certain temps. Pouvez-vous nous faire le point de sa mise en œuvre ?

La ville a entrepris de réaliser des ouvrages d’assainissement à Cissin, Tanghin et Nonsin, des quartiers qui sont situés dans des cuvettes. A chaque pluie, les habitants de ces quartiers se retrouvent les pieds dans l’eau. Aujourd’hui, ils ont bénéficié d’une trentaine de kilomètres de caniveaux et ils se sentent mieux qu’en 2018, puisqu’aucun de ces quartiers n’a connu d’inondation. Les voies aménagées ont désormais des caniveaux de part et d’autre afin de renforcer la résilience.

Il se pose un problème de toilettes publiques et de parkings de stationnement dans la ville de Ouagadougou. Quelle solution envisagez-vous d’y apporter ?

Nous avons un projet de réalisation de latrines publiques dans les arrondissements, dont la construction va démarrer bientôt. Pour ce qui est du stationnement, une étude sur la circulation et le stationnement dans la ville, nous livrera bientôt les conclusions et les propositions.

Certains disent que vous ne faites pas assez en matière de salubrité publique. Que leur répondez-vous ?

Je réponds qu’ils ont en partie raison. Cependant, j’ajouterai que la salubrité ne saurait être de la seule responsabilité de la commune, mais une responsabilité collective et individuelle. Aujourd’hui plus que jamais, il faut une réelle participation citoyenne à la salubrité. Nous avons hérité d’une situation où la voirie ne possède aucun matériel adapté. La stratégie de collecte des ordures dans la ville de Ouaga, existe depuis plus de 15 ans et n’a pas évolué alors que la ville s’est étendue et a vu sa population croître. En 15 ans, la ville a doublé sa voirie, la brigade verte qui fait notre fierté n’est pas assez outillée pour tenir actuellement cette grande capitale propre. Il nous faut nécessairement passer à une autre étape en mécanisant et modernisant cette filière sans mettre en danger l’emploi de nos braves mamans, mais au contraire, en les sécurisant davantage dans des emplois durables. C’est ce à quoi nous nous attelons avec le projet de création d’une nouvelle société communale, en partenariat avec des professionnels de référence.  La commune injecte pratiquement quatre milliards de F CFA chaque année dans la gestion des déchets, mais il se trouve que notre système de gestion des déchets est dimensionné pour prendre en charge 300 000 tonnes de déchets par an. Or, de nos jours, on estime à près de 600 000 tonnes par an le volume de déchets produit par la ville de Ouagadougou, chaque Ouagalais produisant par jour entre 0, 55 à 0,7 kg. Face à cela, la mairie a commandité la révision du schéma directeur de gestion des déchets solides afin d’éviter des actions hasardeuses qui vont foutre tout en l’air. Ce schéma révisé, s’appuyant sur des données crédibles, fixera la structuration nouvelle du système de gestion. Pour cela, nous avons acquis des engins de transport de déchets pour éliminer les décharges incontrôlées, étendu le réseau de centres de collecte de 35 à 55 pour couvrir l’ensemble de la ville avec un centre de tri.
Nous avions encouragé les opérations dites “mana-mana” avec les populations, tous les samedis, pour nettoyer leur entourage immédiat. Par ailleurs, il revient à chaque habitant d’avoir un comportement citoyen dans la gestion des déchets. Nous allons mettre des « brigades salubrité » composées de résidents et d’acteurs économiques volontaires dans les secteurs, quartiers et le long des rues de commerces pour assurer la veille. Nous assurons aussi le renforcement des capacités des acteurs de la filière avec l’appui de certaines ONG. Car, aujourd’hui, les moyens matériels et les compétences techniques font défaut chez plusieurs acteurs. La solution à l’insalubrité n’est pas dans le tout investissement, mais réside dans l’implication et la responsabilisation de chaque Ouagalais. Je reste convaincu que cette situation sera un mauvais souvenir dans un proche avenir.

Mais Monsieur le maire, nous constatons des dépotoirs sauvages en plein centre-ville de Ouagadougou. Pourquoi cela ?

Il ne faut pas non plus perdre de vue que des zones comme la ZACA et l’espace de la SONATUR qui jouxte l’avenue de l’Insurrection dans l’arrondissement 6, appartiennent à des structures du ministère de l’Urbanisme. Alors que le Code de l’urbanisme dit que si ces zones sont délimitées pour les sociétés, ce sont elles qui ont la responsabilité de la salubrité dans ces endroits. Nous avons interpellé le ministère qui, fort heureusement, nous a bien compris et a interpellé les propriétaires qui ont commencé à exploiter ces espaces. Sinon, dès que la ville donne la concession d’un territoire à une structure qu’elle soit étatique ou privée, c’est cette structure qui a la responsabilité de la salubrité de cet endroit. Il y a donc un dialogue entre le ministère et nous, qui permet de résoudre ce type de problèmes.

Dans la ville de Ouagadougou, il n’existe pratiquement pas d’espaces de repos et de détente ; en plus, les espaces verts sont généralement transformés en maquis. Les bas-côtés des échangeurs ne sont pas non plus reverdis. Que préconisez-vous pour corriger cette situation ?

Je pense que Ouagadougou est une des capitales qui peut se targuer d’avoir le plus grand espace de repos et de détente. Je veux parler du parc urbain Bangre-weogo qui est un véritable poumon vert de la ville et qui connaît une grande affluence de citadins. A tout moment de la journée, quand vous y allez, vous allez voir qu’il y a des élèves qui viennent les week-ends ; il y a des gens qui y vont pour faire le sport et d’autres la promenade. C’est vrai que cet espace qui fait 240 ha est réservé à la détente mais dans des arrondissements et quartiers, effectivement, il y a des espaces verts qui ne sont pas encore aménagés. Par manque de moyens propres, nos prédécesseurs ont voulu confier la gestion de ces espaces verts à des privés afin de faciliter leur entretien. Malheureusement, cette pratique a connu de nombreuses dérives comme celles que vous évoquez. Nous avons alors entrepris d’y mettre de l’ordre. Plusieurs actions entrant dans l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers, sur la base des projets d’initiatives communautaires, seront lancées à travers un appel à projets par la commune où nous allons privilégier l’aménagement de ces espaces par les résidents des quartiers. Ce sont des opérations pas si onéreuses, mais qui nécessitent une appropriation par la jeunesse, les femmes et l’ensemble des résidents des quartiers. C’est le seul gage pour éviter les affectations d’espaces et les usages inappropriés. Il y a de bons exemples. C’est le cas de la cité de la SOCOGIB où des résidents, à travers une association, ont aménagé un espace de détente et nous leur apportons des appuis. C’est aussi le cas dans l’arrondissement 10 où il y a un jardin qu’une association appelée ‘’les voisins solidaires’’ occupe. C’est cette participation citoyenne à la gestion des espaces, qu’il nous faut promouvoir.

Quid des échangeurs ?

Il faut dire que les échangeurs sont les équipements du ministère des Infrastructures. La difficulté que nous avons, aujourd’hui, c’est que les transferts de compétences ne sont pas établis en ce qui concerne les investissements qui sont faits par l’Etat dans la capitale, que ce soit sous l’égide du ministère des Infrastructures ou de celui en charge de l’Urbanisme. Il n’y a aucun document qui nous transfère la gestion de ces infrastructures alors que la réglementation dit que pour pouvoir effectuer une dépense au profit d’une infrastructure, il faut que la commune prouve que cette infrastructure est la sienne. Donc, nous sommes en discussion avec ces deux ministères pour qu’au fur et à mesure que ces infrastructures sont réalisées, il y ait un transfert de compétences et de ressources qui vont nous permettre de faire la maintenance. Nous nous rendons compte, par exemple, que les garde-fous qui sont mis pour sécuriser les échangeurs, sont souvent l’objet d’accidents et personne ne s’en occupe. Il va falloir que sur le plan gestion, il y ait une clarté des responsabilités par rapport à ces infrastructures.
Il en est de même pour le monument dédié aux Héros nationaux. Jusqu’à présent, ce monument n’est pas encore réceptionné. Nous avons interpellé le ministère de l’Habitat qui nous a dit qu’il ne pouvait pas nous le transférer parce que lui-même ne l’a pas encore réceptionné. Mais en attendant, comme c’est un monument qui est dans la ville, nous sommes tenus de nous en occuper. Tout récemment, nous y avons fait un nettoyage global mais il s’agit de mesures exceptionnelles. D’une manière générale, il sera de bon ton qu’avec l’Etat, on puisse voir comment ces transferts peuvent se faire de façon régulière, pour nous permettre de nous mettre face à nos responsabilités.

Ailleurs comme au Maroc, il est organisé des concours du meilleur maire. Est-ce que cet exemple ne peut pas inspirer le Burkina ?

Tout ce qui pourrait améliorer les conditions de vie, est souhaitable. Les maires sont mis en compétition depuis deux ans sur la salubrité, lors de la Semaine nationale de la citoyenneté. Il existe également une compétition pour l’excellence dans la gouvernance locale (COPEGOL) qui est une initiative promue par la Banque mondiale et portée désormais par l’AMBF. L’objectif est de susciter une émulation entre les communes en vue de promouvoir des bonnes pratiques innovantes pouvant être dupliquées à l’ensemble des communes.

Le PPP a été retenu comme mode d’attribution de certains marchés. Ce qui a irrité notamment l’opposition. N’est-il pas effectivement une voie ouverte à la corruption ?

Il n’existe pas de type de marchés ou de modes de passation de marchés qui soit exempt à 100% de magouille ou de corruption. Un monde sans corruption n’existe nulle part. C’est plutôt les mécanismes de bonne gouvernance à mettre en place, qui doivent être performants pour prévenir ou punir cette corruption. Moi, je vois dans le PPP plutôt une opportunité et un moyen de disposer d’infrastructures de développement, surtout pour une ville qui en a cruellement besoin. Les infrastructures coûtent cher et les impôts des citadins ne sont pas suffisants pour offrir le niveau d’équipement souhaité. En toute chose, il faut une éthique certes, mais il faut éviter de transposer les clivages majorité/opposition dans le quotidien des Burkinabè. Vouloir toujours donner des leçons comme si les dirigeants étaient des apatrides, n’est pas acceptable parce que nous aimons tous notre pays et souhaitons laisser à la postérité, des infrastructures de belle facture avec cette marque du « Burkindlilm ».

La police municipale a une mauvaise réputation en termes de corruption, si on en croit le dernier classement du REN-LAC. Quel commentaire en faites-vous ?

Il est vrai que ce classement ne nous honore pas, même si nous émettons quand même des réserves sur son contenu. Nous avons eu des rencontres avec les responsables du REN-LAC pour leur demander d’assurer des formations au profit des agents de la police municipale afin d’endiguer la corruption. En interne, nous avons échangé avec la hiérarchie de la police municipale afin que les dispositions soient prises pour combattre ce mal qui ne fait pas honneur à la police municipale.

Ouagadougou est régulièrement en proie à l’incivisme à tous les niveaux. Comment comptez-vous combattre le phénomène ?

La sensibilisation a suffisamment été faite et nous aurons très bientôt un renforcement des effectifs de la police municipale qui va nous permettre d’être plus présents sur le terrain et mieux mener le combat contre l’incivisme. La gestion de 3 millions d’habitants avec 450 policiers municipaux n’est pas chose aisée. C’est pour cette raison que nous avons entrepris le renforcement des capacités avec la mise à disposition de 1000 policiers municipaux d’ici à 2021 et l’ouverture prochaine de commissariats d’arrondissements de la police municipale.  Nous allons solliciter davantage les forces de défense et de sécurité afin de nous accompagner pour endiguer ce fléau qu’est l’incivisme. Mais au-delà de ces dispositions, la solution durable à ces fléaux réside dans l’éducation et la sensibilisation pour une citoyenneté responsable.

Vous venez de prendre des mesures draconiennes contre ceux qui seraient tentés de cascader sur le nouvel échangeur. Pourquoi ne pas étendre la mesure à l’ensemble de la ville ?

Cela est fait déjà. Mais il se trouve que dans la ville, lorsque la police interdit l’accès à un site, les cascadeurs se redéployent sur un autre. Il est difficile de les appréhender. Nous avons interdit l’accès à la ZAD, à Ouaga 2000 et aussi à l’échangeur du Nord et nous allons continuer à combattre ces délinquants partout où ils seront. Le combat restera toutefois vain si les citoyens de la ville ne s’impliquent pas, si les familles refusent d’assumer leur rôle de parents et si les riverains des zones où se pratiquent ces cascades restent les bras croisés. Ils doivent, au contraire, agir et ainsi, je suis certain qu’on n’entendra plus parler de ces pratiques dangereuses pour les jeunes eux-mêmes et pour les autres usagers de la route.

Quelle est la part de responsabilités de la mairie dans le traitement de nombreux contentieux liés aux attributions de parcelles ?

La commune de Ouagadougou, en tant qu’administration centrale, n’a pas de compétences sur les lotissements. Les questions de lotissement relèvent des mairies d’arrondissements, mais l’ensemble du contentieux est assumé par la commune. Est-ce normal?

Que faut-il faire alors ?

Comme je viens de le dire, la commune de Ouagadougou n’intervient pas directement dans les lotissements ni dans les affectations des parcelles. A contrario, les mairies d’arrondissements dépendent administrativement de la commune de Ouagadougou. Donc, la difficulté que nous avons, c’est que nous ne sommes pas totalement impliqués dans l’opération mais compte tenu du fait que c’est la même entité juridique, en cas de contentieux, c’est la commune qui est reconnue comme devant faire face aux tiers. Ainsi donc, nous constatons qu’il y a une certaine faiblesse dans les textes à ce niveau. J’espère qu’avec la relecture des textes et la nouvelle dynamique qui sera donnée aux lotissements, on pourra faire en sorte que les communes à statut particulier comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, puissent avoir un droit de regard ou de supervision qui vont nous permettre de prévenir les différents contentieux.

Est-ce que la suspension des lotissements à Ouagadougou ne complique pas votre politique d’urbanisation de la ville, notamment la question des non-lotis ?

Pour l’heure, nous travaillons à la gestion de la ville dans son format actuel en attendant la levée de la suspension. C’est un moratoire qui a ses raisons, mais nous souhaitons vivement qu’une solution durable soit trouvée afin d’éviter de retomber dans ces problèmes.

Beaucoup de gens avaient évoqué une rivalité entre vous et Abdoul Ouédraogo, PDG de Abdoul Service international. Qu’en est-il exactement ?

Ni sur le plan professionnel, ni sur le plan politique et social, il n’existe une quelconque rivalité entre la société Abdoul Services et moi. Son irritation est sûrement due à sa méconnaissance des textes en matière de dons aux collectivités territoriales. Dans l’Administration publique, il y a des règles auxquelles on ne saurait déroger. Pour moi, cet épisode appartient au passé et est définitivement clos.

Certains disent que le président du Faso est mal entouré. D’autres vont jusqu’à prétendre que vous en faites partie. Que leur répondez-vous ?

On dit cela de tous les dirigeants du monde. C’est une question d’appréciation.
Il n’existe pas d’entourage parfait dans l’exercice de cette haute responsabilité. Il faut une équipe gagnante et le président Roch Marc Christian Kaboré, malgré le contexte sécuritaire difficile, est à la tête d’une équipe qui gagne le combat pour le développement économique et social du Burkina Faso. Les statistiques le prouvent et les lignes ont bougé. Le combat qui reste à gagner est le retour à l’intégrité et le changement de mentalités. Pour y arriver, il faut l’implication de chacun et de tous.

En tant que membre du bureau politique national du MPP, à quand la fin de la présidence intérimaire ?

Le prochain congrès du MPP nous situera.

En vous rasant tous les matins, ne rêvez-vous pas d’un destin national ?

En me rasant le matin, je ne pense qu’à une chose : améliorer la vie de mes concitoyens et pour cela, je compte sur l’implication de tous pour y arriver. Je ne crois ni aux Zorros, ni aux héros solitaires. La gouvernance est un exercice d’équipe.

Propos recueillis par Drissa TRAORE

 

Carte de visite (CV)

Je suis chef d’entreprise, gestionnaire de formation par l’expérience acquise et non par diplôme académique, n’ayant pas eu l’opportunité de poursuivre des études supérieures classiques. Je suis un militant engagé dès le lycée Ouezzin dans le Front progressiste voltaïque (FPV) du Pr Joseph Ki-Zerbo, puis par la suite, militant et acteur de la Révolution d’août 1983. J’ai le parcours d’un self made man qui a évolué dans le privé, toujours à son propre compte. Je suis revenu dans le jeu politique en passant de l’indignation à l’action en rejoignant le grand mouvement insurrectionnel qui a mis un terme à 27 ans de pouvoir absolu de Blaise Compaoré. C’est ainsi que sous la bannière de mon parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), je suis arrivé, à l’issue des dernières élections générales, aux responsabilités à la tête du Conseil municipal de la ville de Ouagadougou.


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