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DECES DE VALERY GISCARD D’ESTAING  


Décidément, l’année 2020 aura été une année noire pour de nombreux anciens chefs d’Etat. En effet, à la demi-douzaine d’anciennes têtes couronnées de l’Afrique de l’Ouest qui, des Maliens Modibo Kéita et Amadou Toumani Touré  au Nigérien Mamadou Tandja en passant par le Mauritanien Sidi Mohamed Ould Abdallah et le Ghanéen John Jerry Rawlings, ont tiré leur révérence de ce monde dans cette deuxième moitié de l’année 2020, est venu s’ajouter un ancien locataire de l’Elysée en la personne de Valéry Giscard d’Estaing (VGE). Il a été emporté le 3 décembre dernier par le méchant virus à couronne apparu en Chine fin 2019 et qui sévit dans le monde depuis maintenant près d’un an. Brillant élève qui a obtenu son bac à l’âge de 15 ans, Giscard d’Estaing réalisera plus tard son ambition de présider aux destinées de son pays, en accédant à la magistrature suprême en 1974. A l’époque, il était, à 48 ans, le plus jeune président d’une République sur le vieux continent. On dit aussi de lui qu’il était un grand admirateur de l’ex-président américain, John Kennedy.

 

Jusqu’à une époque encore récente, c’est Paris qui faisait et défaisait les régimes en Afrique

 

Disparu à l’âge de 94 ans, VGE laisse de lui, dans son pays, la France,  l’image d’un président plutôt novateur et réformiste. Mais vu d’Afrique, son décès paraît pour le moins comme  une page de la Françafrique qui se tourne, ou du moins une volonté de rupture avec la Françafrique, non pleinement assumée. En effet, ses relations avec le continent noir sont restées dans la logique du même paternalisme qui a souvent guidé les chefs d’Etat français qui n’ont jamais été pris à défaut dans la défense constante des intérêts de la France sur un continent aux potentialités énormes, mais qui n’a jamais véritablement su, encore moins pu se placer en alter ego de l’ex-puissance coloniale, plusieurs décennies après les indépendances.  Et jusqu’à une époque encore récente, c’est peu de dire que c’est Paris qui faisait et défaisait les régimes en Afrique, surtout en Afrique noire francophone. Et la France de Valéry Giscard d’Estaing n’est pas en reste; elle qui s’est particularisée par un interventionnisme militaire plutôt actif sur le continent noir, notamment au Zaïre, en Mauritanie, au Tchad et en Centrafrique. Elle est aussi pointée du doigt dans des tentatives de déstabilisation organisées en sous-main en Angola, au Bénin (ex-Dahomey) et aux Comores. C’est dire si malgré sa volonté d’inscrire les relations de la France avec l’Afrique sous un nouveau paradigme, VGE n’a jamais perdu de vue les intérêts de l’Hexagone sur le continent et a souvent agi en conséquence pour les préserver. Aujourd’hui, il est vrai que les choses ont beaucoup évolué et la situation a beaucoup changé. En effet, Paris ne peut plus intervenir directement sur le continent noir comme elle le faisait il y a de cela quelques années pour renverser des régimes et installer ses hommes. La démocratie est passée par là, même si elle reste encore largement à parfaire, et les mentalités ont changé. Mais son emprise sur les relations franco-africaines n’en demeure pas moins prégnante. Ce qui explique que les pays africains se trouvent pris dans une sorte de néocolonialisme plus subtil, qui les empêche de s’affranchir véritablement de la tutelle de Paris même s’ils ont réussi, entre-temps, à diversifier les partenaires pour s’ouvrir davantage au monde.

 

Sa compromission avec l’empereur Bokassa  sera rédhibitoire à sa réélection à sa propre succession

 

 

Cela dit, on retiendra de Giscard d’Estaing, un homme d’Etat qui a eu une relation particulière avec l’Afrique où il a effectué de nombreux déplacements aussi bien officiels que privés. Amoureux de la chasse et de safaris à ses heures perdues, le continent noir lui a offert de multiples occasions de vivre cette passion au cours de randonnées où il ne cachait pas sa joie et sa fierté de pouvoir se faire  aussi des trophées. L’homme, qui était resté assez discret ces dernières décennies, était aussi une plume alerte qui a à son actif plusieurs écrits, dont un roman paru en 2011, le dernier, Mathilda, dont il situe l’action en Afrique.  Tout un symbole !  Sur le plan politique, on peut retenir de VGE sa volonté de rupture avec un passé qui se voulait jusque-là surtout colonial. Ainsi, celui qui, au cours de la présidentielle qui le conduira à l’Elysée en 1974, se promettait de « donner une nouvelle impulsion à la coopération entre la France et les Etats francophones d’Afrique », s’inscrira dans une dynamique de renouveau. Une volonté de dépoussiérer les relations avec l’Afrique qui l’amènera à se passer des services d’un certain Jacques Foccart connu pour être le « Monsieur Afrique » de l’Elysée.  Malheureusement, la seule volonté de rupture ne suffira pas. Confronté à la réalité du terrain, Giscard d’Estaing ne pourra pas s’assumer jusqu’au bout. Et sa compromission avec l’empereur Bokassa 1er de Centrafrique dans l’affaire dite des diamants, sera finalement rédhibitoire à sa réélection à sa propre succession. Son règne se limitera donc à son seul septennat qu’il aura terminé sur une note d’ambivalence. Car, entre la volonté de rupture affichée et la réalité finale de ses actions, le fossé a paru un peu trop grand. En effet, son principe était de rendre « l’Afrique aux Africains », mais il s’illustrera finalement par un interventionnisme qui aura battu les records de ses prédécesseurs.  C’est dire si à bien des égards, VGE paraît aussi comme l’homme des contradictions.

 

« Le Pays »

 

 

 

 


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